Intelligence artificielle : de l’eldorado à la bulle

Intelligence artificielle : de l’eldorado à la bulle

Si l’intelligence Artificielle devait avoir une capitale, ce serait sans doute Ashburn, au nord de la Virginie, en périphérie de Washington. Les passagers attentifs installés côté hublot, à l’approche de l’aéroport de Washington Dulles, peuvent apercevoir une série de bâtiments aux toits blancs, alignés à proximité de lotissements. Ce sont les toits des centres de données, éléments du plus important cluster mondial, lequel a absorbé l’an dernier plus du quart de l’électricité produite par la principale compagnie d’énergie de Virginie. Malgré les incertitudes générées par la politique de Donald Trump, les investissements consacrés aux infrastructures de l’Intelligence Artificielle (IA) ne ralentissent pas.

L’IA : 40 % de la croissance du PIB

Un sixième de la progression de 2 % du PIB américain au cours des douze derniers mois provient des dépenses en matériel informatique et en équipements de communication, incluant semi-conducteurs et centres de données. En ajoutant les investissements dans les réseaux électriques pour alimenter les modèles d’IA, ainsi que la valeur de la propriété intellectuelle du logiciel, une estimation attribue à cette dernière jusqu’à 40 % de la croissance du PIB.

Ce chiffre est impressionnant au vu du poids économique réel de ce secteur qui ne représente, en effet que quelques pour cent du PIB américain.

Une frénésie pas comme les autres

L’essor de l’IA ne ressemble pas aux précédentes vagues d’investissements technologiques. Jusqu’à récemment, les grandes entreprises technologiques finançaient ces dépenses à partir de leurs bénéfices et de leurs trésoreries. Désormais, l’ampleur des besoins pour l’IA impose le recours à l’endettement. Les entreprises construisent des centres de données en considérant que l’IA générera, d’ici quelques années, une croissance élevée rendant nécessaire la mise à disposition de puissance de calcul importante.
 
Contrairement à l’immobilier résidentiel ou aux usines, il s’agit ici d’un marché « winner takes all », à très forte rentabilité potentielle, où les préoccupations ordinaires, comme le coût du crédit, sont pour le moment écartées. Les entreprises du numérique dans leurs projets d’investissement ne considèrent pas les coûts comme un obstacle. Ainsi, la hausse des taux d’intérêt ou celle de l’électricité ne sont pas des facteurs discriminants pour l’engagement d’investissements de grande ampleur. Les projets de centres de données à l’échelle avec une consommation d’énergie équivalente à celle d’une ville de plusieurs dizaines de milliers d’habitants, se multiplient aux Etats-Unis. Les réseaux électriques américains se préparent à des tensions croissantes avec des risques de rupture.

L’ombre du précédent internet

Au regard du précédent de la bulle internet de la fin des années 1990, la frénésie d’investissement dans l’IA pourrait perdurer quelque temps. Le déploiement coûteux des technologies nécessaires au web avait duré plusieurs années, avec un effet bien plus marqué sur le PIB américain que celui observé jusqu’ici avec l’IA. La différence entre ces deux périodes est que les espoirs de gains avec l’IA sont plus importants que ceux qui étaient évalués avec Internet. Certes, depuis quelques mois, les espoirs de révolution économique via l’IA s’estompent. La déception générée par le modèle GPT5 d’OpenAI a tempéré les ardeurs.

Un moteur qui pèse sur le reste de l’économie

Le paradoxe est que le secteur qui alimente une grande partie de la croissance américaine étouffe simultanément d’autres pans de l’économie. Les promoteurs immobiliers, par exemple, ne peuvent ignorer la flambée des coûts de financement. Nombre d’entreprises ordinaires non plus. Les centres de données entretiennent une pression haussière sur les prix de l’énergie. En 2025, la facture moyenne d’électricité des ménages américains a déjà progressé de 7 %, en partie à cause de la demande supplémentaire exercée par ces infrastructures.

Intelligence artificielle
Intelligence artificielle

Au-delà de l’IA, le tableau économique apparaît beaucoup plus terne. La consommation réelle stagne depuis décembre. La création d’emplois reste faible. La construction de logements est en chute libre, tout comme l’investissement des entreprises dans des secteurs non liés à l’IA.

Une réallocation à l’échelle de l’économie

En clair, l’économie américaine vie une phase de mutation. Les secteurs sensibles aux taux et à l’énergie contribuent moins à la croissance, tandis que l’investissement dans l’IA devient le principal moteur. Pour que cette dynamique perdure, les géants de la tech doivent poursuivre, voire intensifier, leurs dépenses. Le moindre ralentissement des investissements provoqué, par exemple, par des contraintes d’approvisionnement en énergie ou en semi conducteurs, réduirait mécaniquement le soutien à la croissance globale.
 
Un tel coup de frein aurait certes pour effet secondaire de détendre les taux d’intérêt et les prix de l’énergie, soulageant ainsi le reste de l’économie. Une chute des investissements liés à l’IA priverait les États Unis d’un moteur de croissance majeur, au moment même où le reste de l’économie montre des signes de fragilité.
 
L’augmentation des droits de douane réduira le pouvoir d’achat des ménages dans les prochains mois. L’éclatement de la bulle de l’IA aurait des incidences fortes sur la croissance en mettant un terme aux investissements et en diminuant le pouvoir d’achat des ménages américains qui dépend en partie de la bonne tenue des cours boursiers et notamment de ceux des valeurs technologiques.
 

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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