France et Royaume-Uni, c’est l’histoire d’une rivalité ancestrale qui s’est transformée en entente, au nom de la raison d’État. De Guillaume le Conquérant à Fachoda en passant par la guerre de 100 ans et Napoléon, le Royaume-Uni et la France se sont au long des siècles disputés, à coups d’épées puis de fusils, la supériorité européenne voire mondiale. Les matchs de rugby France/Angleterre – le fameux crunch – restent des rendez-vous incontournables dont l’enjeu dépasse le simple domaine sportif. L’art est également un terrain de compétition entre les deux nations.
Christie's, racheté par le groupe français Kering, a déplacé les ventes de tableaux à Paris l'année dernière en raison du Brexit
Le 20 octobre, un tableau du peintre espagnol Joan Miró, a été vendu chez Christie’s à Paris pour 20,7 millions d’euros, ce qui en fait l’une des peintures les plus chères vendues en France ces dernières décennies. Cette vente confirme le rôle croissant de Paris dans le domaine de l’art. Auparavant, Londres était la capitale des ventes aux enchères pour les peintres espagnols ou italiens. Christie’s qui a été racheté par le groupe français Kering a décidé de déplacer les ventes de tableaux à Paris l’année dernière en raison du Brexit. « Une partie de l’attractivité de Londres résidait autrefois dans sa position au centre de l’Union européenne », explique Guillaume Cerutti, le président de Christie’s. Il ajoute : « la dynamique est désormais davantage du côté de Paris ».
Paris progresse, Londres demeure en tête
Si Paris progresse, Londres ne demeure pas moins en tête pour les ventes aux enchères. En 2002, Sotheby’s a réalisé 70 ventes aux enchères à Paris, contre 131 à Londres. Paris a néanmoins le vent en poupe, le nombre de ventes y a progressé de 140 % en dix ans contre une hausse de 75 % pour Londres.
De plus en plus de galeries d’art s’installent à Paris, non seulement dans le 6e arrondissement ou le 8e arrondissement mais aussi dans des arrondissements, aujourd’hui tendance, comme le Xe.
Ventes mondiales : Etats-Unis 45% ; Londres, 18% ; Paris 7%
Le marché de l’art français est encore modeste comparé à celui du Royaume-Uni qui a réalisé en 2022, 18 % des 67,8 milliards de dollars de ventes d’art dans le monde. Le Royaume-Uni est le premier marché européen et le deuxième au monde après les États-Unis qui assurent 45 % des ventes mondiales. Londres conserve un avantage pour les œuvres d’art européennes dont la valeur dépasse 10 millions de dollars. La France ne détient que 7 % du marché mondial de l’art.
Au sein de l’Union européenne, La France n’a pas de concurrent. 54 % de toutes les transactions artistiques de l’Union y sont réalisées. Le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne en 2020 a modifié la dynamique des acheteurs et des vendeurs d’art. Avant, les Européens pouvaient acheter une œuvre d’art à Londres sans aucun droit d’importation. Désormais, entre 5 et 20 % de la valeur sont prélevés si un acheteur l’importe dans un pays de l’Union depuis Londres. Ce dernier est également contraint d’effectuer de nombreuses formalités administratives. Pour ces raisons, des artistes européens ont quitté Londres pour d’autres villes d’Europe, selon le dirigeant d’Art Basel.
L’attractivité de Paris est également liée à l’essor de la Fashion Week. Le monde de l’art dépend de plus en plus de celui du luxe. Des fondations privées, alimentées par des entreprises de produits de luxe comme Kering ou LVMH, participent au rayonnement de l’art en France.
Paris retrouve quelques lustres depuis le Brexit : + 140%
Depuis 2021, la Bourse de Commerce, ancienne bourse de matières premières, qui abrite la collection de François Pinault, la Fondation Cartier, présente depuis des décennies à Paris, boulevard Raspail a prévu de déplacer sa collection d’art contemporain dans un immeuble en face du Louvre. La Fondation Louis Vuitton dans le Bois de Boulogne symbolise l’association du luxe et de l’art. Forte de son sponsor, la Fondation Louis Vuitton peut organiser des expositions coûteuses. La rétrospective de Mark Rothko, peintre américain, inaugurée le 18 octobre, présente 115 œuvres, dont la valeur globale se chiffre en milliards de dollars. Paris retrouve quelques lustres au niveau des ventes d’art depuis le Brexit. Elle renoue avec son brillant passé.
De la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Paris était la capitale mondiale de l’art et notamment de l’art moderne. Elle a perdu ce rôle dans les années 1950 en raison de l’adoption d’une fiscalité dissuasive et d’une baisse de la création artistique en France. Londres et New York ont ainsi supplanté la capitale française.
Pour constituer un pôle artistique solide, trois facteurs sont déterminants :
– La richesse du pays et la présence de mécènes ;
– L’infrastructure culturelle (galeries, musées, écoles, salles de ventes) ;
– La réglementation qui se doit d’être simple et transparente.
Londres et Paris sont performants sur les deux premiers critères mais moins sur le troisième pour lequel New York est plus compétitif. Pour préserver la place de Londres, les professionnels britanniques de l’art demandent au gouvernement de prendre des mesures afin de simplifier la réglementation applicable aux ventes d’œuvres. Ils réclament également la suppression des taxes à l’importation afin de pouvoir rivaliser avec Paris.
Dans un contexte économique et géopolitique complexe, la rivalité entre les différentes places devrait s’exacerber. La crise en Chine devrait réduire les achats des nouveaux milliardaires asiatiques. La guerre au Proche-Orient pourrait également amener les ressortissants des pays pétroliers à déserter les salles de ventes occidentales qui ont déjà perdu les acheteurs russes.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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