Le coronavirus est un trou noir. Il aspire tout. Toute l’information mondiale a disparu derrière des chiffres que personne, jusqu’à présent, n’arrive à bien interpréter, si tant est qu’ils correspondent à ce qu’on leur fait dire.
La guerre en Syrie, oubliée. Celle du Yémen aussi. Les résurgences de Daech en Irak, au Mozambique, au Sahel, invisibles. Les incursions d’Erdogan à Chypre, en Grèce, en Lybie minorées. La guerre d’Israël contre l’Iran, la répression en Algérie, à Hong Kong, les manœuvres de Poutine, d’Orban, la faillite de l’Argentine, de Cuba, du Liban, la catastrophe annoncée dans plusieurs pays africains, la suspension des droits sociaux en Inde, les expulsions en Afrique et au Moyen-Orient, les migrations, les attentats religieux au Nigeria, ce désordre du monde, trop banal, est absorbé par la contemplation du virus qui n’est rien d’autre qu’un nombrilisme viral.
En dehors du virus, rien. Etrange de constater à quel point un phénomène mondial ramène à un tel rétrécissement moral, à la seule préoccupation de soi. Pendant que l’on ausculte sa propre (in)capacité à supporter l’isolement, à contempler son angoisse, regarder ses écrans, s’inventer des vies tragiques dans son cocon, le monde, en silence, poursuit sa route.
Pour la première fois dans l’histoire récente, lors d’une crise mondiale, les Etats-Unis n’ont rien à dire, ne disent rien, d’ailleurs personne n’attend rien d’eux. La Chine séduit et se durcit, envoie ses diplomates, surnommés « les loups-guerriers » sur la route de la soie et tente, comme avant la crise, de faire main basse sur Hong Kong, en attendant Taïwan. Son allié nord-coréen, l’ami de Trump, annonce le renforcement de son arsenal nucléaire. La Russie de Poutine rêve toujours de voir l’Union européenne se disloquer, objectivement alliée cette fois aux Américains et aux Britanniques, orphelins du Brexit. La géopolitique, malgré le virus, continue de jouer la musique des plaques tectoniques impériales, vieilles et nouvelles.
L’Europe, par la France et l’Allemagne, comme il se doit, (parce que la Commission n’est que le noeud de l’Alliance, mais l’Alliance européenne c’est d’abord la France et l’Allemagne) a décidé de rester elle-même, aussi désespérément lente que résiliente : elle fera front, unie, face à la récession, au chômage, aux risques de faillites, celles des entreprises, grosses et petites, celles des Etats.
(Pour la centième fois en dix ans, ceux qui ont annoncé la fin de l’Europe se sont trompés, comme ils se tromperont toujours. Parce que malgré tous ses défauts, l’UE est nécessaire. Ce n’est pas parce qu’on critique la Sécu qu’on la supprime. Surtout quand on est malade.)
Quoique l’on dise, jusqu’à présent, la mondialisation des échanges a sorti des centaines de millions de gens de la pauvreté. En Europe, en Asie, en Orient, en Amérique. Et même en Afrique. Sa régression produira l’effet inverse. Surtout en Afrique. Le recul de la pauvreté a coïncidé avec des progrès du droit et de la liberté.
Quoique l’on dise, à chaque fois que les peuples ont eu le choix entre des modèles libéraux et des régimes autoritaires, ils ont fait le choix des démocraties. Y compris en Asie. (C’est bien ce que Xi Jinping ne supporte pas). Tout le monde s’extasie sur la Chine, mais Taïwan, la Corée, le Japon, Hong Kong, Singapour ont réalisé des performances bien avant elle, bien supérieure à elle. En construisant des démocraties.
Aujourd’hui, si les Etats-Unis démissionnent, si l’Europe se bloque, qui ira vanter les mérites des régimes de liberté contre l’empire de Xi Jinping et sa société de surveillance ?
Avoir comme seule ambition le retour (illusoire) des industries délocalisées revient, au moment où la planète est de plus en plus petite, à oublier toute ambition d’ordre mondial, et à perdre. L’enfermement n’est ni une politique de santé publique, ni une politique économique, parce qu’une politique nationale ne peut être imaginée qu’au niveau mondial.
Vous voulez exporter ? Implantez-vous à l’étranger. Vous voulez être entendu ? Ouvrez des écoles partout dans le monde. Vous voulez des vaccins ? Envoyez des chercheurs étudier dans le vaste monde. Vous voulez vous défendre ? Faites une armée capable d’intervenir loin de chez vous. Produisez des armes avec vos alliés. Vous voulez lutter contre le crime organisé, celui des faux médicaments, de la drogue, de la traite, des cyberattaques ? Renforcez la diplomatie judiciaire. Lutter pour la biodiversité ? Parcourez les mers !
Le virus est dans la tête. Focalisant l’attention des dirigeants et des citoyens sur la maladie, il a les a enfermés mentalement. Les rêveries sur le monde d’après ne changent rien : aucune crise n’a disparu, elles se sont aiguisées. Il faut en prendre sa part. Les pays riches, même en crise, sont beaucoup plus forts qu’ils ne le croient. Ils ne s’affaiblissent qu’en baissant la tête, en refusant de voir le monde tel qu’il est : un monde toujours en lutte, toujours souffrant. Comme s’il n’y avait qu’un virus qui puisse être mortel, qu’il ne se passait, hors de son spectre, rien.
Les Français qui vivent à l’étranger doivent être les premiers à faire savoir à ceux qui sont en France que le monde bouge plus vite qu’ils ne le croient.
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