En 2013, le délit d’ «offense au chef de l’Etat », a été supprimé après un avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Depuis, les offenses au Chef de l’Etat se multiplient … de la part d’autres chefs d’Etat. Les citoyens, eux, restent bien élevés.
Erdogan insulte Macron, comme Bolsonaro, Trump, ou Rohani. Cela ne les empêche pas, ensuite, de se parler. Le nouveau Président algérien lui aussi s’est senti insulté, parce qu’il n’avait pas été chaleureusement félicité par Macron. Macron, qui s’était contenté de prendre note d’un semblant d’élection, s’est rattrapé ensuite d’un coup de téléphone personnel et « chaleureux ». On imagine la chaleur.
Emmanuel Macron n’est pas le seul à recevoir des compliments. Trump s’est fâché avec Trudeau, deux fois déjà, il s’est senti moqué. Maduro insulte volontiers Américains et Européens, pour imiter Chavez. L’insulte serait devenue une formule à la mode des messages diplomatiques.
Louis XIV menaça de guerre le Pape pour une altercation entre la garde pontificale (corse) et celle de l’Ambassadeur de France. L’Angleterre menaça Venise d’une guerre, car la République avait suspecté l’Ambassadeur anglais de contrebande, ce qui était vrai. Napoléon III, à cause de la provocation insultante de la dépêche d’Ems, déclara la guerre qui ruina son Empire, la France, puis l’Europe. Il faut donc se réjouir d’entendre les Grands de ce monde s’insulter sans qu’il y ait de conséquences. Loin de croire à un affadissement des mœurs, il faut saluer le triomphe de la raison sur les petits egos des Grands.
Tout n’est pas bon dans l’insulte. Ni chez les puissants, ni chez les gens. Injure est une atteinte à l’honneur qui demande justice (in-iuria, in-juste). En fait, l’injure ne grandit pas son homme, celui qui la crache : la réputation des Bolsonaro, Maduro, Trump, Erdogan, ne les aide pas. Sauf chez leurs partisans, évidemment, qui voient dans ce style franchise et démonstration de force. Car on suppose toujours qu’insulter quelqu’un est un défi de puissance. Si les Chefs d’Etat s’insultent, c’est pour se donner un coté populaire, viril et fort. Comme si être mal élevé faisait peuple. Cette nouvelle pratique obéit donc à la vieille règle de la diplomatie, la première et la plus importante de toute, qui veut que toute politique étrangère trouve sa raison première dans la politique intérieure.
Le nouveau Président algérien se vexe contre la France parce qu’héritier du FLN, le régime qu’il incarne s’est toujours fâché contre la France. Il cultive sa base, ce qu’il en reste. Erdogan insulte Macron, parce que Macron est le chef d’un pays qui a reconnu le génocide arménien, que la France représente l’ancien modèle de la laïcité turque qu’il combat, qu’elle soutient les Kurdes. (Ambassadeur au Conseil de l’Europe, je me souviens m’être levé et parti lorsqu’Erdogan, déjà, s’était moqué de la France. Le Ministre Davutoglu l’avait excusé. Il a aujourd’hui pris ses distances avec Erdogan.) Bolsonaro insulte Macron (et Brigitte) pour flatter son électorat macho. Inversement, quand Trudeau se moque de Trump, il fait plaisir aux libéraux canadiens et à son électorat. Il ne s’agit que rarement de politique étrangère.
Ce qui paraissait indigne d’un chef d’Etat hier parait aujourd’hui commun. Seuls les vieux de la vieille, Poutine, Merkel, Xi Jinping, Shinzo Abe, restent muets, polis, courtois, à l’ancienne. Le populisme ne les atteint pas.
Merkel s’énerve contre Macron quand il cède à la provocation inutile, sur l’OTAN ou la Pologne. Les Chinois n’ont jamais un mot plus haut que l’autre. Ennuyeux peut-être, comme certains diners diplomatiques. Efficaces, aussi : Ne jamais se mettre en position de faiblesse. Quand on arrive en retard, on doit s’excuser. Aussi ne jamais être en retard. Quand les mots vont trop loin, il faut les rattraper. Réfléchir avant. Quand on se moque, il faut se faire pardonner. Ni moquerie, ni pardon. Plaisir d’insulte ne dure qu’un moment, son souvenir dure toute la vie. Bref, les Chefs d’Etat se comportent comme des amateurs.
Curieusement, la loi française a donc pris soin de maintenir le délit d’outrage, non pour les chefs d’Etat, mais pour les Ambassadeurs et les agents diplomatiques. Afin qu’ils travaillent sereinement, y compris Noël et jours de l’an, comme les gendarmes, pilotes et conducteurs de train, quand ils ne sont pas en grève, en évitant les bêtises des matamores.
Pour passer de bonnes fêtes, et pour l’an prochain, ne pas accorder trop d’importance aux gros mots des trop grands de ce monde.
Bonnes fêtes !
Laurent Dominati
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
Laisser un commentaire