La morgue installée depuis début avril dans un hangar du marché de Rungis est critiquée pour sa gestion.
Une double peine. Bruno Lefèvre a récemment perdu sa mère qui, après avoir été hospitalisée en raison d’une mauvaise chute, a contracté le Covid-19 avant d’en décéder. Elle allait fêter ses 90 ans le 7 avril dernier.
« Dès que l’on m’a appris sa mort, on m’a dit qu’il fallait que j’aille très vite: il n’y avait pas de chambre froide dans l’hôpital où elle était », raconte le fils endeuillé.
Sa famille se trouvant dans le Lot et confinée, il contacte le service funéraire de la ville de Paris pour trouver une place pour sa mère.
« Au début elle devait aller à la chambre funéraire de Châtillon. On m’avait pressé avant son décès de me préparer », explique Bruno Lefèvre qui apprend alors que le corps de sa mère va être transporté à la morgue de Rungis, gérée par un opérateur privé.
55 euros pour se recueillir 20 minutes devant sa défunte mère
Les tarifs opérés par l’entreprise sont les suivants: 159 euros si le cercueil passe six jours dans le funérarium et 35 euros par journée supplémentaire. Pour les proches souhaitant se recueillir une heure devant le défunt avant son inhumation il faut payer 55 euros. Problème: cette heure de recueillement ne serait pas respectée par l’opérateur.
« On m’a appris que ça ne serait pas une heure mais vingt minutes facturées une heure », explique Bruno Lefèvre qui contacte avec l’agent des services funéraires la morgue. On lui explique alors que ce sera vingt minutes « et pas plus, c’est comme ça » avant de raccrocher, « sans aucune humanité », déplore le fils de la victime.
L’entreprise justifie ces tarifs car les locaux ont été repeints, fleuris et une moquette a été posée au sol pour accueillir les proches. Une trentaine de salariés travaillent par ailleurs sur place sept jours sur sept.
« On avait aussi refusé de prendre ses affaires pour l’habiller parce qu’elle avait le coronavirus », confie Bruno Lefèvre qui se désole d’avoir laissé sa défunte mère « finir dans un entrepôt nue dans un sac plastique dans un cercueil ».
« Ces gens n’ont aucun scrupule »
Il doit se rendre lundi matin à la morgue pour lui rendre un dernier hommage qui se fera dans des conditions terribles.
« Pour moi c’est insoutenable, je ne dors pas. Ces gens n’ont aucun scrupule. Je trouve cela honteux », explique-t-il, « être à Rungis dans un hangar, pour un fils c’est difficile ».
Bruno Lefèvre raconte également que l’entreprise lui a facturé pour lundi prochain un maître de cérémonie « courte » pour 105 euros. « Il n’y aura pas de cérémonie courte parce qu’il y aura pas de cérémonie », s’indigne le fils endeuillé.
« Dans une chambre funéraire on ne vous donne pas une heure. On ne vous parle pas de cette façon et le jour où vous allez signer on vous annonce que c’est vingt minutes », explique Bruno Lefèvre qui dit n’avoir pas eu le choix. « J’aurais payé n’importe quoi pour ma mère. J’ai honte. Lundi j’irai m’excuser auprès d’elle pour l’avoir abandonnée à Rungis. »
Il ne sera pas autorisé à accompagner sa mère au crématorium du Père Lachaise.
« Le mot réquisitionner ce n’est pas pour faire des bénéfices »
Il explique qu’il ne s’agit pas que de sa famille mais de « centaines de gens » qui voient leurs proches être transférés dans ce hangar de Rungis réquisitionné par le préfet de police de la zone de défense et de sécurité d’Île-de-France. « Le mot ‘réquisitionner’ c’est pas pour faire des bénéfices », confie Bruno Lefèvre.
« Expliquer aux familles qu’on est obligé de facturer cet endroit est quand même très particulier », estimait mercredi soir Sandrine Thiefine, présidente du réseau de franchise Pompes Funèbres de France ajoutant qu' »on ne peut pas facturer à des familles des frais pour un passage dans un entrepôt ».
Face à la polémique, le ministère de l’Intérieur a fait savoir jeudi soir par un communiqué que « compte tenu de la situation sanitaire exceptionnelle actuelle, et afin que les familles des défunts d’Île-de-France accueillis au dépositoire de Rungis n’en supportent pas financièrement les conséquences, la puissance publique prendra en charge les frais supplémentaires occasionnés pour elles par des délais d’inhumation ou de crémation anormalement longs ».
Une annonce qui a fait réagir Bruno Lefèvre: « je leur remercie d’avoir pris conscience que c’était inadmissible. Vous ne pouvez pas savoir ce que tous ces gens comme moi peuvent vivre ».
Le fils endeuillé espère toutefois pouvoir rendre un autre hommage à sa mère dès que les conditions sanitaires le lui permettront: « on fera quelque chose au mois de mai ou de juin. »