Député des Français établis hors de France et membre du groupe Ecologiste et social, Karim Ben Cheikh tire une sonnette d’alarme : la CFE est en danger, et, selon lui, « Il faut sauver la sécurité sociale des Français de l’étranger ». Autre sujet de préoccupation, celui de l’avenir des écoles françaises à l’étranger (AEFE). Le parlementaire nous livre ses propositions pour réformer ce réseau scolaire alors que le débat budgétaire à l’Assemblée nationale reste encore incertain.
CFE : la sécurité sociale des Français de l’étranger
Lesfrancais.press : « Monsieur le député, dans le débat budgétaire vous avez proposé un amendement pour un refinancement de la Caisse des Français de l’étranger (CFE) via l’apport d’une fraction de la CSG payée par les Français de l’étranger. Celui-ci a été rejeté par l’Assemblée nationale. Quelles sont les autres pistes possibles pour sauver la sécurité sociale des expatriés ? Est-elle vraiment en danger ? »
Karim Ben Cheikh : « Oui, la CFE est dans une situation préoccupante. Son bilan est fragilisé par l’inflation médicale et surtout par le refus de l’État de financer ses missions de service public. La CFE prend en charge tous les Français, quels que soient l’âge ou le risque, mais ne reçoit qu’une subvention dérisoire, 380 000 euros, alors que le coût de ces missions dépasse 25 millions d’euros. Mon amendement visait à lui donner une ressource stable en affectant une petite fraction de la CSG sur les revenus du patrimoine, comme nous le faisons pour nos Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). C’est logique, équitable, durable.
« Certains rêvent de sortir la CFE du giron public pour la livrer au privé.
Ce serait une faute grave »
Karim Ben Cheikh, député des Français de l’étranger, 9ème circonscription
Deux autres pistes demeurent. Soit une subvention annuelle rehaussée votée au Parlement, solution d’urgence, que je défendrai à nouveau malgré le rejet en commission. Soit un arrêté du ministre de la Santé, prévu par le Code de la Sécurité sociale, permettant déjà d’affecter une fraction des taxes collectées à la CFE. Les leviers existent. Il manque la volonté politique. Certains rêvent de sortir la CFE du giron public pour la livrer au privé. Ce serait une faute grave. »
Karim Ben Cheikh, Anne genetet et la CFE à l’Assemblée nationale
Débat budgétaire et diplomatie
Lesfrancais.press : « Concernant la discussion budgétaire actuelle, êtes-vous satisfait des amendements négociés et obtenus actuellement par la gauche ? »
Karim Ben Cheikh : « Nous avons obtenu quelques avancées : 350 créations de postes dans notre réseau diplomatique, dont 100 pour renforcer les consulats, pour un budget global de 56 millions d’euros. C’est un premier pas, car nos ambassades et consulats manquent cruellement de moyens humains. Mais la diplomatie française reste sous tension : depuis trente ans, elle a perdu la moitié de ses budgets et de ses effectifs. Dans un monde plus instable, où les États-Unis s’éloignent du multilatéralisme et où d’autres puissances testent nos fragilités, nous devons remettre du muscle dans notre action extérieure. »
Lesfrancais.press : « Pensez-vous toutefois que le budget, tel qu’amendé, sera adopté par le Parlement ? »
Karim Ben Cheikh : « Rien n’est joué. Le gouvernement a perdu la main sur sa majorité ; le bloc central reste obsédé par la réduction des dépenses, y compris sociales. Même sans 49.3, il dispose encore d’outils pour court-circuiter le débat.
Les maigres avancés que nous avons obtenus, comme les bourses scolaires rétablies, postes créés, budget AESH renforcé, pourraient être remises en cause en séance publique. La CFE et l’AEFE restent les grandes oubliées, alors qu’elles portent une mission essentielle de service public. »
L’avenir des écoles françaises à l’étranger du réseau AEFE
Lesfrancais.press : « Autre sujet de préoccupation : l’avenir de nos écoles françaises à l’étranger. Adhérez-vous au plan tel qu’il fut présenté aux syndicats et aux familles le mois dernier ? »
Karim Ben Cheikh : « Non. Ce n’est pas un plan pour réformer l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), c’est une rustine. L’AEFE a subi une coupe de 34 millions d’euros en 2025, et encore une baisse en 2026. Sa subvention est aujourd’hui au plus bas depuis 2009, alors que le réseau accueille 400 000 élèves, dont deux tiers d’étrangers. Cette crise est provoquée.
« L’AEFE n’est pas une entreprise privée : c’est un outil de diplomatie d’influence et de cohésion nationale »
Karim Ben Cheikh, député des Français de l’étranger, 9ème circonscription
Depuis 2009, l’État a cessé d’assumer certaines charges : il avait promis 120 millions d’euros pour les cotisations retraite des professeurs détachés ; il en faut aujourd’hui 180 millions, jamais réévalués. Résultat : les frais de scolarité explosent. L’État se désengage, les familles paient la facture. Lorsqu’elles n’y parviennent pas, comme c’est le cas de dizaines de familles dans la circonscription, elles n’ont pas d’autre choix que de retirer leurs enfants du système et restent sans solution pour leur scolarité.
Lesfrancais.press : « Quelles sont alors vos principales propositions pour réformer le réseau AEFE ? »
Karim Ben Cheikh : « D’abord, rétablir la subvention de l’État : sans cela, aucune réforme sérieuse n’est possible. Ensuite, clarifier la charge des pensions civiles : ces 60 millions d’écart doivent être assumés par le ministère de l’Éducation nationale, pas par les parents d’élèves. Il faut aussi lever l’interdiction d’emprunter pour les établissements en gestion directe : faute de pouvoir financer leurs investissements, ils augmentent les frais de scolarité.
Enfin, il faut valoriser les enseignants recrutés locaux, en leur permettant de devenir titulaires dans le réseau sans passer deux ans en France. L’AEFE n’est pas une entreprise privée : c’est un outil de diplomatie d’influence et de cohésion nationale. Ceux qui veulent la livrer au marché fragilisent la présence française dans le monde. »
Lesfrancais.press : « Pour être efficace, selon vous, dans quel calendrier cette réforme de l’AEFE devrait-elle s’effectuer ? »
Karim Ben Cheikh : « Dès le vote du budget 2026, il faut stopper la baisse des crédits maintenant. Puis engager une stratégie pluriannuelle, tirant les leçons de “Cap 2030”, avec un diagnostic partagé entre les ministères des Affaires étrangères, de l’Éducation nationale et du Budget. Cette réflexion doit inclure la question de l’accès à l’enseignement français : 5 000 enfants français boursiers ont quitté le réseau en trois ans, faute de moyens. Et le CNED, qui permettait d’assurer la continuité scolaire pour les familles éloignées, s’est largement désengagé. C’est inacceptable. »
Une future loi pour les Français de l’étranger ?
Lesfrancais.press : « Enfin, vous avez cosigné une proposition de loi visant à renforcer les droits et les services publics des Français établis hors de France avec Éléonore Caroit, aujourd’hui ministre des Français de l’étranger. Espérez-vous qu’elle reprenne vos propositions ? »
Karim Ben Cheikh : « Je l’espère. La proposition de loi 1517, déposée avant sa nomination, contient vingt articles concrets :
- un financement pérenne de la CFE via la CSG ;
- la création d’un cadre réglementaire pour les aides sociales et les bourses scolaires pour un droit opposable ;
- un droit d’accès des Français aux établissements AEFE ;
- la protection du droit au compte bancaire ;
- le soutien de la BPI aux entrepreneurs à l’étranger ;
- la facilitation du retour en France (inscriptions scolaires, suppression du délai de carence);
- de nombreuses simplifications en matière fiscale.
Ce texte est le fruit de trois ans de travail. J’appelle le gouvernement à lui donner une suite législative. Depuis la loi Conway-Mouret de 2013, rien n’a été fait pour moderniser les droits des Français de l’étranger. Il est temps d’y remédier. »
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