Fatalité budgétaire ?
Depuis des années, le Haut Conseil des Finances Publiques répète à satiété que la France n’est pas sur la bonne trajectoire en matière de finances publiques en soulignant la lenteur de l’assainissement des comptes et le recours à des hypothèses économiques optimistes. Ces cris d’alerte ne retiennent l’attention de l’opinion au mieux que quelques heures.
Depuis 50 ans, la France accumule les déficits et la dette n’en finit pas de progresser. Année après année, l’Etat emprunte sur les marchés des sommes de plus en plus importantes. En 2024, il devrait émettre pour 285 milliards d’euros d’obligations. Jusqu’à maintenant, les oiseaux de mauvais augure avec leurs antiennes catastrophistes se sont trompés. La France a franchi les barres des 60 % et de 100 % du PIB de dette publique sans que cela ne change en rien le quotidien des Français.
La prodigalité budgétaire n’a pas de limite
Ces derniers ont goûté lors de l’épidémie de covid aux délices du « quoi qu’il en coûte », laissant croire que la prodigalité budgétaire n’a pas de limite. En vertu de quoi, ce qui était possible avec le covid ne le serait-il plus demain ou après-demain ? A écouter certains, le retour à l’équilibre des comptes publics serait devenu un anachronisme bourgeois, une vision étriquée de l’économie. L’histoire économique enseigne que les banqueroutes par mauvaise gestion des fonds publics sont légion mais nul ne porte crédit aux évènements du passé.
Les tensions sur les taux d’intérêt provoquées par la présentation d’un projet de loi de finances en Italie avec un déficit public en hausse nous rappelle que l’Europe marche sur le volcan des dettes publiques, volcan dont le réveil peut survenir à tout moment. Avec sa dette de plus de 160 % du PIB, son faible taux d’épargne, sa population vieillissante et son instabilité politique, l’Italie est le maillon faible de l’Europe, mais elle n’a pas l’exclusivité, loin de là, de la mauvaise gestion.
Depuis 50 ans, la France accumule les déficits et la dette n’en finit pas de progresser.
Plus de 20 points de PIB en France, en quatre ans
L’affaiblissement de la croissance associée à des prix de l’énergie élevés constitue un cocktail explosif alimentant les déficits publics et extérieurs des Etats les plus faibles. Cette conjonction de facteurs avait conduit en 2010 à la crise grecque. Depuis, la dette publique n’a cessé de progresser dans plusieurs Etats. Plus de 20 points de PIB en France, en quatre ans. La transition énergétique, le vieillissement démographique, la guerre en Europe : tout concourt non pas aux économies mais à la progression des dépenses publiques.
En France, nul ne croit à l’assainissement réel des comptes publics à moyen terme. Ce dernier ne pourra être que brutal, imposé sous la contrainte. Il sera incontournable quand les investisseurs refuseront de prêter par crainte de ne pas être remboursés. Le moindre doute sur la solvabilité de l’Italie ou de la France constituerait alors une crise européenne et certainement occidentale. Si depuis une dizaine d’années, l’appartenance à la zone euro n’est plus une question, même pour les partis antieuropéens, elle pourrait se poser à nouveau comme élément de chantage pour les Etats impécunieux afin d’obtenir des largesses des Etats vertueux. Ces derniers refuseraient par crainte d’un engrenage qui les mettrait en difficulté sur fond d’hostilité de leur population à venir en aide aux premiers.
Une montée aux extrêmes des opinions et des gouvernements pourrait provoquer une explosion que nul ne souhaite. Après avoir surmonté la crise des subprimes, celle de dette grecque, l’épidémie de covid, la guerre en Ukraine, la Banque centrale européenne s’est forgé un savoir-faire dans le déminage des problèmes de haute voltige.
Le précipice économique et financier n’est pas une fatalité
Le précipice économique et financier n’est pas une fatalité comme le prouve une étude du Boston Consulting Group qui souligne que, depuis le début de la crise sanitaire, par sa politique, la France a renforcé sa compétitivité par rapport à ses principaux partenaires dont l’Allemagne. Avec des coûts salariaux maitrisés, avec l’engagement de plusieurs réformes structurelles concernant le droit du travail ou les retraites, avec un effort d’investissement important de la part des entreprises, la France serait l’un des pays dont le potentiel économique se serait le plus accru, en Europe depuis 2019. L’histoire n’a donc pas l’obligation de se répéter ni même de bégayer.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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