Guerre et drogue : Des éléphants roses dans un ciel acide.

Guerre et drogue : Des éléphants roses dans un ciel acide.

La Birmanie a échangé six éléphants à la Russie pour six avions de chasse. Peut-être les Sukhoï 30 volent-ils moins bien que les pachydermes birmans, tout dépend du carburant. La junte birmane bombarde les rebelles de l’Etat de Rakhine, qui borde le Golfe du Bengale et la Birmanie, à moins que ce ne soient ceux du Shan, état frontalier de la Chine, cœur du Triangle d’or, première région productrice d’opium au monde. L’armée, comme les rebelles, participe au trafic. C’est une des causes du conflit : le contrôle du pavot. Mais l’opium est un marché en crise. La demande ne suit pas, les prix baissent. Heureusement les circuits de distribution – les organisations criminelles — ont diversifié l’offre. La Birmanie est devenue un leader de production de méthamphétamine, fournit toute l’Asie du Sud-Est, plus loin l’Australie, l’Arabie saoudite en passant par l’Inde. Ils ont créé un produit miracle, à la portée du pauvre, le Yaba, « le remède qui rend fou », qui mêle caféine et méthamphétamine. Grand succès au Bengladesh et au Laos, la pilule est moins chère qu’une tasse de thé. Le trafic de M.E.T 70 milliards, bien plus que l’opium, seulement 10 milliards. Si le prix d’un gramme de M.E.T est d’un dollar pour le laboratoire, en Australie il atteint 670$ dans la rue. Classique.

Les réseaux criminels aiment les zones de guerre et les frontières.

Les réseaux criminels aiment les zones de guerre et les passages de frontières. C’est là où ils font valoir leur plus-value. S’il est simple de transporter de la drogue ou des armes, n’importe qui peut le faire. Quand c’est difficile, quand le mur est haut, alors il faut une organisation structurée. Elle doit savoir creuser des tunnels, dresser des mules, rémunérer des informateurs, acheter policiers, juges, militaires, contrôler une zone de production ou de transit, assurer des services pour la population. Plus le mur est haut, plus l’organisation se concentre, plus le cartel est fort. Si l’on passe de la drogue, on peut passer des amphétamines, des armes, des hommes, des femmes, tout. Souvent, dans les zones de guerre et de conflits, on a besoin de tout : hommes, femmes, armes et drogue. Or, semi-conducteurs, pétrole.

Ainsi les éléphants birmans se retrouvent-ils dans un zoo à saint Pétersbourg appartenant à un ami du Tsar. Des soldats russes, sont, selon l’armée ukrainienne, sous emprise d’opioïdes. Le Royal Institute britannique explique que les Russes utilisent des amphétamines pour doper les soldats. Selon les Izvestia, journal pro Poutine, le marché de la drogue en Russie s’est amplifié. Les achats se font sur le darknet, la Cocaïne a fait un bond, les méthamphétamines, peu chères, ont explosé. La corruption fait marcher l’économie.

Plus le mur est haut, plus l’organisation se concentre, plus le cartel est fort.  

Selon Interpol, les recettes du trafic de drogue représentent 28 % des revenus des groupes armés et des organisations terroristes dans les zones de conflit.

En Colombie, les combats contre l’ELN ont fait plus de 100 morts et 40 000 déplacés cette semaine. Les Colombiens affirment que l’ELN bénéficie de la protection du Venezuela. Le Venezuela accuse la Colombie d’abriter les chefs du « Tren de Aragua », un gang d’environ 5 000 membres. Trump a mis le petit cartel sur la liste des organisations terroristes, les dirigeants du Venezuela sont déjà sur celle des Narcotrafiquants, non sans raison. Le régime vit sur le trafic. C’était le modèle de Bachar El Assad, qui avait inventé le Captagon. Le trafic, évalué à 10 milliards de dollars, rayonnait dans tout le Moyen Orient. Cela manquera à l’armée russe.   

Au Sahel et en Libye, le transit de la cocaïne nourrit les mercenaires, les groupes dits djihadistes, mais aussi les membres des juntes militaires de Guinée-Bissau et du Mali. Avec l’Africa Korps, quelques massacres expliquent qui contrôle les routes du désert.

Les drogues arrivent en Europe de partout. Du sud, du Maroc, premier producteur de cannabis, vers l’Espagne, de la Turquie, second fournisseur, par les Balkans. Au nord, Anvers et Rotterdam sont des plaques tournantes qui irradient dans les campagnes. Toutes les mafias s’y retrouvent : Albanais, Turcs, Marocains, Italiens. Belgique et Pays-Bas sont aussi producteurs. Le marché européen des drogues a connu une hausse sans précédent ; il dépasse 40 milliards d’euros.

Les Cartels sont installés dans chaque État américain.

La drogue arrive aussi d’Amérique latine par l’Afrique, ou directement en Espagne. Aux Etats-Unis, premier marché mondial, le Cartel de Sinaloa et Jalisco Nueva Generación (CJNG) sont installés dans chaque État américain, pour tous les produits, du Fentanyl à la méthamphétamine en passant par la classique cocaïne.

Trump a émis un décret qualifiant les groupes criminels latino-américains, d’« organisation terroriste », ce qui autoriserait des frappes militaires, des éliminations ciblées, des arrestations de toute entreprise ou personne ayant un lien avec eux. Ses amis des casinos par exemple ? Ceux du pouvoir mexicain ? En même temps, il a gracié Ross Ulbricht, fondateur du site Silk Road, un des plus grands sites de vente de drogue en ligne. C’est le jeu des cartels d’utiliser l’Etat pour contrer un rival. Trump n’a rien contre la mafia américaine.

En France[1], le marché du narcotrafic s’élèverait à 3,5 milliards et des centaines de morts par an. Le gouvernement a lancé un nouveau Plan contre le narcotrafic, signe de l’échec des précédents. Une proposition de loi sénatoriale, d’Emmanuel Blanc, auteur d’un rapport qui fit date, devrait être prochainement votée [2].

Le chef présumé du clan « Yoda », gang rival de la « DZ mafia » à Marseille est enfin extradé du Maroc vers la France. Gérald Darmanin demande à Dubaï l’extradition de 27 dealers. Il y aurait 3000 narcotrafiquants de toute nationalité à Dubaï. À la fin du circuit, le blanchiment.

La guerre contre la drogue telle qu’elle est menée est perdue. Ce ne sont pas les Etats qui ont maîtrisé le crime organisé et les mafias, ce sont les mafias et le crime organisé qui ont pris possession de certains Etats.

Il y aurait 3000 narcotrafiquants de toute nationalité à Dubaï. À la fin du circuit, le blanchiment.

Beaucoup d’Etats profitent du trafic de drogues. Sous couvert de lutte contre la drogue, les polices, les milices, les armées se livrent au trafic et sont en relation avec les bandes criminelles. Il n’y a pas de mafia au Moyen-Orient parce que les Etats agissent comme des mafias. C’est vrai en Iran comme en Lybie, en Guinée Bissau comme en Syrie. Ailleurs, comme au Nigeria ou en Turquie, l’Etat est lié au crime organisé.

Ce phénomène n’est pas propre au Moyen-Orient : Equateur, Vénézuéla, Colombie, Guatemala, Honduras, Mexique, Haïti, Birmanie, Laos, le contrôle de l’Etat, des territoires, des frontières aliment guerres civiles et trafics. Il faut des frontières pour que les gardiens puissent trafiquer.

Les circuits criminels sont des réseaux de contrebande et de blanchiment. Les États-Unis et l’Europe ne sont ni innocents, ni exempts. La Chine non plus, qui produit les composants du Fentanyl, entre 60 et 80.000 morts par an[3] aux États-Unis.

Les morts dus au crime organisé sont plus nombreux que ceux des guerres. Les guerres témoignent d’une gangsterisation du monde. Les dirigeants se comportent comme des chefs mafieux.

D’une part les criminels, d’autre part les autorités. En cas de guerre, tous en profitent.  

Les circuits criminels sont utiles dans les guerres. Que ce soient pour les flottes fantômes, les composants électroniques, les armes, les combattants, les mercenaires, les drogues, les trafics ont besoin de deux types d’organisation : d’une part les criminels, d’autre part les autorités. En cas de guerre, tous en profitent.

Voilà pourquoi en Ukraine, comme ailleurs en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient ou en Afrique, partout des forces alimentent la guerre. Et des pauvres types que l’on fait semblant de payer se droguent pour tenir.  Voilà pourquoi il est possible de voir des éléphants voler à la place de SU 30 dans le ciel ukrainien. Au bout de la chaîne, dans la Baltique ou en Mer noire, celui qui cible un avion de l’Otan avec son radar de tir vient peut-être de prendre une petite dose.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de France Pay


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