« Presque tout est magie dans les rapports entre hommes et femmes », dit Valéry. Alors Barbie descendit du paradis, Barbieland, dans le vrai monde. La poupée, caricature de la femme américaine, devient, dans une superproduction hollywoodienne, une comédie satirique ridiculisant le patriarcat. Le film, coproduit par Mattel, le fabricant de poupées, s’inscrit dans la lignée de Meetoo, et, selon le degré de féminisme qu’on lui accorde, dans l’expansion du wokisme. Film à gros budget (le lancement du film a coûté plus cher que le film : 150 millions de dollars, plus que le salaire de Neymar), il a déjà rapporté déjà plus d’un milliard de dollars (autant que touchera Ronaldo). Il a aussi multiplié les ventes de Mattel.
Atteinte à la morale publique, à l’ordre public et aux traditions, par l’introduction d’idées étrangères au sein de la société
La première Barbie se voulait révolutionnaire, selon sa créatrice, qui en avait assez de ne trouver pour les filles que des poupons à materner. Barbie est une femme, qui se complète avec mille accessoires, y compris Ken. Critiquée parce que caricaturale d’une Amérique blanche et blonde, la deuxième Barbie s’adapta à tous les types, tous les vêtements, cultures et traditions, mensurations, couleurs de peau. La troisième Barbie, enfin, celle du film, est la porte-parole d’un féminisme devenu pur produit de la machine à cash hollywoodienne, phénomène culturel, politique.
En Algérie, le film est interdit pour « atteinte à la morale ». Au Koweït aussi, comme « tout ce qui porte atteinte à la morale publique, à l’ordre public et aux traditions, par l’introduction d’idées étrangères au sein de la société ». Au Liban, parce qu’il ferait l’apologie de l’homosexualité. Le chef du Hezbollah, sans lequel rien ne se fait au Liban, considère que « tout homosexuel devrait être tué ». Ce n’était pas l’avis de certains califes, d’Al Amin (813), à Sélim 1er « le terrible » (1512), ouvertement amoureux des « jolis garçons ». Au Liban, hier tolérant, les responsables religieux des diverses communautés, y compris chrétiennes, ont condamné Barbie.
L’Iran a interdit les poupées Barbie depuis 1996. La Russie en 2002.
Au Pakistan, le Penjab a repoussé la sortie du film pour « contenu choquant ». Pendant ce temps, sans avoir besoin de Barbie, des manifestants brûlent des dizaines d’églises et chassent des familles chrétiennes pour blasphème.
L’Iran a interdit les poupées Barbie depuis 1996. Une copie, baptisée Sara, respectant le code vestimentaire, est en vente depuis 2002. Les Barbies se vendent sous le tchador. La police ferme les magasins pour saisir les poupées Barbie « signes de la culture permissive occidentale ».
Vladimir Poutine aussi a interdit Barbie, très tôt, en 2002, bien avant qu’il ne ferme le centre Sakharov, association de défense des droits de l’Homme. Selon le gouvernement russe, les jouets avaient des « effets nuisibles » sur les plus petits, ils « éveillent les pulsions sexuelles » et « encouragent la consommation ».
Malgré cela, alors que les enfants ukrainiens sont déportés en Russie, la Barbiemania a franchi les frontières de la guerre. Alors que le film n’est pas diffusé en Russie, des cinémas organiseraient des projections pirates. Célébrités et influenceuses russes postent des vidéos, se déguisent en rose. Des blogueurs, pourtant affiliés au régime, jouent à Ken et Barbie. Selon le Corrierre della serra, même des députés, vodka aidant, se seraient présentés à la Douma en rose. Barbie réussirait-elle là où les Femen ont échoué ?
En Arabie saoudite, les cinémas se peignent en rose. Au Maroc, Barbie bat les records d’entrées.
En Arabie saoudite, alors que le cinéma était encore interdit il y a huit ans, (comme le permis de conduire pour les femmes), Barbie remplit les salles, les cinémas se peignent en rose. Au Maroc, Barbie a battu les records d’entrées depuis la Covid. Au Qatar, en Egypte, en Irak, en Jordanie la sortie du film est provisoirement retardée. Jusqu’où le phénomène peut-il être aussi contagieux que les Printemps arabes ?
Pendant ce temps, les Gardiens de la Révolution iraniens poursuivent le répression des femmes, emprisonnent jeunes, artistes, chanteurs, cinéastes.
Que Barbie devienne un symbole de libération témoigne du génie de l’Occident
En Occident, Barbie est une comédie plus ou moins réussie, selon les goûts. Une preuve de la capacité de l’industrie hollywoodienne à récupérer modes et tendances, y compris « contestataires ». Ailleurs, il s’agit d’un combat à mort. D’un côté le conservatisme religieux, moral, politique, le rejet du monde moderne, de l’influence occidentale. De l’autre, la force des mythes, des images, des envies, des désirs, l’aspiration à l’insouciance, la joie, en somme, à la liberté. L’impérialisme culturel occidental est multiforme, vicieux : Satan rose bonbon.
Que Barbie devienne un symbole féministe est un tour de force. On la croyait plutôt un standard d’aliénation genré. Qu’elle devienne un symbole de libération témoigne du génie de l’Occident pour récupérer, transformer n’importe quelle mode, objet, couleur, et exprimer une envie d’ailleurs, une fête provocatrice, et la vendre. La bêtise de l’anti-Occident est de censurer Barbie, ou, en Chine, Winnie l’Ourson. Tout pouvoir tyrannique craint le comique, la caricature, le rire.
Tout mythe évolue, se métamorphose, et toute métamorphose libère. « Les mythes sont les âmes de nos actions et de nos amours. Nous ne pouvons agir qu’en nous mouvant vers un fantôme. Nous ne pouvons aimer que ce que nous créons. » poursuit Paul Valéry. En politique aussi. Comment interdire un mythe ? Comment interdire le rose ? La seule force qui peut l’emporter sur la bêtise ce n’est pas la science, c’est la liberté.
Après « Je suis Charlie », « Je suis Barbie » est un défi plus sournois encore : elle descend du paradis.
Quand un attentat tua à Charlie hebdo, journal irrévérencieux mais confidentiel, quarante-quatre chefs d’Etat vinrent à Paris, accompagnés de millions de manifestants proclamant « Je suis Charlie ». Aujourd’hui, des provocateurs brûlent le Coran en Suède. L’ambassade de suède est brûlée à Bagdad. Les ambassadeurs suédois expulsés d’Irak et d’Iran : l’Organisation de Coopération Islamique demande à la Suède de légiférer contre de telles profanations. Mais en Suède, qui a relevé son niveau d’alerte terroriste, le blasphème n’est pas un délit. « Je suis Barbie » est un défi plus sournois encore : elle descend, elle aussi, du paradis.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
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