Imposition à la nationalité française, possible ou chimère ?

Imposition à la nationalité française, possible ou chimère ?

Alors que Sophie Primas a martelé que la taxe à la nationalité française n’est pas un objectif lors de l’Assemblée des Français de l’étranger, qui s’est déroulée la semaine dernière à Paris, le jeudi 17 octobre en fin d’après-midi, la commission des finances de l’Assemblée nationale a voté quant à elle un nouvel amendement instaurant un impôt universel pour les Français ayant résidé au moins trois ans en France et vivant désormais dans des pays où la fiscalité est plus de 50% inférieure à celle de la France. Une disposition dont le patron du dit organe parlementaire, le député de La France Insoumise, Éric Coquerel, a avoué que la rédaction n’était pas correcte et qui sera donc remodelée mais qui démontre la volonté du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement national de sacrifier les Français de l’étranger sur l’autel de la rigueur.

Les objectifs de la mesure ?

Cette mesure vise à lutter contre l’exil fiscal, affectant notamment les résidents français à l’étranger, y compris les investisseurs crypto dans des pays comme le Portugal ou Dubaï. Combinée à l’augmentation prévue de la Flat Tax de 30 % à 33 % pour 2025, cette initiative reflèterait, selon ses soutiens, les efforts de la France pour aligner sa politique fiscale sur d’autres pays européens et lutter contre l’évasion fiscale.

Cependant, et il est de taille, les conventions fiscales existantes pourraient atténuer largement l’impact de ce vote. Car, faut-il rappeler la hiérarchie des normes ? En effet, le droit international prime sur le droit européen qui prime sur le droit national qui prime sur les mesures locales. Ainsi, une convention fiscale primera sur la loi française. L’Assemblée nationale ne risque-t-elle pas, au final, de démontrer les limites de son pouvoir au lieu de marquer le retour d’une souveraineté fiscale ?

Quels pays appliquent l’imposition au passeport ?

La réponse est assez facile, un seul, les Etats-Unis d’Amérique ! Car il faut être un pays puissant pour imposer l’universalité de sa fiscalité à tous les pays. Car sur le reste de la planète, c’est le concept de résidence qui est pris en compte. Ces deux systèmes sont très opposés philosophiquement.

En matière d’impôt sur le revenu, les États-Unis se différencient donc des autres pays : c’est en effet le concept de citoyenneté qui prévaut. Les citoyens américains, qu’ils vivent sur le territoire national ou à l’étranger, sont assujettis à l’impôt sur le revenu fédéral. Les revenus imposables comprennent ainsi tous les revenus perçus sous la forme d’argent, de marchandises, de biens et services, même s’ils sont perçus sur des activités réalisées hors des USA.

Imposition à la nationalité française, possible ou chimère ? - @adobestock
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Trois dispositifs leur permettent d’alléger leur contribution : la réduction de l’assiette imposable par la déduction des revenus du travail d’origine étrangère ; le crédit d’impôt compensant les impôts payés à l’étranger et la réduction de l’assiette imposable par la déduction des impôts payés à l’étranger. Ces dispositifs, précisés dans les conventions fiscales afin d‘éviter les situations de double imposition, ne sont pas cumulables. Pour procéder au contrôle des obligations fiscales de leurs citoyens, les États-Unis ont instauré le dispositif Fatca qui oblige les institutions financières et les particuliers à transmettre les informations bancaires à l’administration américaine sous peine de sanction financière.

Pourquoi l’instaurer en France ?

Pour les partisans de l’instauration d’une imposition universelle, au passeport ou à la nationalité, cet impôt sur le revenu fondé sur la citoyenneté permettrait de neutraliser les comportements opportunistes visant à quitter le territoire national pour des raisons fiscales. Ces départs, évalués récemment dans un rapport de la Direction générale des finances publiques (DGFiP, rapport disponible sur le site « études fiscales internationales »), provoquent un manque à gagner budgétaire et alimenteraient le sentiment d’une fiscalité à deux vitesses chez nos compatriotes dans l’hexagone.

Est-ce possible légalement ?

Un impôt fondé sur la citoyenneté ne remettrait pas en cause les grands principes de consentement à l’impôt et d’égalité devant l’impôt. De la même manière, s’agissant du cadre européen, il ne heurte pas le principe de non-discrimination (les ressortissants européens résidents en France seraient redevables du même impôt) ni de libre circulation (même si ce point mérite une expertise au regard des débats chaotiques sur « l’exit-tax »).

Et ce d’autant plus que, dans l’éventualité d’une mise en place d’un impôt fondé sur la citoyenneté, les ressortissants nationaux bénéficieraient de dispositions prévues dans les conventions fiscales pour ne pas subir de double imposition. Au surplus, les traités ne prévoient pas d’harmonisation fiscale en matière d’impôts directs (qui restent de la compétence exclusive des États-membres) en dehors du respect des grands principes évoqués ci-dessus.

Cela étant dit, il est vrai qu’un changement aussi profond que celui-ci nécessiterait une révision de l’ensemble des conventions fiscales bilatérales dont la France est signataire (128 signés en avril 2019). Changer de système supposerait donc de longues discussions avec les autres États. 

Quel mécanisme d’imposition serait mis en place ?

L’amendement récemment adopté par l’Assemblée nationale modifie, donc, l’article 4 bis du code général des impôts pour instaurer un système d’imposition qui s’étend aux personnes de nationalité française ayant résidé au moins trois ans en France au cours des dix dernières années et qui ont ensuite déplacé leur résidence fiscale vers un État dont la fiscalité est de plus de 50% inférieure à celle de la France.

Ces personnes, bien que résidant hors de France, seront désormais soumises à une imposition supplémentaire sur leurs revenus du travail, du capital et du patrimoine.

Toutefois, elles bénéficieront d’un crédit d’impôt équivalent à celui qu’elles auront déjà payé dans leur pays de résidence. Cette mesure vient directement contrer l’exil fiscal vers les paradis fiscaux et vise à garantir que les contribuables les plus fortunés ne puissent plus éviter de contribuer au budget national simplement en déménageant vers des pays à fiscalité réduite.

Imposition à la nationalité française, possible ou chimère ? - @adobestock
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Pour les Français résidant à l’étranger, notamment dans des juridictions populaires pour leur régime fiscal favorable — souvent prisées par les investisseurs crypto — cette nouvelle réglementation pourrait bouleverser la gestion de leurs actifs. Les résidents français dans des pays comme le Portugal ou encore Dubaï, où les plus-values cryptos sont faiblement ou non imposées, devront désormais tenir compte de cette nouvelle imposition universelle

Toutefois, on le répète encore une fois, l’amendement prévoit que l’ensemble des centaines de conventions fiscales déjà signées par la France avec d’autres pays soient respectées. Ainsi, ce texte n’aura, à court terme, finalement que peu d’impact, puisque la France a déjà signé des conventions fiscales avec la majorité des pays du globe. Mais rien n’empêchera l’administration fiscale de rouvrir les négociations. Des conventions en attente de ratification comme en Belgique pourraient être tout simplement annulées pour être refondées avec cette nouvelle disposition. Mais faut-il encore qu’elle soit définitivement adoptée ?

Le vote en commission est déjà une étape importante, dans un cadre classique, elle marquerait simplement son adoption à venir dans la Loi de Finances 2025. Mais, l’amendement sur l’impôt universel est un des 200 amendements que cette commission des finances a adoptés. Or, au moment de se prononcer au final sur l’ensemble des modifications de la première partie de la Loi de Finances (les recettes), les députés de cette même commission ont rejeté l’ensemble du texte amendé. 29 voix contre 22 ! On repart donc au projet initial du gouvernement. Pour autant, ce type de disposition comme celui de l’impôt universel, quand il est rejeté d’un côté, peut très bien revenir à un moment donné par une autre voie. Toutefois, dans une Assemblée divisée, et avec la forte probabilité que le budget passe aux forceps à coup de 49.3, le gouvernement Barnier pourrait tenir son engagement et ne pas l’instaurer ! La réponse dans quelques semaines.

Auteur/Autrice

  • Loic Pautou est un jeune Français parti en VIE au Vietnam et qui n'est jamais revenu. Propriétaire d'une agence de tourisme à Hanoï, il écrit aussi pour Lesfrancais.press et le Guide du Routard.

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