Dans son rapport sur le renforcement de la préparation civile et militaire de l’Union européenne (UE) présenté mercredi 30 octobre, l’ancien président finlandais Sauli Niinistö affirme que les citoyens européens devraient être activement impliqués dans la préparation aux crises, telles que les guerres, les catastrophes naturelles et les pandémies.
Ces dernières années, « nos existences ont été secouées par une pandémie, la guerre a fait son retour sur le sol européen, et les phénomènes météorologiques extrêmes sont devenus monnaie courante sous l’effet du changement climatique », a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de la présentation des conclusions du rapport mercredi.
« L’Europe prend conscience que [ces] crises […] ne sont ni des cas isolés ni des situations transitoires [mais] plutôt le reflet de failles plus profondes et de bouleversements géopolitiques, climatiques et technologiques majeurs. Face à ces changements, nous nous sommes contentés de réagir. Mais nous devons faire davantage encore. […] La préparation doit faire partie de la logique sous-jacente de toutes nos actions et porter sur l’ensemble des menaces et des risques possibles », a-t-elle affirmé.
Le rapport de Sauli Niinistö, commandé par Ursula von der Leyen en mars dernier, s’inspire largement de la stratégie de défense nationale de la Finlande et adopte une vision large de la sécurité, qui va bien au-delà de la défense militaire.
En effet, outre l’implication des citoyens, l’ancien président finlandais recommande d’affecter un certain pourcentage du budget de l’Union à la sécurité et la préparation aux crises, de faire en sorte que les agences de renseignement partagent davantage d’informations au niveau de l’UE, d’accorder aux forces de l’ordre l’accès aux données chiffrées et de prendre de nouvelles mesures pour dissuader les « guerres hybrides », telles que les cyberattaques.
Participation des citoyens
« La participation des citoyens est un élément essentiel de la sécurité en Finlande », a expliqué Sauli Niinistö lors d’une conférence de presse à Bruxelles mercredi.
Il appelle notamment à des campagnes d’information du public afin que « les ménages de l’ensemble de l’UE soient préparés à une autosuffisance de base d’au moins 72 heures dans différents types d’urgence ». Les États membres devraient fournir des lignes directrices sur des questions telles que la constitution de stocks, les évacuations et les situations impliquant des menaces chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires.
Selon Sauli Niinistö, les citoyens devraient également savoir comment accéder aux services médicaux ou à la scolarisation en cas d’urgence, et des dispositions spéciales devraient être prises pour les personnes âgées, les malades chroniques, les personnes handicapées et les femmes enceintes.
Le rapport appelle aussi à investir dans « l’éducation des citoyens aux risques », en abordant des sujets tels que « la cybersécurité, les risques de catastrophe et la désinformation ».
Coopération en matière de renseignement
Sauli Niinistö recommande par ailleurs « un service de coopération en matière de renseignement à part entière au niveau de l’UE ».
Toutefois, le responsable politique finlandais ne préconise pas que l’UE crée sa propre agence d’espionnage. Il souligne en outre que ce service de coopération devrait éviter « d’imiter les tâches des organismes nationaux de renseignement des États membres, y compris en ce qui concerne leur rôle dans la collecte de renseignements ».
Ursula von der Leyen a précisé mercredi que cela impliquerait de s’appuyer sur l’actuel Centre de situation et du renseignement de l’UE (INTCEN), plutôt que la création d’une nouvelle structure.
Des diplomates de l’UE ont confié à Euractiv que les agences de renseignement des États membres partageaient déjà des données entre elles, mais selon leurs propres conditions, en fonction de ceux en qui elles ont confiance. Lors de la conférence de presse mercredi, Sauli Niinistö a reconnu que cette confiance devait être « construite ». Si un État membre n’est pas digne de confiance, « il s’agit d’une atteinte à l’intégrité de l’UE », a-t-il ajouté.
Une autre recommandation liée au renseignement concerne le chiffrement des données. L’ancien président finlandais estime qu’il devrait y avoir un « cadre solide pour l’accès légal aux données chiffrées » afin de lutter contre « l’espionnage, le sabotage et le terrorisme, ainsi que la criminalité organisée ». Cet accès devrait être rendu possible « sans porter atteinte à la cybersécurité », a-t-il poursuivi.
L’accès aux données chiffrées est un sujet délicat en Europe. En effet, le chiffrement puissant dit « de bout en bout » — fourni par des services très répandus, tels que WhatsApp et Signal — complexifie le travail de la police et des services de renseignement amenés à poursuivre des individus qui recourent au chiffrement pour commettre des délits graves.
Mais les entreprises technologiques et les défenseurs de la vie privée affirment qu’il n’est pas possible de donner accès aux données chiffrées des criminels sans réduire le chiffrement pour toutes les autres personnes.
Par exemple, ils affirment que les « portes dérobées » (back doors en anglais), qui permettent aux fournisseurs de services de déchiffrer les informations sur demande (de la police ou des services de renseignement par exemple) pourraient être exploitées par des pirates informatiques.
« Nous n’utilisons pas de portes dérobées », a insisté Sauli Niinistö mercredi à Bruxelles, tout en refusant de préciser comment les données chiffrées devraient donc être rendues accessibles.
La dissuasion par le « déni » et la « punition »
Sauli Niinistö suggère des mesures de dissuasion contre les guerres hybrides comme les cyberattaques ou le sabotage d’infrastructures critiques. Pour cela, il propose deux approches : « la dissuasion par le déni et la dissuasion par la punition ».
La première consiste à rendre « aussi difficile que possible l’action des services de renseignement hostiles dans l’UE », peut-on lire dans le rapport. Les États membres devraient échanger des informations sur les « faiblesses qui représentent une menace plus large au sein de l’Union » et l’Union devrait quant à elle mettre en place un « réseau anti-sabotage ».
La deuxième approche consiste à identifier les « vulnérabilités des adversaires et leur vulnérabilité aux contre-mesures de l’UE ». En d’autres termes, il s’agit de s’assurer que Bruxelles peut frapper chaque adversaire là où cela fait le plus mal en cas de nécessité.
Une autre composante de l’approche « punitive » consiste à « nommer et dénoncer » les auteurs d’attaques hybrides, y compris par l’utilisation publique de renseignements qui ne sont plus confidentiels.
Cependant, un diplomate de l’UE a confié à Euractiv que l’identification publique des responsables peut être risquée, car elle peut créer une pression politique du côté adverse et entraîner des représailles.
Budget et industrie de la défense
Le rapport de Sauli Niinistö évoque aussi plus largement la politique budgétaire et industrielle de l’UE.
Il recommande notamment d’allouer un pourcentage minimum du budget de l’Union à la sécurité et la préparation aux crises.
« […] Tous les instruments pertinents dans tous les secteurs devraient affecter un certain montant aux actions de préparation dans leurs domaines respectifs, de sorte que, par exemple, au moins 20 % du budget global de l’UE contribue à la préparation de l’UE en matière de sécurité et de crise », peut-on lire dans le rapport.
L’ancien président finlandais mentionne, entre autres, la nécessité de renforcer l’industrie européenne de la défense. En mars, la Commission européenne a déjà proposé un plan de 1,5 milliard d’euros pour l’industrie de la défense.
Il a également soutenu l’idée d’un bouclier européen de défense aérienne, que plusieurs pays de l’UE appellent de leurs vœux et que la présidente de la Commission a approuvé en mai. Le rapport appelle aussi à une coopération plus étroite entre l’UE et l’OTAN.
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