« Jean-Christophe, le pionnier de Slovaquie ».

« Jean-Christophe, le pionnier de Slovaquie ».

Cet été, comme en 2023, on partage avec vous des lettres d’amour de Français de l’étranger à la France. Boris Faure nous emmène pour cette première étape estivale à la rencontre de Jean-Christophe, le pionnier de Slovaquie.


Les hasards de l’existence nous ont donné la Slovaquie en commun. Cette interview entre aficionados de l’expatriation en Mittleleuropa semblait donc s’imposer d’elle-même. Jean-Christophe Robin vit et travaille dans ce petit pays de 5 millions d’habitants que nos concitoyens ont parfois bien du mal à situer sur une carte, en le confondant allègrement avec la Slovénie. Voilà pourtant un pays carrefour qui possède une frontière commune avec l’Ukraine agitée par la guerre comme avec l’Autriche et ses trésors de culture qui ont fait une partie de l’histoire de notre continent. Un pays qui hésite dans ses alliances, le gouvernement populiste actuel est plutôt pro-russe même si le pays dispose d’une présence militaire de l’OTAN sur son sol.  Derrière un fort sentiment national le devenir de la Slovaquie est hésitant, entre la méfiance vis à vis d’une Europe de l’Ouest vue comme le temple d’un multiculturalisme critiqué et une certaine réserve vis-à-vis de grands voisins, la Hongrie ou la Pologne, qui ont toujours un peu snobé ce peuple attachant et en quête d’affirmation d’identité. La Slovaquie est donc en quête de sa propre voie.

Jean-Christophe est une personne discrète, un observateur des choses du monde et de l’Europe qui a trouvé aux pieds des cimes des Tatras la sérénité à laquelle tout homme d’âge mûr aspire. Ce père de famille heureux trace lui aussi sa propre voie après des années de jeunesse parisienne où il s’est frotté aux musiques électroniques derrière les platines. Voilà le plaisir de vivre en Slovaquie à un autre rythme en somme.

Sa Lettre à la France

La France m’a doté d’une éducation, d’une histoire et de valeurs. Elle m’a protégé et a fait de moi plus qu’un citoyen : un Européen. Être français est une chance ! C’est un trésor ! Je lui dois en partie ce que je suis. Partir n’a fait qu’exacerber mon amour pour mon pays »

Jean-Christophe Robin

Rencontre avec Jean-Christophe Robin

Boris Faure : On sort d’une période d’élection européenne, tu en penses quoi ?

Jean-Christophe Robin : Au niveau national, le résultat est catastrophique, au niveau européen beaucoup moins. Il y a des radicalités des deux côtés avec un éventail central qui est démocratique. Le centre républicain est bien présent au parlement européen même s’il se fait grignoter. Ce n’est pas catastrophique au plan continental. Ce qui est inquiétant ce sont les piliers européens, la France et Allemagne, qui ont pour le coup rejeté l’Europe dans son ensemble. Les peuples de ces pays se servent du scrutin pour régler des comptes nationaux.

Boris Faure : Comment tu en es arrivé à être un promoteur de l’Europe qui vit en Slovaquie ?

Jean-Christophe Robin : Je suis né en 81. J’ai commencé à entendre parler de l’Europe avant la chute du mur. On parlait d’une Europe plus petite, centrée sur l’Ouest. L’Europe pour nous c’était celle des échanges de correspondants, du voyage en Angleterre ou du séjour en Espagne dans des familles d’accueil. Les enfants des familles d’accueil nous laissaient leur chambre et nous regardaient en chien de faïence ensuite. À l’époque, par la nourriture, par l’humour, par la culture on était assez loin des uns des autres. On restait très français, anglais, espagnols. 

Les tours de La Défense depuis les hauts de Seine nord – « Je suis né et j’ai grandi dans cette banlieue historique, où chaque jour je voyais les tours du quartier d’affaires s’élever. C’était pour moi le monde en mouvement. Ces tours m’ont permis de comprendre qu’il fallait toujours aller de l’avant. » Jean-Christophe Robin

Ensuite les choses ont évolué, avec des projets européens plus concrets et des déplacements plus fréquents puisqu’entre-temps le mur était tombé. Très tôt je commence alors à voyager vers la Roumanie, la Hongrie, la Croatie, au début des années 2000. Tout de suite cette Europe-là me paraît beaucoup plus palpable. Il y avait un désir de rencontre, un côté pionnier pour notre génération, on était les premiers à se parler.

De retour à Paris, je découvrais aussi les années couchsurfing. C’était l’ancêtre de Airbnb. On avait énormément de demandes pour être accueillis. Les invités logeaient dans le canapé du salon, faisaient leur visite touristique en journée pour découvrir la capitale, et le soir on sortait tous ensemble. On a reçu des Polonais, des Roumains…On s’est découvert des affinités.

On a mélangé nos cultures. Il y a eu un effet internet aussi, il y a un commun qui s’est mis en place avec la musique, la culture .  Quand je me déplace alors à l’est je réalise que les cultures se sont rapprochées.

Boris Faure : Comment en es-tu arrivé à t’installer en Slovaquie ?

Jean-Christophe Robin : On est dans les années 2010 à Paris. Dans cette ville européenne qu’est Paris et qui est très mélangée. Lors d’un évènement une de mes amies est accompagnée d’une copine slovaque. C’est l’été , Paris c’est la jeunesse et c’est la fête. On va nouer une relation et elle va me proposer de venir visiter la Slovaquie. Avec les grands pays autour, que ce soit l’Autriche, la Hongrie ou le rayonnement de la République tchèque, je suis heureux de découvrir ce pays moins connu qu’est la Slovaquie. Ce que je découvre ici, la nature et les gens, puis la profondeur de notre relation, me donne envie de revenir sur place très rapidement. Il y aura des allers-retours, une installation à Paris, puis l’arrivée des enfants qui naissent en Slovaquie. Car il est plus facile d’accoucher dans sa langue !

Avec le Covid et la montée des incertitudes on éprouve alors le besoin d’acheter une maison et de se stabiliser. Ce sera la Slovaquie plutôt que Paris. 

Boris Faure : Comment tu vois l’avenir, ce sera une retraite en Slovaquie ou en France ?

Jean-Christophe Robin : J’ai l’impression de toute façon qu’on aura toujours un pied dans les deux pays. Deux heures d’avion ou une dizaine d’heures de voiture. Ceux qui sont au sud de l’Espagne ou au Portugal ont en fait les mêmes distances que nous. Les Français ont l’impression que l’est et la Slovaquie c’est très loin alors que c’est faux. 

Les cimes Slovaques – « La sérénité des cimes est arrivée au moment parfait de ma vie. J’avais besoin de faire une pause, de respirer un instant, et de contempler la beauté de la nature. L’endurance se sublime dans la sobriété ». Jean-Christophe Robin

Boris Faure : Comment juges-tu le regard des Slovaques sur la France ?

Jean-Christophe Robin : Le côté multiculturel de la France est souvent pointé par les Slovaques. Mais sûrement de moins en moins. Je me rappelle d’une affiche politique pour les européennes de 2019 où on voyait la tour Eiffel et un croissant  accolé. L’affiche militait pour le refus de l’Europe. Les gilets jaunes qui bloquaient la France renvoyaient aussi une image de guerre civile dans l’hexagone. En Slovaquie certains avaient l’impression que les gens étaient armés et qu’on risquait des coups de couteau à tous les coins de rue de Paris. Aujourd’hui, dans ma province slovaque,  je croise désormais de temps en temps des personnes étrangères. On vit dans un monde en mouvement.

Boris Faure : Et le mot de la fin ?

Jean-Christophe Robin : C’est que les enfants sont arrivés dans une Europe en mouvement. Il nous appartient de maintenir l’espace de liberté qui s’est créé ici pour leur avenir à eux. Qu’on ne recrée pas de nouvelles frontières et de nouveaux murs. C’est notre devoir de protéger ce qui a été fait par nos aînés.

Auteur/Autrice

  • Boris Faure

    Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.

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