La France : passager clandestin de l’Europe ?

La France : passager clandestin de l’Europe ?

Face aux difficultés économiques et financières qui s’accumulent, les Français ne se rendent pas compte qu’ils sont protégés par l’Union européenne ou plutôt par l’euro. Ils bénéficient de la force de la monnaie européenne et du rôle de mutualisation des risques qu’elle génère. Cette situation n’est pas sans limite car il ne faut pas oublier que la France vit à crédit sur la discipline des autres.

La froide réalité des chiffres

En 2025, le déficit public français dépassera 5 % du PIB et sera deux fois plus élevé que la moyenne européenne. La dette publique est désormais supérieure à 115 % du PIB, contre 89 % pour la zone euro. Elle continue à progresser quand celle des autres Etats membres est en recul. Les dépenses publiques de la France atteignent plus de 57 % du PIB, ce qui constitue un record au sein de l’OCDE. Pour autant, toutes les collectivités publiques et les Français réclament une hausse des dépenses.

Pour stabiliser le poids de la dette publique, la France devrait consentir un effort de plus de 100 milliards d’euros, or même sur un objectif de 30 milliards d’euros aucun consensus ne se dégage au sein du Parlement. La France ne respecte pas les critères de Maastricht depuis de nombreuses années et rien ne garantit que d’ici 2029 elle puissent s’en rapprocher. En 2026, la France devrait rester le premier émetteur d’obligations souveraines, autour de 300 milliards d’euros. Pour autant, elle emprunte encore à des taux proches de ceux de ses voisins : 3,4 % sur dix ans, contre 2,6 % pour l’Allemagne (taux 2 novembre 2025). La hausse des taux de l’OAT à 10 ans est moins prononcée que celle du déficit ou de la dette.

La France a pu compter entre 2015 et 2023 la mansuétude de la Banque centrale européenne qui a absorbé près de 700 milliards d’euros de dette dans le cadre de ses programmes d’achat d’actifs. Sans elle, les marchés auraient exigé une prime de plus élevée. Elle peut compter sur la relative tolérance des États membres qui constatent le dérapage des comptes publics français sans appeler de réelles sanctions de leurs vœux. Mais, cette tolérance n’est pas sans limite. L’euro suppose que les Etats membres respectent les règles. Il y a une co-responsabilité vis-à-vis de la devise dont la force repose avant tout sur la confiance.

Un enfer sans l’euro

Et si la France sortait de l’euro, que se passerait-il ? Si la France avait sa propre monnaie, sa propre banque centrale, il est certain qu’une anticipation de défaut de la France sur sa dette publique apparaîtrait, conduisant à une dépréciation du change et à une forte hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement serait sans nul doute contraint de demander l’aide du FMI comme ce fut le cas pour le Royaume-Uni dans les années 1970. A minima, le pays devrait, comme François Mitterrand l’avait fait au début des années 1980, solliciter plusieurs pays pétroliers comme le Qatar pour obtenir des prêts libellés en dollars afin de pouvoir régler les importations.  Sans l’euro, la France serait, en effet, confrontée à un problème de réserve de changes compte tenu de son déficit commercial récurrent depuis 2003, 85 milliards d’euros en 2024. L’Allemagne dégage de son côté plus de 200 milliards d’euros d’excédents. La France ne produit pas assez. Le poids de l’industrie dans le PIB est tombé à 9,3 %, moitié moins qu’en Allemagne (19 %). Elle se situe nettement en dessous de l’Italie (15 %). La productivité horaire a reculé de 1,5 % depuis 2019, tandis qu’elle progressait de +2,5 % outre-Rhin.

Lors de ces vingt dernières années, la France s’est spécialisée dans les emplois domestiques. L’emploi public, plus de 5,7 millions de postes, est plus important en France que dans les autres pays européens.

Certains estiment que la contribution de la France est trop importante. Elle contribue à hauteur de 27,5 milliards d’euros au budget communautaire et en reçoit 20,4, mais elle bénéficie d’aides indirectes, près de 40 milliards d’euros issus du plan Next Generation EU, 9,8 milliards de la PAC, 5 milliards des fonds de transition numérique et énergétique. Par ailleurs, les aides versées aux pays d’Europe centrale permettent à ces derniers d’acheter des produits et services français ce qui concourent positivement à la croissance.

Next Generation EU
Next Generation EU

La BCE ne pourrait pas accepter un défaut (une restructuration) sur la dette de la France car compte tenu du poids de cette dernière au sein de la zone euro et de celui de ses établissements financiers, la qualité de tous les actifs financiers libellés en euros sera en jeu. Le risque d’une crise financière majeure ne serait alors pas nul, avec comme conséquence la disparition de l’euro.

Si la dérive des comptes publics français se poursuit, la BCE pourrait être contrainte d’acheter des titres publics pour empêcher un défaut de la France, avec en contrepartie une mise sous tutelle du pays. Cette garantie est pour le moment le meilleur atout de la France. Les investisseurs sont conscients que la BCE ne pourra pas se soustraire à son rôle de banquier en dernier ressort. Cette situation explique en partie les taux relativement faibles auxquels est soumise la France.

La France est devenue à son corps défendant le passager clandestin de l’Europe. Tous les autres Etats ont réalisé depuis 2022 des efforts pour maîtriser leur déficit public et leur dette. Le Portugal et la Grèce sont en excédent budgétaire. Le déficit de l’Italie est revenu en-dessous des 3 points de PIB. Pour sortir de ce rôle, elle doit renouer avec une croissance plus importante ce qui nécessite un taux d’emploi plus élevé. Un effort important en faveur de la recherche et développement est nécessaire avec un objectif à 3 % du PIB en 2030 au lieu de 2,2 % aujourd’hui. Les dépenses de R&D en Allemagne, en Suède ou au Danemark dépassent 3 points de PIB. Elles sont en hausse dans ces trois pays depuis trois ans quand elles stagnent en France. L’élévation des compétences des élèves constitue également une priorité.

Résultats aux enquêtes PISA de l'OCDE
Résultats aux enquêtes PISA de l'OCDE

Pour le moment, grâce à l’Europe, la France a reporté la réalisation des efforts nécessaires à la réduction de ses déficits. En revanche, elle vit à crédit et de plus en plus dans le déni. L’écart de revenus entre les ménages et ceux des Etats d’Europe du Nord tend à s’accroître. Sans sursaut, la France sera bientôt dans la seconde division européenne

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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