À l’occasion de la Journée internationale contre le harcèlement scolaire, Loïc Bourdin, Conseiller technique et Rodolphe Echard, IA-IPR, tous deux au sein de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) nous partagent leur analyse sur ce phénomène dans les établissements français à l’étranger. Souvent perçus comme fréquentés par des élèves « privilégiés », ces établissements sont pourtant loin d’être à l’abri du harcèlement. Nos intervenants reviennent sur les actions mises en place, les dispositifs d’accompagnement pour les victimes et l’importance de sensibiliser l’ensemble de la communauté éducative à cette réalité, qui touche potentiellement tous les élèves, partout dans le monde.
Lesfrancais.press : En cette journée internationale de lutte contre le harcèlement scolaire, on s’intéresse à la situation dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger. Dans l’imaginaire de certains, c’est un non-sujet car les établissements reçoivent une population que certains décrivent comme privilégiée, est-ce vraiment le cas ? Combien de cas vous sont remontés chaque année ?
AEFE : « En premier lieu, il convient de préciser que le profil social des élèves au sein des établissements d’enseignement français à l’étranger peut être très divers selon les pays et selon les établissements. Certes, les établissements d’enseignement français à l’étranger attirent des élites locales et internationales mais pas exclusivement. Les frais de scolarité sont très variables et parfois assez modérés. En outre, des bourses scolaires et des aides à la scolarité permettent aussi de garantir une mixité dans au sein de ces établissements. C’est une des forces des établissements d’enseignement français à l’étranger. L’image d’établissements réservés aux populations privilégiées est erronée lorsque l’on regarde le réseau dans son ensemble.
Nous ne disposons de données globales sur les situations de harcèlement rencontrées dans le réseau de l’enseignement français à l’étranger. Les établissements n’ont pas d’obligation de remonter de manière systématique les situations de harcèlement, notamment lorsqu’ils parviennent à le résoudre. Ils disposent en revanche d’outils, proposés par l’AEFE, qui permettent d’évaluer l’importance des phénomènes de violences et de harcèlement, à savoir les questionnaires « harcèlement » et les enquêtes locales de climat scolaire (ELCS).
Ceci dit, la prévalence du harcèlement n’est pas liée au profil social mais davantage à la qualité du climat scolaire dans l’établissement et à la prise en compte du bien-être des élèves et des personnels Aussi est-il erroné de penser que le harcèlement épargnerait les populations « privilégiées » pour reprendre votre terminologie. Le harcèlement scolaire peut toucher l’ensemble des élèves et l’essor de l’usage des réseaux sociaux contribue à amplifier le phénomène. »
Lesfrancais.press : Y a-t-il un profil type de l’enfant harcelé ? Des pays où le phénomène est plus important ou au contrainte à l’inverse absent ? Existe-til un terreau culturel favorable à ce type de comportements ?
AEFE : « Il n’existe pas de « profil type » de l’enfant harcelé et tout élève peut être concerné par le harcèlement, indépendamment de son origine sociale ou géographique. Le phénomène est complexe et peut parfois renvoyer à la situation du « bouc émissaire » ou une personne se trouve stigmatisée par un groupe en raison d’une différence réelle ou supposée (physique, psychologique…).
Le phénomène de harcèlement n’est pas nouveau comme en témoignent les premiers travaux du chercheur danois Dan Olweus dans la fin des années 1980. Certains pays, comme la France, ont intégré dans leurs politiques éducatives des programmes de prévention et de traitement des situations assez tardivement Mais tous les pays sont potentiellement concernés. »
Lesfrancais.press : L’AEFE n’a pas attendu le décret de l’année 2023 pour mettre en place des dispositions. Concrètement, si un enfant est harcelé, quels sont les recours mis à sa disposition ?
AEFE : « Lorsqu’un enfant est confronté à une situation de harcèlement, son premier recours est de se tourner vers un adulte de confiance au sein de l’établissement. Les chefs d’établissement et les équipes éducatives sont sensibilisés à l’importance d’un accueil bienveillant et d’une prise en charge rapide.
L’AEFE dispose d’une équipe « climat scolaire » pour accompagner les établissements dans la gestion de ces situations, assurant une réponse cohérente et efficace. Enfin, elle a constitué un réseau d’enseignants-formateurs à même de les accompagner dans le déploiement du programme pHARe en général et la mise en place d’équipes ressources au sein des établissements qui prennent en charge des élèves cibles, en particulier. »
Lesfrancais.press : Aussi, le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires introduit la possibilité de changer d’établissement un élève auteur de faits de harcèlement ». Il parait difficile, à part dans certains territoires spécifiques, pour l’AEFE de proposer cette solution. Comment gérez-vous la cohabitation entre potentiels harcelés et potentiels harceleurs ?
AEFE : « Effectivement, dans de nombreuses situations le transfert du ou des élèves à l’origine du harcèlement n’est pas envisageable en raison de l’absence d’alternatives locales. Toutefois, de nombreux pays disposant de plusieurs établissements situés dans la même commune le permettent. Par ailleurs, l’exclusion n’est utilisée qu’en ultime recours à une situation inextricable. Un changement de classe pour l’auteur peut par exemple s’envisager afin de protéger la victime tout en favorisant une résolution apaisée, tout comme la mise en place d’une attention particulière aux élèves concernés. En dernier recours, des procédures disciplinaires peuvent être envisagées pour les cas graves au sein du second degré. »
Lesfrancais.press : Quel est le rôle des familles dans ce cadre ?
AEFE : « Le rôle des familles est fondamental pour accompagner la démarche éducative portée par les établissements. Nous agissons toujours dans un esprit de co-éducation afin que les familles portent également auprès de leur enfant les valeurs humanistes et de tolérance que nous prônons au quotidien. Par ailleurs, elles sont associées et représentées au sein des instances de l’AEFE et des établissements et contribuent à nourrir le plan de prévention et de lutte contre les violences en milieu scolaire dans chaque établissement du réseau. »
Lesfrancais.press : Dans le cas de situations particulièrement difficiles, en France, le ministère de l’Éducation nationale appelle les cadres administratifs à solliciter le soutien des autorités. Dans l’environnement si spécifique et internationale des établissements affiliés à l’AEFE, comment les responsables locaux interagissent avec le corps diplomatique et les autorités locales ?
AEFE : « Une procédure de signalement et de coordination est bien établie au sein de l’AEFE, permettant aux chefs d’établissement de collaborer étroitement avec les postes diplomatiques et les autorités locales. Cette coordination assure une réponse rapide et appropriée en fonction de la nature de chaque situation. Par ailleurs, une communication générale est réalisée tous les ans et des documents ressources sont mis à disposition des personnels sur l’Intranet du réseau et accessibles toute l’année. »
Lesfrancais.press : Avec le plan Climat scolaire que l’AEFE met en œuvre depuis la rentrée 2023, l’agence a constitué un réseau de formateurs, à raison de deux à trois formateurs par zone. Où en est le déploiement ?
AEFE : « Pour accompagner les établissements, une offre de formation est proposée dans chacune des zones géographiques du réseau. Elle cible principalement les équipes qui seront chargées du déploiement de pHARe dans les établissements. Cette stratégie de formation s’appuie sur le réseau des 34 formateurs et formatrices « Climat scolaire » à raison de 2 ou 3 formateurs du 1er et du 2d degrés par zone, formés à l’occasion d’un séminaire annuel. Ces formateurs sont à ce jour déployés sur l’ensemble du réseau. Ils inscrivent leur action dans le cadre du plan général de formation de l’AEFE et accompagnent les équipes au déploiement du dispositif pHARe. Cette initiative a été bien accueillie par les établissements, démontrant un réel besoin de soutien et de formation dans la lutte contre le harcèlement. »
Lesfrancais.press : Quelles sont les actions prévues au cours de cette année scolaire ?
AEFE : « Nous poursuivons le déploiement du programme de prévention et de lutte contre le harcèlement au sein du réseau ainsi que, pour les établissements volontaires, la mesure du climat scolaire avec la passation et l’analyse des enquêtes locales de climat scolaire (ELCS). Un dispositif de signalement type « faits établissements » a également été mis en place durant l’année 2023-2024 et nous envisageons la création d’un dispositif de signalement à l’attention des familles et des élèves.
L’AEFE mène à ce titre une politique ambitieuse et volontariste, à l’instar de celle portée par le ministère de l’Éducation nationale, sur l’amélioration du climat scolaire au sein des établissements d’enseignement français à l’étranger. »
Lesfrancais.press : Enfin un dispositif de recueil et de traitement des signalements d'actes de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel et d'agissements sexistes à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger est en cours de déploiement. Quel sera son rôle ? Qu’en attendre ?
AEFE : « Actuellement deux dispositifs transitoires de signalement existent depuis 2021 : l’accès à la cellule « Tolérance zéro » du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour les agentes et agents du siège, et une procédure pilotée par la direction des ressources humaines de l’AEFE pour les personnels du réseau.
Le dispositif unique, qui a vocation à les remplacer, devrait être opérationnel début 2025. Semi externalisé, il permettra à l’AEFE de renforcer la sensibilisation de ses personnels en matière de prévention des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et de violences sexistes et sexuelles au travail (VSST), d’accueillir la parole des personnes à l’origine de signalements dans des conditions optimales et adaptées, et d’assurer un traitement efficace des faits signalés. »
Auteur/Autrice
-
Catya Martin a eu plusieurs vies. Après une carrière dans le groupe Dassault, elle s'envole avec sa famille pour Hong-Kong où elle se pique pour le journalisme et l'expatriation. Elle y crée Trait d'Union et est élue Conseillère consulaire en 2014 et 2021. Elle a créé aussi La French Radio Hong-Kong, partenaire du site Lesfrancais.press
Voir toutes les publications