C’est donc un ministre expérimenté, habitué à manœuvrer entre les ministères et leur administration qui sera en charge des dossiers des Français de l’étranger qui sont souvent transministériels. Un atout donc pour enfin voir certaines propositions et promesses, enfin, se concrétiser. Nous lui avons posé la question.
Français comme les autres ?
LesFrancais.press : « Monsieur le ministre, on commence cette interview avec une question simple, que représentent pour vous et votre gouvernement les Français de l’étranger ? Tout au long de la campagne présidentielle, il a été martelé que les Français de l’étranger sont des Français comme les autres. Mais dans les faits, est-ce le cas ? Considérez-vous que nos compatriotes hors de France devraient avoir les mêmes droits et devoirs que les Français vivant sur le territoire national ? »
Franck Riester : C’est un immense honneur d’avoir été nommé par le Président de la République et le Premier ministre pour représenter les Français de l’étranger et être leur interlocuteur privilégié au sein du gouvernement.
Je suis convaincu que les plus de 3 millions de Français qui vivent à travers le monde jouent un véritable rôle de porte-drapeaux des valeurs humanistes et universelles qui fondent la France. Ce rôle doit prendre encore davantage d’ampleur.
Ma volonté et celle de mon administration est donc claire : agir quotidiennement pour que nos ressortissants à l’étranger se sentent et soient reconnus comme des Français à part entière. Par leurs activités professionnelles ou associatives, ils sont les véritables artisans du rayonnement de la France au-delà de ses frontières, et bien souvent les artisans de la relation économique, culturelle, et scientifique qui lie la France au reste du monde. Le ministre chargé de la francophonie que je suis ne peut non plus ignorer qu’ils sont, en matière de promotion de la langue française dans le monde, des maillons essentiels – et je compte bien, en la matière, m’appuyer sur eux.
Ils sont la preuve vivante de la capacité de notre pays à s’ouvrir au monde. Je veux à ce titre saluer le travail de mon prédécesseur Olivier Becht, qui a su construire avec nos Français de l’étranger une relation de confiance et de sincérité. Je capitaliserai sur ses réussites pour que 2024 soit une année marquée par des progrès concrets. Je veux qu’ils puissent continuer de bénéficier, comme tous les Français, de l’effort de simplification massive des démarches administratives qui est à l’œuvre, et surtout qu’ils continuent d’être, en quelque sorte, le laboratoire de la dématérialisation du service public : je pense au registre d’Etat civil numérique, à la mise en place de vote par internet, à France Consulaire, qui leur permet d’accéder en avant-première à de nouveaux services.
Francophonie, Education, Culture
LesFrancais.press : Être Français, c’est aussi, et peut-être surtout, être dépositaire de notre culture. De nombreux jeunes Français, qui ont dû suivre leur parent, se retrouvent pourtant privés d’accès à l’Éducation française. Les frais d’écolage sont le principal obstacle. Des 4 coins de la planète, les parents s’étonnent des critères des bourses scolaires. Ces derniers majorent le poids du patrimoine immobilier sur les revenus effectivement disponibles. Avez-vous un message pour eux ?
Aussi, Emmanuel Macron avait promis l’extension du pass culture en 2022. Peut-on espérer qu’il sera déployé en 2024 pour les Français de l’étranger?
Franck Riester : Je l’ai dit, j’ai dans mon portefeuille, en plus des Français de l’étranger, le devoir et la mission de défendre et promouvoir la francophonie. C’est une fierté : la langue française est le meilleur outil en notre possession pour promouvoir notre culture et nos valeurs. Comme ancien ministre de la Culture, je sais à quel point la langue française fait vivre l’exception culturelle française, à quel point elle contribue à son identité et à son attractivité.
Je vous dis cela car j’ai conscience que ce qui lie les Français de l’étranger à la racine de notre pays dans la durée, c’est aussi la pratique de la langue française, aussi bien dans le cadre scolaire ou familial que dans le développement de l’univers individuel de chacun, construit par les livres, le cinéma, les séries, les émissions de radio ou de télévision etc. Quand on est un Français de l’étranger, on reprend pour ainsi dire à son compte les mots d’Albert Camus : « Ma patrie, c’est la langue française ».
Cette langue française que nous avons en partage, c’est aussi ce qui permet à nos ressortissants de tisser des liens d’entraide, de solidarité, d’amitié entre eux. Combien de groupes Facebook, Whatsapp, ou Telegram ont permis à nos ressortissants de se sentir moins seuls et de trouver des réponses aux problèmes qu’ils rencontraient et auxquels d’autres avant eux avaient été exposés. Je salue leur résilience à l’épreuve du mal du pays.
J’en viens à notre réseau scolaire, qui est une richesse incroyable, à la fois pour nos Français établis à l’étranger – il leur permet de scolariser leurs enfants dans un environnement familier – et pour notre influence culturelle dans le monde – puisque 70% des élèves du réseau ne sont pas français et ont vocation à être les traits d’union de demain entre la France et le reste du monde. Je rappellerai que parmi les alumni de ce réseau on compte l’actrice américaine Jodie Foster, l’auteure belge Amélie Nothomb, les chanteurs américain Julian Casablancas, et britannico–libanais Mika, l’ancien Secrétaire général de l’ONU égyptien Boutros Boutros-Ghali, ou encore le directeur général portugais de Stellantis, Carlos Tavare
Ce réseau est une force incommensurable pour notre pays. Nous nous devons de faire fructifier ce trésor et de ne pas perdre de vue les ambitions que nous avons pour lui. Lors du premier quinquennat, le président de la République a fixé un objectif de taille : celui du doublement les effectifs d’élèves d’ici 2030. Ce sont aujourd’hui 400 000 élèves scolarisés dans le monde, une augmentation de 50 000 par rapport à 2019. Mon engagement en tant que ministre, c’est de viser ce doublement avec volontarisme, sans occulter les crises multiples qui ont un impact direct sur certaines structures éducatives. Ce travail, j’entends le mener avec l’AEFE, qui gère ces 580 établissements répartis dans 139 pays.
Sur le sujet des bourses scolaires, je veux revenir sur les progrès déjà obtenus par le gouvernement : nous avons augmenté de 14M€ l’enveloppe entre 2023 et 2024.
Enfin, sur le Pass Culture, vous avez raison de rappeler la promesse présidentielle. Comme ministre de la Culture, j’ai fait en sorte que le Pass Culture voie le jour et soit déployé sur tout le territoire national. La culture sera au cœur de mon action au service de nos Français de l’étranger et j’entends y travailler en étroite concertation avec la ministre de la Culture, Rachida Dati.
Je compte m’engager aussi sur la question de l’enseignement du français. A l’ère du numérique, l’enseignement de la langue française doit être à portée de tous les Français et, pour ceux qui seraient trop éloignés physiquement des établissements le proposant, nous travaillons sur un outil numérique, le Pass Education Langue Française. Aucun Français de l’étranger ne doit se voir contraint de renoncer à son enseignement.
Votre bien en France et sa fiscalité
LesFrancais.press : En 20 ans, le profil des expatriés a totalement changé. La France a vu l’expatriation qui était avant tout professionnelle (les détachés) ou fiscale se transformer en un phénomène qui a constitué au fil des années une réelle diaspora, miroir de notre société. Et pour ces citoyens, comme pour les Français de métropole, la fiscalité pratiquée en France, a un réel impact.
En effet, comment conserver son ancrage sur le territoire national en conservant un bien si celui-ci se retrouve exclu de tous les dispositifs d’aide comme ceux à la rénovation ou s’il est frappé d’une fiscalité punitive comme la taxe majorée sur les résidences secondaires. Vos prédécesseurs avaient accueilli favorablement le projet de résidence de repli (ou d’attache). Avec vous, deviendra-t-elle enfin une réalité et quelle forme devrait-elle prendre ?
Franck Riester : « La création d’un statut de résidence de repli était une promesse présidentielle, nous l’avons fait. Avec l’aide des parlementaires des Français de l’étranger. Ce statut a vu le jour dans la loi de finances 2024 et prévoit que les ressortissants puissent solliciter le dégrèvement de la taxe d’habitation sur leur résidence française l’année de leur retour lorsqu’ils ont été contraints de quitter leur résidence principale à la suite d’une crise sécuritaire. Preuve la encore que la France n’oublie pas ses ressortissants établis à l’étranger.
Je vais suivre avec attention également les demandes concernant la création d’une résidence d’attache, qui octroierait des avantages supplémentaires à ceux que nous avons déjà mis en place avec la résidence de repli. Cela a fait l’objet, l’an dernier, de la création d’un groupe de travail avec le Ministère chargé des Comptes Publics. Je n’hésiterai pas à relancer une réflexion s’il s’avère nécessaire d’aller plus loin.
Citoyenneté et liens avec la Nation
LesFrancais.press : Non-résident mais toujours citoyen français, les expatriés représentent un enjeu électoral avec un million d’électeurs. Pourtant, leurs représentants disposent souvent d’une moindre reconnaissance que leurs homologues en métropole.
Ainsi, depuis la réforme qui a créé les conseillers des Français de l’étranger ces derniers souhaitent une clarification de leurs compétences et obtenir la possibilité de se parer de signes distinctifs (écharpes tricolores par exemple) lors des cérémonies officielles, comment allez-vous répondre à leurs attentes ?
Enfin, les Français de l’étranger sont souvent, malgré le travail des sections consulaires, des associations ou des médias comme le nôtre, peu enclins à participer à la vie citoyenne de notre pays. Comment les mobiliser pour les prochaines élections européennes ?
Franck Riester : « J’ai déjà eu l’opportunité de rencontrer et d’échanger avec des élus des Français de l’étranger dès mon arrivée au ministère. J’ai écouté leurs préoccupations et pris bonne note de leur souhait d’être mieux associés à la vie citoyenne de notre pays et aux décisions prises par le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. A l’heure actuelle, l’AFE travaille sur une Charte de l’élu, qui vise à permettre de mieux clarifier le rôle et les compétences de chacun. Je prendrai connaissance avec le plus grand intérêt des travaux lorsqu’ils seront achevés.
J’entends également la demande au sujet du port de l’écharpe tricolore, ou de tout autre signe républicain. Cela doit également être clarifié en bonne intelligence et en cohérence avec le rôle de conseiller des Français de l’étranger. Dans le cas du port de l’écharpe tricolore, par exemple, il est encadré par la loi et n’est réservé qu’aux élus en leur qualité d’officier de police judiciaire et d’officier d’état civil. Les conseillers des Français de l’étranger n’exercent pas ce type de fonctions. En revanche, les textes prévoient depuis 2014 la possibilité pour les conseillers des Français de l’étranger de porter une cocarde tricolore. Je suis très fier qu’ils puissent arborer nos couleurs dans l’exercice de leurs fonctions.
Merci pour vos réponses et votre temps, pour finir, M. le ministre nous aurions une dernière question : Quel est votre objectif à la tête de ce ministère des Français de l’étranger ?
Mon action à la tête du ministère sera multiple : je souhaite répondre de manière très concrète aux problématiques des plus de 3 millions de Français de l’étranger. Comme je l’ai dit durant cet entretien, il sera nécessaire d’écouter, de comprendre, et d’agir pour que toutes et tous se sentent inclus dans la Nation, où qu’ils soient sur la planète. Ce faisant, je tiens à ce que leur voix puisse être entendue dans les débats sur la vie publique française et européenne.
Pour atteindre cet objectif, j’aurai besoin de tous les représentants des Français de l’étranger, conseillers, membres de l’AFE, parlementaires, mais je m’appuierai aussi sur nos personnels diplomatiques et consulaires, sur nos consuls honoraires. Elus, agents de l’Etat, ils œuvrent au quotidien pour que le lien entre la France et nos ressortissants ne rompe jamais et ils seront pour moi des relais essentiels. »
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