Les Talibans sont entrés ce dimanche 15 août à Kaboul sans tirer un coup de feu. Et ce alors que les États-Unis évacuaient des diplomates de leur ambassade par hélicoptère et que les pays européens organisaient la fuite de leurs ressortissants encore présents sur place. Du côté afghan, un Ministre de l’intérieur a déclaré que le pouvoir serait transféré à une administration intérimaire. L’Ambassade de France, reste, elle, toujours ouverte même si elle a été déplacée à l’aéroport.
La capitale infiltrée sans combat
Le porte-parole des Talibans a affirmé que leurs troupes ont reçu l’ordre de ne pas entrer à l’intérieur de la capitale. Cependant, selon les premiers témoignages, des hommes armés commencent à circuler dans la capitale. Il fait cependant état dans un deuxième communiqué de pourparlers avec le gouvernement en vue d’une reddition pacifique de Kaboul.
« Les Afghans ne doivent pas s’inquiéter (…) Il n’y aura pas d’attaque sur la ville (de Kaboul). Et il y aura un transfert pacifique du pouvoir vers un gouvernement de transition »
Abdul Sattar Mirzakwl, ministre afghan de l’Intérieur
Les autorités ont décidé de renoncer à un combat qui aurait été meurtrier et surtout vain alors que les Talibans ont pris le contrôle du pays en 10 jours. Si le Président afghan a fuit le pays, son gouvernement s’active. En effet, un « transfert pacifique du pouvoir » vers un gouvernement de transition semble s’organiser en Afghanistan, comme l’ a affirmé ce dimanche le Ministre afghan de l’Intérieur, Abdul Sattar Mirzakwal.
Les Français presque tous évacués
L’ambassade de France à Kaboul avait affrété un avion spécial le samedi 17 juillet pour «tous les Français» devant quitter le pays, un vol qui devait être unique.
Les personnels afghans de l’ambassade, ceux des institutions qui en dépendent, ainsi que ceux de l’ONG française Amitié franco-afghane (Afrane), ont été évacués ces dernières semaines vers la France, en vertu du droit d’asile.
Il resterait une centaine de Français sur place dont des citoyens dépendant d’institutions privées comme la vice-présidente de l‘université américaine de Kaboul, une Française, Victoria Fontan ou le Dr. Eric Cheysson qui dirige l’hôpital français sur place. Chacun est resté pour s’occuper pour l’une de ses étudiants et surtout étudiantes qu’elle tenait à exfiltrer, pour l’autre le souci de ses patients et des enfants en particulier.
Aujourd’hui, de nombreuses rues de Kaboul étaient encombrées de voitures et de personnes essayant de rentrer chez elles ou de rejoindre l’aéroport, ont rapporté des habitants. Les difficultés de circulation et les risques propres à la condition d’occidentaux compliquent les déplacements des expatriés qui veulent quitter le pays. Et ce alors que l’Allemagne envoie, ce dimanche après-midi, un avion militaire pour récupérer les derniers Européens. A l’heure où nous écrivons ces lignes, l’ambassade de France en ville comme l’aéroport restaient inaccessibles pour ceux qui ont loupé le dernier convoi au départ du centre de Kaboul. Ce regroupent eut lieu tôt ce dimanche matin selon un îlotier de la communauté française sur place.
Surpris par l’arrivée silencieuse et rapide des Talibans, de nombreux européens sont bloqués dans une capitale tétanisée, certains ayant de légitimes raisons de craindre pour leur vie. Le peu de résistance de la part du gouvernement afghan a stupéfié les diplomates, alors que les services de renseignement américains estimaient la semaine dernière que Kaboul pourrait tenir au moins trois mois.
Les diplomates positionnés à l’aéroport
Pour gérer cette situation d’urgence et le futur des relations entre la France l’Occident et les nouveaux -anciens maîtres de l’Afghanistan, l’Ambassade de France, si elle est fermée au public, maintient une cellule autour de son ambassadeur David Martinon.
Selon un communiqué du Ministère des Affaires étrangères de ce dimanche à 17h25, les autorités françaises ont décidé de relocaliser leur ambassade sur le site de l’aéroport de Kaboul. Elle reste donc en fonction et active pour procéder notamment à l’évacuation de l’ensemble de nos compatriotes. Sur instruction du Président de la République, le Ministère des armées va déployer dans les prochaines heures des renforts militaires et des moyens aériens aux Émirats arabes unis, pour que de premières évacuations vers Abou Dabi puissent commencer.
« Tout est mis en œuvre actuellement pour maintenir, autant que possible, une capacité de délivrance des visas depuis l’aéroport de Kaboul, avec notamment l’envoi d’une mission de renfort, et permettre leur évacuation. »
Communiqué de presse du Quai d’Orsay
Vous retrouverez ci-dessous son dernier courrier transmis aux Français sur place à l’occasion du 14 juillet. Un discours marqué par une solidarité entre compatriotes mais aussi avec ceux qui ont partagé leur quotidien pour oeuvrer à un Afghanistan démocratique. Si l’échec n’est pas camouflé, les mots de David Martinon incarnent, aussi, la volonté de la France de maintenir sa présence dans ce pays où tombèrent 90 de ses enfants.
Lettre du 14 juillet 2021 de David Martinon, Ambassadeur de France aux expatriés en Afghanistan
Mes chers compatriotes,
Cette année encore, la situation nous empêche de nous réunir à l’ambassade, comme c’est l’habitude pour les Français de l’étranger. Au-delà de la pandémie, au-delà de la sècheresse, l’Afghanistan vit des moments très difficiles. Nous appelons à la fin de l’offensive militaire en cours des talibans, des meurtres ciblés qui ont lieu dans tout l’Afghanistan, de la destruction des infrastructures vitales et des menaces contre les progrès politiques et sociaux que les Afghans ont réalisés au cours des vingt dernières années avec notre soutien.
Les talibans pillent, incendient, détruisent des bâtiments et les réseaux d’énergie et de communication. Ils détiennent et tuent sans discrimination des civils et attaquent les établissements pénitentiaires. Tout cela démontre le mépris total des talibans pour l’état de droit.
Dans les territoires qu’ils occupent, les talibans publient des déclarations qui répriment les droits humains des femmes et des filles. Ils ferment les médias dans les zones qu’ils contrôlent, pour étouffer la liberté d’expression et susciter la peur chez les Afghans.
Dans ce contexte, nous avons désormais achevé l’opération de mise en sécurité des employés afghans de l’ambassade, de l’Institut Français et de la Délégation archéologique. Nous avons même pu inclure dans son périmètre les employés d’AFRANE, l’ONG historique française, sur laquelle s’est appuyée depuis 40 ans la coopération française. Les autorités françaises ont en effet généreusement proposé aux dirigeants d’AFRANE de prendre en charge leurs collaborateurs et leurs familles, de les emmener en France, et de les y accueillir dans le cadre du droit d’asile.
Cette opération a pris du temps. Elle s’est échelonnée sur plusieurs semaines, pour que nos collègues et leurs familles puissent tous être convenablement accueillis en France par les différents services de l’Etat.
C’est une grande fierté pour moi de constater que les autorités françaises, sans l’ombre d’une hésitation, ont décidé de mettre en sécurité nos collègues afghans, comme elles l’avaient fait, il y a plusieurs années déjà, pour les interprètes de l’armée française après son retrait. Il est tout à l’honneur de la France de leur avoir proposé de les accueillir à un moment où leur sécurité n’est plus assurée. Elle leur est reconnaissante de leurs années de travail, loyal et efficace, -pendant près de 20 années pour certains- au service de ses institutions diplomatiques et culturelles. Je leur souhaite une vie heureuse dans notre pays, avec leur famille, même si je sais qu’elle sera difficile, au début tout au moins. Ils ont toute ma reconnaissance, mon estime et mon amitié.
En raison de l’évolution de la situation sécuritaire dans le pays et compte tenu des perspectives à court terme, l’Ambassade de France appelle tous les Français qui se trouvent actuellement présents en Afghanistan à quitter le pays.
Le gouvernement mettra en place un vol spécial le 17 juillet au matin, au départ de Kaboul, afin de permettre le retour en France de l’ensemble de la communauté française.
Ce vol est gratuit. Aucun vol spécial supplémentaire ne pourra être affrété.
Nous recommandons formellement à tous les Français d’emprunter ce vol spécial et pour cela de se signaler immédiatement auprès de l’ambassade. Nous devons vous informer, vous qui projetez de rester en Afghanistan après le 17 juillet, que nous ne serons plus en mesure d’assurer la sécurité de votre départ.
En ce qui concerne l’équipe de l’ambassade, elle est au travail. Nous poursuivons notre tâche, en maintenant, aujourd’hui plus que jamais, notre soutien à la république islamique d’Afghanistan.
En 2022, nous commémorerons le centenaire de la Délégation archéologique française en Afghanistan, la DAFA, et avec lui l’établissement des relations entre nos deux pays. C’est un moment que nous préparons avec passion, avec le sens du temps long et la conscience de l’importance de cet héritage. Lorsqu’il ouvrit son pays au monde et à la France, à l’indépendance, en 1919, le roi Amanullah Shah avait en effet trois convictions qui restent plus que jamais d’actualité :
1/ il fallait substituer l’identité afghane aux identités ethniques. Si le pays veut connaître la paix, la concorde et la prospérité, cet objectif reste impératif.
2/ l’éducation publique pour tous, filles et garçons, et pas seulement jusqu’à 12 ans, est un droit, un devoir et une nécessité. Quel que soit l’avenir, aucun retour en arrière ne sera acceptable sur ce point.
3/ Enfin, et c’est la raison pour laquelle le roi avait fait appel aux archéologues français, le pays doit retrouver son histoire pour que le peuple ait pleinement conscience de la richesse de son identité. L’Afghanistan est un pays islamique, et ce fut aussi un pays de culture hellénistique par l’héritage d’Alexandre le Grand, un pays qui connut les pièces d’Aristophane et les enseignements d’Aristote un millénaire avant la France et l’Europe. L’Afghanistan fut aussi le pays des premiers temps du bouddhisme, puis un lieu d’une grande richesse, au carrefour des Routes de la Soie, et d’une immense créativité artistique, notamment au royaume d’Herat, dont les enlumineurs inspirèrent le monde.
Le lien qui nous unit, nous les Français, à l’Afghanistan, est mystérieux mais tellement fort : un siècle de coopération, mais aussi un engagement total des humanitaires français dans les années 1980, pour tous au prix de risques immenses, pour certains au prix de leur vie. Je rappelle que 90 soldats français sont tombés ici.
Fiers et respectueux de cet héritage, et soucieux de tout faire pour que le pays ne retombe pas dans les ténèbres d’un régime d’un autre temps, nous poursuivons notre effort de coopération, en l’adaptant aux circonstances nouvelles.
Vive la France, vive l’Afghanistan !
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