Hong Kong : la menace du déclassement

Hong Kong : la menace du déclassement

Hong Kong doit sa richesse à son port franc. Avec sa politique, Donald Trump pourrait mettre un terme à un essor plus que centenaire de ce territoire atypique. En 1842, le traité de Nankin, qui met fin à la première guerre de l’opium, cède l’île de Hong Kong au Royaume-Uni dont l’objectif est de contrôler un port en eaux profondes, libre d’accès, bien placé pour commercer avec le sud de la Chine. Hong Kong devient rapidement un port de commerce international. Grâce à son statut de port franc, les marchandises peuvent y transiter sans droits de douane ni barrières tarifaires.

À la fin du XIXe siècle, la ville est le port clé de l’Asie pour le thé, la soie, les épices, les produits manufacturés ou les minerais. Les bateaux d’Europe, d’Inde, de Chine et du Japon y accostent. Après 1949 et la fondation de la République populaire de Chine, Hong Kong devient une porte de sortie pour ce pays vers le monde capitaliste. Sur les territoires achetés progressivement, une industrie liée aux activités portuaires se développe (textile, électroménager, logistique, finances).

Lors du premier mandat de Donald Trump, la ville perd son statut économique spécial

Toujours en s’appuyant sur le port, Hong Kong, dans les années 1980, se spécialise dans les services haut de gamme, que ce soit dans le négoce, la banque ou l’assurance. En 1997, malgré la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le statut de port franc est maintenu sous le principe « un pays, deux systèmes », inscrit dans la Loi fondamentale. Néanmoins, progressivement, la montée en puissance des ports chinois (Shenzhen, Shanghai, Ningbo) réduit l’activité du port de Hong Kong.

Plus grave encore, lors du premier mandat de Donald Trump, la ville perd son statut économique spécial qui avait été institué en vertu du Hong Kong Policy Act de 1992. Ce statut permettait à Hong Kong d’échapper aux sanctions commerciales imposées à la Chine. Mais aussi de continuer à commercer librement avec les États-Unis et de rester un hub de réexportation pour des biens chinois transformés ou simplement transitant par Hong Kong. Désormais, les produits hongkongais sont traités comme des produits chinois. Ils sont soumis aux mêmes droits de douane que ceux venant du continent.

Hong Kong n’est plus que le 9e port mondial, il occupait la 5e place dix ans plus tôt. 

Les accords commerciaux préférentiels avec les États-Unis ont été suspendus. Le commerce de réexportation, qui représentait près de 90 % du commerce total de marchandises à Hong Kong, a été fortement affecté. Les flux commerciaux avec les États-Unis ont rapidement diminué. Le port de Hong Kong a enregistré une baisse du nombre de conteneurs, passant de 19,6 millions de TEU en 2017 à 14,3 millions en 2023, puis 12 millions en 2024. Il n’est plus que le 9e port mondial, alors qu’il occupait la 5e place dix ans plus tôt.

Le relèvement des droits de douane à l’encontre de la Chine, décidé le 2 avril dernier, touche de plein fouet Hong Kong. Dans le canal Rambler, principal lieu du port franc, dont les quais s’étendent sur plus de 7 kilomètres, les portiques, capables de desservir jusqu’à 24 navires simultanément, sont en sous-activité. Avec des droits dépassant les 100 % pour les produits chinois importés aux États-Unis, et pour les exportations américaines vers la Chine (à l’exception des ordinateurs et des smartphones), Hong Kong craint pour l’avenir de son port.

Même si des accords sont trouvés dans les prochaines semaines, les tarifs douaniers resteront de toute façon plus élevés que ces dernières années. Ils devraient se situer entre 10 et 25 % au minimum. Ils concerneront non seulement la Chine mais aussi les pays qui utilisaient le port de Hong Kong pour leurs exportations.

Hong Kong n’est plus que le 9e port mondial, il occupait la 5e place dix ans plus tôt. 
Hong Kong n’est plus que le 9e port mondial, il occupait la 5e place dix ans plus tôt. 

Par ailleurs, à partir du 2 mai prochain, les colis en provenance de Chine d’une valeur inférieure à 800 dollars seront soumis à des droits de douane et à des exigences de documentation coûteuses, auxquels ils échappaient auparavant. Les exportations américaines vers la Chine pourraient se tarir. Les autorités chinoises ont déjà placé plusieurs entreprises, dont PVH (propriétaire de Calvin Klein), sur leur liste d’« entités peu fiables », justifiant un examen et des restrictions commerciales. Elles ont décidé de restreindre la fourniture de pièces à certains fabricants de drones américains et ont limité la vente de métaux rares vers les États-Unis. Elles pourraient également interdire les importations de volaille américaine ou d’autres produits agricoles, comme le soja et le sorgho.

Autre mauvaise nouvelle pour Hong Kong, qui joue un rôle de plaque tournante dans les services : la Chine pourrait imposer des restrictions sur ceux d’origine américaine. Un document publié par le ministère chinois du Commerce souligne que les États-Unis enregistrent un excédent commercial avec la Chine dans ce domaine. Si la Chine utilisait la même formule que les États-Unis pour calculer ses droits de douane réciproques, elle pourrait imposer une taxe de 28 % sur les services américains.

Les États-Unis souhaitent se « découpler » de la Chine, mais celle-ci pourrait faire de même.

Elle pourrait aussi enquêter sur la propriété intellectuelle détenue par les entreprises américaines, suspectées de constituer des monopoles générant des profits excessifs. Les États-Unis souhaitent se « découpler » de la Chine, mais celle-ci pourrait faire de même. Les relations commerciales entre les deux superpuissances connaissent peut-être un creux « cyclique », mais elles sont aussi en déclin structurel. Cela pourrait nuire aux grands ports chinois, au premier rang desquels figure Hong Kong.

Les dirigeants chinois estiment que Donald Trump reculera par crainte d’une défaite électorale aux élections de mi-mandat (Midterms). Avant le relèvement des droits de douane, la banque JPMorgan Chase estimait que les États-Unis avaient 60 % de chances de tomber en récession, avec 40 % de probabilité d’entraîner l’économie mondiale avec eux. Pour plus d’un tiers des produits importés par les États-Unis, la Chine est le principal fournisseur, répondant à 70 % ou plus de la demande.

La guerre commerciale pourrait plus que doubler le prix de ces biens, générant un tsunami inflationniste, une baisse de la consommation et une attrition du pouvoir d’achat des Américains.

La politique de Donald Trump pourrait également provoquer une récession en Chine, avec un risque de spirale déflationniste. Selon Goldman Sachs, une hausse de 50 % des droits de douane américains — scénario auquel la Chine faisait face avant ses mesures de rétorsion — aurait réduit le PIB chinois d’environ 1,5 %. Une hausse de 125 % l’amputerait de 2,2 % cette année.

La guerre commerciale a éclaté avec une rapidité et une férocité que la Chine n’avait pas anticipées. Les dirigeants chinois ont annoncé qu’ils étaient prêts à intensifier leurs efforts de relance économique si nécessaire. En abaissant les taux d’intérêt, en réduisant les réserves obligatoires des banques et en émettant davantage d’obligations d’État.

Pour mener à bien cette relance, selon Barclays, 1 000 milliards de dollars seraient nécessaires, soit environ 5 % du PIB. Pour atteindre l’objectif gouvernemental de 5 % de croissance, le plan de relance devrait même représenter 9 points de PIB. L’autre stratégie consisterait à contourner les mesures protectionnistes de Donald Trump. Les entreprises chinoises pourraient augmenter leurs ventes de pièces détachées à des partenaires commerciaux des pays voisins, où elles seraient intégrées dans des produits finis exportés ensuite vers les États-Unis. À première vue, cette stratégie serait très incitative si la Chine reste soumise à des droits de douane de plus de 100 %. Alors que des pays comme la Thaïlande ou le Vietnam ne subissent que des prélèvements de 10 %. Évidemment, les États-Unis risquent de réagir.

L’avenir de Hong Kong comme hub économique international est incertain

Peter Navarro, conseiller commercial de Donald Trump, a récemment accusé le Vietnam d’agir comme une « colonie » pour les fabricants chinois. « Ils apposent une étiquette “Fabriqué au Vietnam” sur un produit chinois et l’envoient ici pour échapper aux droits de douane », a-t-il déploré. Le Vietnam pourrait compromettre son propre accès au marché américain s’il ne prend pas ses distances avec la Chine.

L’histoire de Hong Kong est intimement liée à son statut de port franc, véritable moteur de croissance depuis plus d’un siècle. Cependant, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, amplifiées sous l’administration Trump, bouleversent cet équilibre. En perdant son statut économique spécial, Hong Kong voit son rôle décliner, frappé de plein fouet par une guerre commerciale qui dépasse largement ses frontières.

Dans un contexte de fragmentation géopolitique et de reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’avenir de Hong Kong comme hub économique international est incertain. La ville pourrait être reléguée à une fonction secondaire si les antagonismes sino-américains s’inscrivaient dans la durée.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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