La 3ème édition du « Printemps de la 9ème » s’est déroulée du 29 mai au 1er juin à Saly, au Sénégal. Cette université régionale rassemble, chaque année, les différentes sections de l’association Français du Monde – ADFE de la 9eme circonscription des Français de l’étranger. L’occasion de mettre sur la table les problématiques communes et spécifiques des pays de cette région, et aboutir à des recommandations à destination du gouvernement français. C’est, entre autres, ce que nous l’explique Cynthia Délabré, la coordinatrice de l’événement, au cours de cet entretien Lesfrancais.press.
Lesfrancais.press : « Quel bilan faites-vous de la 3ème édition du Printemps de la 9ème circonscription des Français établis hors de France qui s’est déroulée à Saly ? »
Cynthia Delabre : « Il s’agit incontestablement d’un bilan très positif pour notre communauté, nos élus et nos militants. Ces moments d’échange et de convivialité sont indispensables pour structurer efficacement notre action associative à l’échelle de toute la circonscription. Ils nous permettent de partager des enjeux communs, en particulier lorsqu’il s’agit de soutenir nos compatriotes les plus vulnérables, souvent premières victimes des coupes budgétaires imposées par le gouvernement sous le prisme de la dette et du déficit budgétaire.
« L’avenir de la Caisse des Français de l’Étranger (CFE) constitue aujourd’hui l’une des principales préoccupations exprimées par les sections locales et par nos compatriotes à travers le monde »,
Cynthia Delabre, Français du Monde - ADFE
Enfermé dans une logique purement comptable, celui-ci réduit les moyens alloués à l’action sociale, alors même que les besoins en services publics de proximité comme l’éducation, la santé et l’action consulaire et diplomatique ne cessent de croître dans notre région en tensions et sous toutes les pressions géopolitiques.
Au-delà de ces problématiques partagées dans l’ensemble des pays de la circonscription, le Printemps de la 9e constitue également une occasion précieuse de mettre en lumière les spécificités locales. Tous les pays ne sont pas exposés de manière égale aux enjeux sécuritaires, comme le démontrent les situations préoccupantes au Mali ou au Burkina Faso. Nos travaux ont ainsi pour objectif de définir une orientation commune et de formuler des recommandations concrètes sur les différents thèmes abordés. Ces propositions seront ensuite relayées et défendues par les parlementaires qui nous représentent.
Lesfrancais.press : « L’accent a été mis sur la sécurité dans la région et au Sénégal en particulier. Est-ce à dire que c’est la préoccupation majeure des ressortissants français vivants au Sénégal ? »
Cynthia Delabre : « Nous avons organisé cinq ateliers thématiques, dont l’un était spécifiquement dédié à la question de la sécurité dans l’ensemble de la circonscription. Au Maghreb et à l’exception de la Libye, les situations politiques se caractérisent par une stabilité relative, une paix civile et un contrôle assuré par les autorités locales de chaque pays. À ce stade, aucun risque majeur ne semble menacer ni la paix civile de nos ressortissants dans cette zone.
« La CFE doit demeurer, un pilier de protection sociale et de cohésion républicaine pour les Français établis hors du territoire national »
Cynthia Delabre, Français du Monde - ADFE
En revanche, la situation est plus préoccupante dans le Sahel et dans le golfe de Guinée, où plusieurs pays sont confrontés à des crises politiques internes aux répercussions directes sur la sécurité des Français établis localement. Ces contextes se traduisent par des tensions diplomatiques ouvertes avec la France, des menaces terroristes sérieuses, des obstacles administratifs au séjour pour les agents consulaires ou les résidents français, ainsi qu’une recrudescence des plusieurs types de tensions.
Dans certains cas extrêmes, ces conditions ont conduit à des départs contraints de compatriotes, voire à des évacuations encadrées par le Centre de crise, comme ce fut le cas au Niger. En Afrique de l’Ouest, deux grands pays d’accueil, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, ont connu ou connaissent encore des épisodes politiques sensibles liés au contexte électoral. Toutefois, nos échanges sur le terrain ont permis de constater la vigilance des autorités locales en matière de sécurité publique. À cet égard, les autorités sénégalaises ont réservé un accueil particulièrement chaleureux et attentif à nos délégations lors du Printemps de la 9e. »
Lesfrancais.press : « Qu’en est-il de la cohabitation entre ressortissants Français et Sénégalais au quotidien ? Le sentiment « anti français » s’est-il estompé ? »
Cynthia Delabre : « Très honnêtement, ce n’est pas un sujet qui suscite d’inquiétude sur le terrain. Les Français installés au Sénégal sont, pour une grande partie d’entre eux, également de nationalité sénégalaise, ou mariés à des Sénégalais. Il existe entre les deux communautés un tissu de liens familiaux, culturels et historiques profonds. Ceux qui choisissent de s’installer depuis la France et ils sont de plus en plus nombreux, notamment parmi les retraités ou les descendants de la diaspora franco-sénégalaise, tous bénéficient d’un accueil à la hauteur de l’hospitalité de valeur du Sénégal.
Cet accueil est d’autant plus chaleureux lorsque ces nouveaux arrivants font l’effort de s’intégrer, en apprenant les langues locales, en respectant les traditions, et en s’imprégnant des codes sociaux et culturels du pays. Le Sénégal est reconnu pour la chaleur de son accueil, et cette réalité se vérifie pleinement dans les relations humaines du quotidien. Il est donc essentiel de ne pas confondre certains discours politiques ou médiatiques sur la présence française en Afrique souvent amplifiés ou déformés à des fins idéologiques avec la réalité vécue par les milliers de Français qui résident au Sénégal. Les messages parfois hostiles relayés sur les réseaux sociaux ou dans certains espaces militants ne reflètent en rien l’ambiance générale ni les relations concrètes entre les populations. Il s’agit le plus souvent de constructions éloignées du vécu réel, nourries par des fantasmes ou des logiques de propagande. »
Lesfrancais.press : « Est-ce que la rencontre qui s est déroulée en juin 2024 à Paris entre Emmanuel Macron et le président Sénégalais, Bassirou Diomaye Faye a permis de détendre l’atmosphère ? »
Cynthia Delabre : « Vous pourriez adresser cette question à Madame l’ambassadrice de France au Sénégal ou à son homologue à Paris. Nous n’avons pas vocation à commenter les relations bilatérales. »
Lesfrancais.press : « Comme lors de la 2ème édition du Printemps de la 9ème circonscription organisée à Rabat, en 2024, la CFE a occupé une place centrale lors des débats ? »
Cynthia Delabre : L’avenir de la Caisse des Français de l’Étranger (CFE) constitue aujourd’hui l’une des principales préoccupations exprimées par les sections locales et par nos compatriotes à travers le monde. Ce sujet, loin d’être marginal, touche au cœur de la mission de solidarité nationale envers les Français vivant hors de France.
Or, les choix budgétaires opérés par le gouvernement sont largement en décalage avec l’urgence des besoins financiers de la CFE dont le déficit dépasse les 45 millions d’euros (reports déficitaires cumulables des années 2022 et 2023) face à la faible contribution publique de seulement 700 000 euros pour un besoin de 25 millions par an. Aucune réponse à la hauteur n’a été apportée pour garantir la pérennité de cet outil fondamental.
Face à cela, les parlementaires représentant les Français de l’étranger affiliés à notre association, tout comme les militants et les conseillers des Français de l’étranger, refusent que la mission de service public assurée par la CFE soit sacrifiée au nom de logiques purement comptables. La CFE ne doit pas être réduite à un rôle de prestataire d’assurance : elle est, et doit demeurer, un pilier de protection sociale et de cohésion républicaine pour les Français établis hors du territoire national. Dans une République indivisible et sociale, la justice sociale ne saurait être reléguée au second plan ni devenir la variable d’ajustement des politiques budgétaires.
C’est précisément dans cet esprit que nous avons lancé, en mars dernier, une pétition nationale à l’initiative du siège de Français du Monde-ADFE, appuyée par l’appel public de notre député Karim Ben Cheïkh. Notre message est clair : la CFE accomplit une mission de service public essentielle, et nous dénonçons les tentatives récurrentes de certains acteurs de la transformer en simple opérateur privé, déconnecté des valeurs de solidarité et d’universalité. »
Lesfrancais.press : « Durant les travaux et échanges, des pistes de solutions concernant la viabilité et la pérennité du financement de la CFE ont-elles donné lieu à des recommandations ? »
Cynthia Delabre : « Nous avons évoqué avec inquiétude les hausses de cotisations, qui frappent de plein fouet l’ensemble des adhérents, mais en particulier les personnes âgées, souvent plus exposées sur le plan sanitaire et disposant de ressources limitées. Ce déséquilibre accentue les inégalités, là où la CFE devrait au contraire être un levier de solidarité intergénérationnelle. Il est donc impératif de mettre en place des solutions concrètes, durables et solidaires, à la hauteur des enjeux. Parmi les pistes sérieuses discutées figure celle du financement de la CFE par une fraction de la CSG-CRDS, ce qui serait légitime : de nombreux Français établis à l’étranger sont en effet soumis à ces prélèvements sur leurs revenus immobiliers ou fonciers en France, sans pour autant bénéficier d’un système de protection adapté. »
Lesfrancais.press : « Avez-vous prévu de participer aux Assises de la protection sociales qui se déroulent jusqu’en octobre prochain ? »
Cynthia Delabre : « Il est essentiel de participer activement aux Assises de la protection sociale. Nous appelons l’ensemble de nos compatriotes à s’y engager pleinement. Ce rendez-vous constitue une opportunité majeure pour faire entendre la voix des Français de l’étranger, trop souvent négligés dans les politiques sociales nationales.
Conscients de cet enjeu, nous avons consacré trois ateliers spécifiques à l’élaboration d’une contribution collective aux travaux des Assises. Par ailleurs, lors de la dernière Assemblée des Français de l’étranger, qui s’est tenue à Paris en mars dernier, Français du Monde-ADFE a présenté au ministre délégué aux Français de l’étranger, Laurent Saint-Martin, les conclusions et recommandations issues du Printemps de la 9e, qui avait déjà accordé une place importante aux enjeux sociaux d’avenir et à venir. Ce moment est crucial.
« Si cette parole ne s’exprime pas clairement, le risque est grand que le gouvernement considère à tort qu’il n’y a ni urgence, ni problème »
Cynthia Delabre, Français du Monde - ADFE
Les Français établis hors de France doivent s’en emparer pour faire remonter leurs réalités concrètes comme les difficultés d’accès à la santé, les inégalités face aux bourses scolaires, le poids croissant du coût de la scolarité, les obstacles à la prise en charge du handicap, ou encore isolement des personnes âgées et perte d’autonomie.
Si cette parole ne s’exprime pas clairement, le risque est grand que le gouvernement considère à tort qu’il n’y a ni urgence, ni problème. Or nous savons, nous, que ces sujets sont au cœur des préoccupations de terrain. La panoplie des problèmes rend vulnérables des centaines de familles et de personnes âgées et isolées qui soit peinent à scolariser leurs enfants dans le réseau d’enseignement français, soit renoncent à se soigner pour cause de non accès à une assurance santé adaptée, ou soit vivent en situation de handicap physique. »
Lesfrancais.press : « Est-ce que la 4ème édition du Printemps de la 9ème est déjà en préparation ? »
Cynthia Delabre : « Nous nous réjouissons déjà de cette 4e édition qui s’annonce fondamentale, à la veille des prochaines élections consulaires. Quel pays accueillera nos travaux l’an prochain ? Cela reste à définir tant les différentes sections sont enthousiastes et volontaires. Affaire à suivre ! »
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Rachid Hallaouy est journaliste et éditorialiste installé au Maroc depuis 2006. Après avoir collaboré avec de nombreux médias en presse écrite (L’Economiste), électronique (Yabiladi) et audiovisuel (France 24), il a rejoint Luxe radio pour y lancer en 2011 un concept de débat d’idées traitant de sujets politiques et économiques.
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