L’industrie de l’armement européenne en ordre de marche

L’industrie de l’armement européenne en ordre de marche

La mobilisation européenne en faveur de la défense s’est traduite par une forte augmentation du cours des valeurs de ce secteur d’activité. En Allemagne, les annonces du 4 mars de Friedrich Merz, le prochain chancelier allemand, ont eu un effet direct sur les cours. Son objectif est, en effet, d’exempter les dépenses de défense supérieures à 1 % du PIB des règles budgétaires européennes et de créer un fonds d’infrastructure de 500 milliards d’euros.

Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, les entreprises de défense étaient peu attractives sur le plan boursier. En Allemagne, le conglomérat spécialisé dans le militaire, Rheinmetall, ne faisait même pas partie des 40 membres de l’indice boursier DAX. Les fonds européens utilisant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) refusaient, par nature, les actions des entreprises de défense. Celles-ci étaient également rejetées des fonds labellisés ISR ou article 8 selon la taxonomie européenne. Les entreprises de l’armement européennes ne pouvaient pas, non plus, compter sur la demande intérieure, relativement faible. À l’exportation, l’obtention des marchés est âpre et obéit à des considérations géopolitiques complexes.

Dassault produisait un ou deux Rafale par mois ; il doit passer à cinq.

Après des années de vaches maigres, les entreprises de l’armement sont désormais confrontées à un nouveau défi : l’augmentation des cadences de production. Devenues des artisans, elles doivent renouer avec leur passé industriel. En France, Dassault produisait un ou deux Rafale par mois ; il doit passer à cinq. En 2022, la production des canons français CAESAR était d’environ deux unités par mois. Cette cadence a été augmentée à six unités par mois en octobre 2023 et devrait atteindre la douzaine en 2025.

Ce relèvement des cadences de production crée des tensions sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Le manque de compétences humaines est également un frein à l’augmentation de la production.

© Envato

Même si l’objectif des Européens est de favoriser les entreprises du Vieux Continent, ces derniers sont contraints de faire appel aux sociétés américaines. Afin de répondre à la demande et de substituer une production européenne à celle des États-Unis, plusieurs projets d’envergure ont été lancés. En février dernier, l’entreprise franco-allemande du secteur de la défense KNDS (ex-Nexter) a repris une usine de production de trains d’Alstom pour construire des chars (Leopard 2 et véhicules blindés Boxer). L’entreprise allemande spécialisée dans l’électronique militaire, KNDS, a conclu un accord avec l’entreprise norvégienne Ritek pour la construction d’une usine également dédiée à la fabrication de chars de combat Leopard 2.

La Direction générale de l’armement (DGA) française a signé un accord-cadre de sept ans avec KNDS France et Safran Electronics & Defense pour développer le programme DROIDE. Ce programme vise à moderniser les capacités militaires françaises en intégrant des systèmes autonomes et des plateformes robotiques terrestres, avec des applications prévues entre 2030 et 2035.

Une augmentation de 20 à 50 % du chiffre d’affaires.  

Hensoldt est en pourparlers avec deux grands fournisseurs de pièces détachées automobiles, Bosch et Continental, pour embaucher une partie de leur personnel. Tous deux suppriment des emplois et ferment des usines car la production de véhicules est en forte baisse. Rheinmetall a également conclu un accord avec Continental pour offrir des emplois dans sa nouvelle usine de munitions d’Unterlüss, en Basse-Saxe.

Les entreprises de défense européennes affichent des objectifs ambitieux, visant une augmentation de 20 à 50 % de leur chiffre d’affaires. Hensoldt prévoit même de doubler son chiffre d’affaires, passant de 2,2 milliards d’euros l’année dernière à 5 milliards d’euros d’ici 2030. Rheinmetall vise un volume de ventes de 20 milliards d’euros en 2027, contre 10 milliards en 2024. À terme, l’entreprise ambitionne d’atteindre 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Pour financer leur développement, ces entreprises comptent sur les commandes publiques, mais aussi sur des capitaux privés et européens, avec l’intervention de la Banque européenne d’investissement. La création de fonds dotés par les institutionnels et faisant appel à l’épargne publique est une piste de plus en plus évoquée.

L’industrie de la défense européenne, longtemps marginalisée par des contraintes budgétaires et des exigences ESG (Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), connaît une profonde mutation sous l’effet des tensions géopolitiques et de la volonté des États de renforcer leur souveraineté stratégique. L’accélération des cadences de production, la restructuration industrielle et la recherche de financements adaptés sont autant de défis à relever pour garantir une autonomie militaire européenne. La question de la coordination entre les différents pays et acteurs industriels demeure toutefois un enjeu majeur pour assurer la cohérence et l’efficacité de cet effort de réarmement.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire