La Banque Centrale Européenne, la force tranquille 

La Banque Centrale Européenne, la force tranquille 

« Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions », avait coutume de dire Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne. Ce dernier estimait que la fin de la rivalité historique entre la France et l’Allemagne passerait par l’économie. Furent ainsi créés un marché commun de l’acier et du charbon, un marché commun plus global avec l’introduction d’un tarif douanier unique (CEE 1957), un marché unique (1993) puis la monnaie unique (1999). Cette dernière a donné lieu à la mise en place de la Banque centrale européenne (BCE) qui est indépendante des gouvernements nationaux. 

La BCE, en un quart de siècle, a réussi à s’imposer comme l’institution numéro 1 de la zone euro. Elle est devenue le symbole fédéral d’une Europe qui est toujours en quête d’une expression politique. Elle a surmonté la crise financière de 2008/2009, la crise des dettes publiques entre 2010 et 2014, l’épidémie de covid en 2020 et la guerre en Ukraine. Elle a bénéficié de l’affaiblissement de la Commission de Bruxelles et des oppositions croissantes entre les États membres. Elle a comme mission d’assurer la stabilité des prix et du système financier. 

Au nom de la défense de la monnaie, elle joue un rôle clef dans la maîtrise des déficits publics. Elle peut par les outils dont elle dispose orienter les politiques économiques et interagir sur l’emploi et la croissance. Elle étend son champ d’action aux politiques climatiques et aux relations commerciales internationales notamment avec la Chine. 

La BCE, une résilience à toute épreuve 

Chaque crise a permis à la BCE d’élargir son périmètre. En 2010, pour rassurer les investisseurs en pleine crise grecque, Mario Draghi alors Président de l’époque de la BCE avait promis de faire « tout ce qu’il faudra » pour protéger l’euro. Des moyens de financement avaient été mis en place afin d’aider la Grèce qui n’est pas sortie de la zone euro. La décision de Mario Draghi a évité un effet domino et fait depuis jurisprudence. 

À compter de 2015, la BCE a procédé à des rachats d’obligations pour lutter contre la déflation. Elle a également abaissé ses taux directeurs. 

Pendant la Covid-19, Christine Lagarde, l’actuelle présidente, la BCE a mis en œuvre des plans importants de rachats d’obligations publiques et privées pour soutenir l’économie et faciliter le financement des dépenses publiques (plan de rachats de 1 700 milliards d’euros d’obligations). 

En 2022, elle a annoncé que la banque centrale pourrait, le cas échéant, effectuer des rachats sélectifs d’obligations pour venir en aide à des États en difficulté et dont les écarts de taux avec ceux de l’Allemagne augmenteraient. Cette annonce visait, en particulier, à éviter des attaques financières contre l’Italie dont la dette publique est la plus importante au sein de la zone euro. La simple évocation de ces rachats a permis – jusqu’à maintenant – d’écarter la résurgence d’une crise malgré la hausse des taux directeurs décidée pour lutter contre l’inflation.

Banque Centrale Européenne la BCE est devenue le prêteur en dernier ressort des gouvernements de la zone euro.

Prêteur en dernier ressort des gouvernements de la zone euro 

Même si cela n’était pas officiellement prévu par le Traité de Maastricht, la BCE est devenue le prêteur en dernier ressort des gouvernements de la zone euro. Afin de contourner l’interdiction du financement des États prévue par le traité, les responsables de la BCE sont contraints de placer leurs décisions sous le prisme de la stabilité de la sphère financière et notamment de la soutenabilité des dettes publiques. 

La BCE joue un rôle international de premier plan en relation avec les autres grandes banques centrales. Elle peut influer non seulement sur le taux de change mais aussi sur les politiques des banques commerciales de la zone euro ou en dehors. Ainsi, elle assure, en partie, l’approvisionnement en dollars de la Pologne qui n’est pas membre de la zone euro. En revanche, elle ne le fait pas pour la Hongrie qui est en bute avec les autorités européennes sur de nombreux points. Elle pourrait à terme aider l’Ukraine en acceptant des swaps en dollars. Sur ce dernier point, elle aura cependant besoin d’un accord du Conseil des Ministres des Finances de l’Union européenne.

La BCE, un acteur international de premier plan 

En ce qui concerne la guerre en Ukraine, la BCE intervient dans le cadre de la surveillance de la bonne application des embargos. Elle a pris position pour une sécurisation des gels des avoirs des ressortissants russes quand certains États auraient souhaité pouvoir les utiliser. Au niveau du FMI ou de la Banque mondiale, les positions de la BCE, qui est la deuxième banque centrale au niveau mondial, comptent. 

Consciente du poids croissant de la monnaie commune, la BCE travaille à renforcer son internationalisation. Elle travaille sur l’éventuelle création d’une monnaie numérique, qui pourrait contribuer à faciliter les transactions. Elle a mené sur ce sujet des tests grandeur nature lui permettant d’être en avance par rapport à la FED. 

Le développement d’un euro numérique pourrait placer la BCE comme un acteur clef dans le financement de l’économie en réduisant le rôle des banques commerciales. 

La transition énergétique, la nouvelle frontière de la BCE 

La BCE en tant que superviseur du système financier européen souhaite accélérer la transition énergétique. Pour justifier cette immixtion sur le terrain climatique, elle souligne notamment qu’une transition énergétique plus rapide réduira les risques de crédit des banques à moyen terme. À cet effet, elle a publié le 6 septembre dernier un test de résistance climatique allant dans ce sens. Christine Lagarde a évoqué la possibilité d’aller plus loin en prenant des considérations écologiques dans le cadre de la distribution des prêts. 

La BCE qui, depuis sa création a été essentiellement présidée par des anciens ministres de l’Économie ou par des anciens hauts fonctionnaires issus des ministères financiers, n’est pas réellement contestée même si de temps en temps, des opposants soulignent encore son manque de légitimité démocratique. 

En jouant un rôle de paratonnerre depuis 1999, l’euro a convaincu un nombre croissant d’Européens. Les responsables politiques qui souhaitaient la sortie de leur pays de la zone euro se montrent désormais plus discrets à ce sujet. 

La légitimité de la construction monétaire européenne n’en demeure pas moins fragile en raison de sa nature supranationale et de sa jeunesse. En cas de forte récession, de difficultés majeures dans un État membre de première importance ou d’opposition tranchée d’un État membre au niveau de la politique budgétaire, la BCE pourrait être fragilisée. Ces faiblesses potentielles expliquent en partie le fait que l’euro ne constitue que 20 % des réserves de change mondiales loin derrière le dollar. Sa dépréciation ces dernières années en est également une illustration. 

Pour autant, l’euro constitue une véritable réussite de la construction européenne. Compte tenu des chocs subis, sans la monnaie commune, l’Europe aurait certainement connu de nombreuses crises monétaires et de change.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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