Face aux velléités de Donald Trump de « diviser pour mieux régner », l’UE se prépare

Face aux velléités de Donald Trump de « diviser pour mieux régner », l’UE se prépare

Donald Trump est peut-être le plus vieux président de l’histoire des États-Unis, mais ses perspectives politiques et commerciales sont même plus vieilles que la langue anglaise : divide et impera. Face à cela, l‘Union européenne (UE), a toutefois de puissantes munitions dans son arsenal commercial.

Les fonctionnaires de l’UE craignent de plus en plus que celui qui s’autoproclame « l’homme des droits de douane » et le « faiseur d’accords » ne sape l’unité européenne au cours de son second mandat. Donald Trump pourrait en effet menacer d’imposer des droits de douane à certains États membres. Ou au contraire accorder des exemptions du prélèvement « universel » de 10 à 20 % aux pays qui s’engagent à faire des concessions politiques ou à acheter davantage de pétrole et de gaz américains.

Ces dernières semaines, ces craintes ont été ravivées par le refus du nouveau président américain d’exclure une « coercition économique » pour forcer le Danemark à renoncer au contrôle du Groenland. Donald Trump a réitéré cette menace samedi, affirmant que l’annexion par les États-Unis de l’île, qui est très riche en ressources, était nécessaire « pour la protection du monde libre ».

La semaine dernière, Washington s’est retiré de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des accords de Paris sur le climat. Les analystes notent que ce dédain pour les accords et les organisations multinationales augmente significativement le possible fait que Donald Trump négocie directement avec les États membres à titre individuel, au lieu de traiter avec l’UE dans son ensemble.

Diviser pour mieux régner « est une tactique sensée, qui correspond à la vision du monde de [Donald] Trump », selon Niclas Poitiers, chargé de recherche à Bruegel.

La vulnérabilité de l’Europe aux tactiques de division est exacerbée par la paralysie économique et politique en Allemagne et en France. Mais aussi par l’influence politique croissante des partis d’extrême droite pro-Trump dans l’ensemble de l’UE.

La Première ministre italienne Giorgia Meloni était la seule dirigeante de l’UE invitée à l’investiture du président des États-Unis lundi dernier. Cette dernière entretient des liens personnels étroits avec le magnat de la technologie Elon Musk, « meilleur ami » autoproclamé du président américain.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán est également un admirateur de Donald Trump depuis longtemps, et a à plusieurs reprises entravé le soutien de l’UE à l’Ukraine ainsi que les sanctions à l’encontre de la Russie.

« Il existe un réel danger que les États membres individuels tentent d’obtenir des concessions et des exemptions de la part de [Donald] Trump au détriment d’une position de négociation européenne plus forte et unifiée », a déclaré Arthur Leichthammer, chargé de mission au Centre Jacques Delors.

Washington, 20 janvier 2025. Le président américain Donald Trump prononce son discours d’investiture. ©Photo by Kevin Lamarque - Pool/Getty Images
Washington, 20 janvier 2025. Le président américain Donald Trump prononce son discours d’investiture. ©Photo by Kevin Lamarque – Pool/Getty Images

Corroborant ce point de vue, Karel Lannoo, directeur général du Centre for European Policy Studies, a déclaré que le président américain serait « probablement assez intelligent » pour monter les États membres de l’UE les uns contre les autres. Il estime que, au cours des négociations commerciales, le président américain pourrait exploiter la dépendance de l’Europe à l’égard des États-Unis en matière de sécurité.

Il a également prévenu que l’objectif stratégique principal de Washington était Pékin, et non Bruxelles.

Les responsables américains « considèrent que l’Europe est faible » et partent du principe que, quelle que soit la politique que les États-Unis décident de mener, l’Europe continuera à avoir besoin d’un partenariat étroit avec eux, notamment pour l’OTAN et la défense.

« Mais leur obsession est la Chine », a ajouté Karel Lannoo.

Des armes politiques fortes dans l’arsenal de l’UE ?

Selon des analystes et des fonctionnaires européens, l’UE dispose de plusieurs armes législatives dans son arsenal pour répondre à une éventuelle coercition économique américaine.

L’un de ces outils est l’instrument anticoercition (IAC), que Niclas Poitiers décrit comme « un très bon instrument » et « une clause de défense mutuelle ». « Si vous attaquez un pays, vous attaquez l’Union », a-t-il fait remarquer.

Ironiquement, cet instrument a été développé pendant le premier mandat de Donald Trump, pour aider les entreprises européennes à éviter les sanctions secondaires américaines après le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien.

L’outil politique, qui est aujourd’hui considéré comme une arme utile pour lutter contre le chantage économique chinois, pourrait être invoqué si le président des États-Unis tente d’imposer des droits de douane à un État membre spécifique.

Les analystes expliquent que cet outil permet à l’UE d’imposer un large éventail de mesures de rétorsion. Cela peut prendre la forme de droits de douane équivalents sur les produits américains, ou des restrictions sur la capacité des entreprises américaines à investir ou à répondre à des appels d’offres pour des contrats publics dans l’UE.

L’IAC doit cependant obtenir le feu vert d’une « majorité qualifiée » de 15 des 27 États membres, représentant au moins 65 % de la population de l’Union.

Une autre arme commerciale dont l’UE pourrait se saisir est le règlement d’application de l’UE. Cet instrument commercial vieux de dix ans a récemment mis à jour pour contourner l’affaiblissement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) par les États-Unis.

Washington a depuis longtemps rendu le système judiciaire de l’OMC inutilisable, en bloquant la nomination des juges de l’organe d’appel. Les membres de l’OMC peuvent maintenant se soustraire aux décisions des tribunaux en « faisant appel dans le vide ». L’expression est depuis passée dans le langage courant.

Le règlement d’application actualisé habilite la Commission européenne à répondre à tout droit de douane américain spécifique à un État membre sur la base d’une décision favorable de l’OMC, même si Washington fait appel.

Comme l’IAC, ce règlement permettrait à Bruxelles de riposter, notamment en s’attaquant à l’important excédent commercial de Washington avec l’UE dans le domaine des services.

Selon les données de l’UE, les États-Unis ont enregistré un excédent de 104 milliards d’euros dans le domaine des services. Mais un déficit de 156,6 milliards d’euros dans le domaine des marchandises avec l’UE en 2023.

« En cas de transgression commerciale en termes de marchandises, le règlement d’application de l’UE permet à l’UE de prendre des mesures de rétorsion dans le domaine des services », a déclaré Arthur Leichthammer. Il a ajouté que les mesures potentielles pourraient inclure des restrictions ciblant des secteurs américains clés, tels que la banque d’investissement, le conseil et la comptabilité.

Le chargé de mission au Centre Jacques Delors a toutefois averti que de telles actions ne devraient être entreprises qu’en dernier recours et qu’il faudrait éviter de déclencher des représailles.

« Je ne préconise vraiment pas que, si [Donald] Trump impose des droits de douane sur quelques produits, nous devions interdire aux services financiers américains d’avoir un accès équitable au marché de l’UE », a-t-il déclaré.

« Mais cela devrait figurer dans le panier de représailles [de l’Union] et rappeler à [Donald] Trump que le commerce ne concerne pas uniquement les marchandises. »

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