L’« inimitié à l’égard de Dieu », cruel chemin du Paradis

L’« inimitié à l’égard de Dieu », cruel chemin du Paradis

Mohsen Shekari, 23 ans, a été assassiné, le 8 décembre, par Ali Khameinei. Il avait manifesté le 25 septembre contre le régime des mollahs, après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée pour avoir mal porté son voile. C’est le premier manifestant exécuté en Iran depuis la révolte des femmes. Mohsen a été condamné à mort pour « inimitié à l’égard de dieu ».

Majidreza Rahnavard, autre manifestant, lui, a été pendu en public, le 12 décembre. Il est le deuxième manifestant juridiquement assassiné par le pouvoir iranien.  

Une des grandes batailles du XXIème siècle sera celle contre l’impunité. 

La révolte s’amplifie, la police religieuse aurait été dissoute (ce qui n’empêche ni les arrestations, ni les exécutions) : le régime joue sa survie. Il a peur. Qui jugera Ali Khamenei ? Les Iraniens, s’ils réussissent à se libérer des Gardiens de la révolution et autres exécuteurs. Ou encore un juge, un jour, quelque part, en raison de la Compétence universelle, qui permet à la justice d’un Etat de poursuivre les auteurs d’un crime, quel que soit le lieu où il a été commis, quelles que soient sa nationalité, celle de ses victimes. Crimes de guerre, génocides, crimes contre l’humanité, peuvent être jugés : la Cour pénale internationale a ouvert des enquêtes sur les hauts dirigeants russes. Pourrait-elle le faire sur ceux de l’Iran ? Une des grandes batailles du XXIème siècle sera celle contre l’impunité.

Il y a peu de chances de faire passer un jour Ali Khameneï, le Guide suprême, devant une Cour. Dieu le rappellera avant, et l’enverra en enfer. En attendant, beaucoup des fidèles et bénéficiaires du régime peuvent être arrêtés et jugés, dès qu’ils sortiront d’Iran. Les Américains, qui ont exécuté par un drone le Général Soleimani en Irak, se sont embarrassés de moins de droit. 

Les Iraniens voulaient absolument, dans la négociation sur le traité de prolifération nucléaire JCPoA, que les États-Unis retirent les Gardiens de la révolution de leur liste des organisations terroristes. C’est la principale force du régime, la source de la répression, le principal conglomérat financier du pays, le bras des actions militaires extérieures, y compris terroristes. Jusqu’à présent, l’attente d’un accord sur le nucléaire amadouait les Européens. Il n’y plus d’accord, il n’y en aura pas. Plus personne ne croit que l’Iran le respecterait.

Diffusion à la télévision iranienne du verdict qui frappe Mohsen Shekari ©AFP

A « démoli des garde-corps d’autoroute et incendié des poubelles ». Condamné à mort. 

Pour l’instant, il y a cette révolte, qui, paradoxalement, protège l’Iran de la guerre. Israël, les Emirats, l’Arabie saoudite, les États-Unis, attendent ce qu’il en est pour intervenir contre les installations nucléaires iraniennes : ne pas donner au régime l’occasion de créer une unité nationale, alors qu’elle est en train de se faire, contre lui.  

Pendant ce temps, des jeunes femmes, des jeunes gens, souffrent, meurent, défilent, chantent, crient « Mort au dictateur ! ». 14.000 personnes, selon l’ONU, ont été arrêtées.  458 ont été tués durant les manifestations, 63 mineurs. Dix ont été condamnées à mort. Aucun n’a pu voir son avocat. Mahan Sadrat, 22 ans, pourrait être pendu dans les jours qui viennent. Un autre ennemi de Dieu, Sahan Nourmohammadzadeh, a « démoli des garde-corps d’autoroute et incendié des poubelles ». A mort.

La Chine n’aidera pas plus l’Iran qu’elle n’aide la Russie.

Pendant ce temps, les dirigeants iraniens renforcent leur coopération militaire avec la Russie, vendent des drones, peut-être des missiles (en violation des résolutions de l’Onu mais qui s’en soucie ?) et attendent en retour technologies et informations, notamment satellitaires. L’Iran a intégré en 2021 l’organisation de Coopération de Shanghai, a signé avec la Chine un accord de « partenariat stratégique et près de 400 milliards d’euros d’accords commerciaux. 

Chine, Russie, Iran ont déjà, en 2019, mené des exercices navals dans le golfe d’Oman. Mais la Chine ne défendra pas l’Iran. Xi Jinping est reçu par le Prince Ben Salman, à Ryad, avec l’ensemble du Conseil de Coopération du Golfe. (Ceux qui gardent les Lieux saints n’ont rien à dire sur le traitement des Ouïghours musulmans, il n’y a que les Occidentaux qui en parlent). La Chine n’aidera pas plus l’Iran qu’elle n’aide la Russie. Mais elle peut utilement conseiller les Iraniens sur le moyen de contrôler la population, y compris sur les réseaux sociaux, par la reconnaissance faciale et autres instruments.  

Ce n’est pas un hasard si ces pays se retrouvent. Ils sentent une menace : Poutine est confronté à la désertion et à la grogne des mères, Xi Jinping recule face aux émeutes contre sa politique de confinement. Et Ali Khamenei panique et tue pour sauver son régime. Serait-ce le crépuscule des autocrates ?

Visite de Vladimir Poutine en juillet 2022 à Téhéran avec l’ayatollah Ali Khamenei 

Déjà, il est possible d’agir vis-à-vis de l’Iran, justement parce que le courage de ces jeunes gens pourrait se diffuser un peu au-delà des frontières. Ne faut-il pas envoyer des messages à une population iranienne écœurée par la théocratie, de plus en plus moderne et laïque, « occidentale » comme dirait Khamenei?

Placer les Gardiens de la Révolution et ses satellites sur la liste des entreprises terroristes.  

Après l’assassinat de Mohsen Shekari, le Canada et le Royaume-Uni ont pris des sanctions contre des personnalités du régime. Ne serait-il pas possible, alors qu’une quinzaine d’ambassadeurs ont été convoqués par le gouvernement iranien pour entendre ses remontrances, d’expulser quelques-uns de ses représentants dans les capitales européennes ? Ne serait-il pas possible de placer les Gardiens de la révolution, les satellites qu’ils contrôlent, sur la liste des entreprises terroristes ? Et sanctionner ceux qui travaillent avec eux, banques, courtiers, assureurs, grossistes… ? Les sanctions ne marchent pas, répète-t-on. C’est vrai, mais elles pèsent. Sinon ceux qui les subissent ne paieraient pas tant de gens pour les faire lever. Personne ne croit que des sanctions peuvent faire tomber un régime, mais cette fois, ce sont les Iraniens qui se soulèvent. Leur montrer qu’on les admire, faire peur à ceux qui les martyrisent.

Que peut-on encore attendre d’un tel régime ? Rien, sinon encore la guerre. Sept Français sont incarcérés en Iran, pris en otage. Que peut-on attendre de cette révolte ? Une nouvelle Révolution iranienne, une libération. Le basculement de l’Iran serait un coup de tonnerre extraordinaire, pas seulement en Iran, pas seulement au Proche-Orient, dans le monde entier : pour tous les peuples, pour tous les assassins qui se pavanent au pouvoir.  

Alors les victimes de ce régime, à commencer par Mahsa Amini et Mohsen Shekari, mériteront leur place au Paradis, un mot persan.

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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