Gouverner le nouveau monde

Gouverner le nouveau monde

Une boule de feu a traversé le ciel de l’est de la France le 27 août. Était-ce l’étoile mystérieuse de Tintin qui annonçait la fin du monde ? Un missile égaré? Un ballon d’espionnage chinois ? Une soucoupe extraterrestre ? L’étoile des rois mages? Tout cela à la fois : le signe annonciateur d’un nouvel âge, quand toute vie dépend des ondes, de l’espace, d’ailleurs… un nouveau monde !

Le satellite Starlink 2382 s’est désintégré au-dessus de Belfort à 28 800 km/h, 8 km/seconde. 12.000 satellites Starlink, gravitant au-dessus de la terre, permettent un accès à internet n’importe où dans le monde. La Nasa a fait appel à Space X d’Elon Musk pour sauver ses deux astronautes coincés dans la station spatiale internationale. Sans Space X, ils seraient perdus. Observant la guerre d’Ukraine, les Chinois veulent en construire l’équivalent, nommés Qianfan ou Guowang, dragons célestes lancés dans la compétition spatiale pour occuper les meilleures orbites autour de la terre. Une fois le réseau des anges constitué, voici la rente quasi monopolistique de la prière, et voici pourquoi Elon Musk se sent le maître du monde.

Quels services rend ce Martien et ses pareils ? Mille. Personne ne s’en passe, ni ne s’en passera, sauf à subir plus encore leur pratique sous forme de loi céleste. L’an prochain, le système Direct to cell, donnera, gratuitement, dans le monde entier, un accès à un numéro d’urgence. Le Téléphone ? Musk. Les pompiers ? Musk. La défense ? Musk. Le streaming ? Musk. Le système de paiement ? Musk. La voiture ? Musk. Si ce n’est lui, c’est donc son frère.

Comme les frères Pavel et Nicolaï Durov, patrons de Telegram, le réseau crypté aux 900 millions d’utilisateurs.  Nicolaï est un petit génie, plusieurs fois champion du monde des olympiades des mathématiques. Pavel a seulement quatre nationalités, dont la Française, sous le nom de Paul de Rove. C’était gentil de sa part de la demander. Son arrestation a eu un écho mondial et soulève, outre des questions de liberté (la liberté c’est aussi accepter la possibilité du mal) des questions de pouvoir.

Pavel Durov, PDG-Fondateur de Telegram

Si les régimes autoritaires ne contrôlent pas l’information et la désinformation, ils meurent. Ils peuvent donc mourir. 

Le premier à avoir interdit Telegram, (son prédécesseur VKontakt) est Poutine. Maintenant Russes et Ukrainiens ne peuvent s’en passer, pour communiquer à l’abri de l’ennemi. Une vingtaine de pays ont suivi l’exemple ou menacent de le faire. « X », ex-Twitter, subit aussi menaces et interdiction. Un juge a ordonné la suspension de « X » au Brésil et le blocage des comptes de Starlink. Au regret des populations dispersées du Sertão et d’Amazonie, pauvres coupés du monde sans l’outil du milliardaire. Musk crie au scandale, en appelle à la liberté d’expression,  dénonce une vengeance politique, (il a soutenu Bolsonaro comme il soutient Trump), mais courtise le Parti communiste chinois, investit des centaines des millions en Chine. La Chine a pourtant interdit  « X », comme l’Égypte, la Turquie, l’Ouzbékistan, l’Iran, le Turkménistan, la Corée du Nord, le Venezuela, la Birmanie, la Russie, le Pakistan.

Contrôler l’information et la désinformation est vital pour les régimes autoritaires. S’ils ne le font pas, ils meurent. Or l’information peut échapper à tout contrôle. Ils peuvent donc mourir. Les services russes, iraniens et chinois, utilisent les réseaux sociaux pour multiplier les fake news, alimentés par des robots « intelligents ».

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Les gouvernements, même les plus démocrates, utilisent aussi ces relais de puissance, comme l’a reconnu Mark Zuckerberg, le patron de Meta. Le FBI, à propos d’informations mettant en cause le fils de Joe Biden, lui a expliqué qu’il s’agissait de fake news dues aux Russes, ce qui était faux. Le responsable, il est vrai, est le FBI, non Meta. Un journal eût subi la même manipulation.   

Il ne s’agit plus de manipuler le journal, l’information, mais le vecteur lui-même. Une information se perdra dans la masse. Tout cela est possible parce qu’une révolution est en cours. Fini l’or, fini le pétrole, le blé, le fer, le cuivre, le lithium, l’uranium. La richesse, si elle ne l’a jamais été, n’est plus matérielle. Bien sûr, ceux qui possèdent des hectares, des vignes, des mines, des immeubles, ne seront ni pauvres ni ruinés. Quoique. Ils se feront racheter par les vendeurs d’ondes, d’espaces, d’algorithmes. Ce sont les calculs qui comptent, les logiciels, les idées, la connaissance, les données, le savoir.

La Chine, qui consomme la moitié du pétrole mondial, la moitié du charbon, qui produit la moitié de l’énergie renouvelable, a déployé ses robots animés par l’Intelligence Artificielle lors du Salon mondial de la robotique, 13 000 participants venus d’une dizaine de pays, 250.000 visiteurs. Des robots très humains, promettant de faire la guerre, ou l’amour. Bientôt les Jeux Olympiques. La Chine veut coloniser le nouveau monde.

Le ministère de la défense français a créé un commandement de l’espace, lié à l’armée de l’air. Il prévoit 500 emplois en 2025. Starlink en emploie 6.000. Le candidat Trump, qui avait songé à interdire Tiktok, promet d’envoyer Zuckerberg en prison. Son candidat à la vice-présidence propose de démanteler Meta et Google «beaucoup trop grands, beaucoup trop puissants » .

En pleine campagne présidentielle, Donald Trump lance sa monnaie virtuelle (DeFi), propose de faire des Etats-Unis, la « capitale planétaire des cryptomonnaies ». Des millions d’Américains, électeurs, en possèdent.  La promesse : se passer des banques.  

Il est possible de parler avec ses parents disparus, pour 20 yuans. L’I.A. permet aussi de créer un petit ami.

À l’autre bout de la planète, le pouvoir chinois s’active à contrôler toute l’activité de la population par WeChat, le système autonome chinois. La punition, pour une dissidence, un commentaire, est simple : le compte de l’impertinent est bloqué. Comment vivre sans WeChat quand tout passe par WeChat ? La Chine du PCC voit plus loin. L’Intelligence Artificielle permet de créer son petit ami ; l’âme sœur comprend, s’attache, espionne. Mieux encore : il est possible de parler à ses parents disparus, les voir au Paradis, pour 20 yuans (2.5€). Tradition et modernité, les nouveaux fantômes chinois perpétuent le culte des ancêtres.

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Alibaba, Tencent, Xiaomi, Huawei, TikTok, Shein, Temu, suivent les Routes de la soie : construire une chaîne planétaire pour les communications, suivre les produits, identifier les consommateurs, leurs désirs, leurs pensées. La Chine a déposé 74% des brevets mondiaux concernant l’IA.

Aux Etats-Unis, grâce à l’intelligence artificielle, NVIDIA a atteint une capitalisation boursière de 3000 milliards de dollars, la dette de la France. Son chiffre d’affaires a plus que doublé en un an. Les échelles de mesure commencent à différer entre le vieux et l’ancien monde.  

La France se veut le centre de l’Intelligence artificielle en Europe. Les levées de fonds se multiplient, avec Google, Amazon, Microsoft (qui a investi 4 milliards en France). Facebook et Google ont chacun implanté un centre de recherche à Paris. La nécessité de l’alliance américaine dépasse de loin l’Otan et la Russie.

La législation de ce nouvel univers, qui transforme toutes les activités humaines, est un enjeu de civilisation.

Alors que l’Europe a adopté la première législation stricte sur l’IA, l’AI Act, la France doit proposer un équilibre entre innovation et réglementation. C’est un juge français qui a ordonné l’arrestation, à tort ou à raison, de Pavel Durov. Pas le gouvernement, il n’y en a plus. C’est une différence notable entre un état de droit et un état d’abus  de pouvoir. Fixer les normes, voilà un enjeu mondial.

Que les « procès » de l’IA de Telegram et de X s’ouvrent. Qu’ils n’oublient ni la liberté, ni la responsabilité.Aucune société innovante ne perdure sans liberté créatrice, sans critique, qui décide de l’obsolescence des robots, et de la vanité des contrôles, parce que tout système engendre des pirates. Un système ouvert est plus créatif qu’un système fermé.

La tâche première d’un gouvernement est de penser aux nouveaux mondes

Une boule de feu dans le ciel n’annonce pas la fin du monde, mais un nouveau. Médecine, éducation, services à la personne, finances, assurances, mobilités, énergies, définition de l’Etat, compétition des pouvoirs, manipulations, abus, inégalités, les  bouleversements commencent. Ce n’est pas demain, c’est.

En attendant, la France attend son gouvernement. Et si on mettait un Robot mû par l’IA, ferait-il plus d’erreurs que les précédents ? La tâche première d’un gouvernement est de penser aux nouveaux mondes.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France pay

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