Europe : le retour de l’histoire

Europe : le retour de l’histoire

Dans les années 1990, avec la fin de l’URSS et l’essor de la mondialisation, l’Union européenne a appliqué à la lettre les thèses de Fukuyama sur la « fin de l’histoire ». Sans ennemi, elle s’est spécialisée dans son avantage comparatif : les échanges commerciaux. Les attentats islamistes ont certes rappelé que l’histoire pouvait être tragique, mais les États européens ont choisi de récolter les dividendes de la paix, laissant volontiers aux États-Unis le rôle de gendarme du monde et de défenseur des valeurs démocratiques. Les chantiers intracommunautaires, comme la création de l’euro, ont monopolisé toutes les énergies, occultant les dangers d’un monde de plus en plus multipolaire.

Au fil du temps, les États-Unis sont, de moins en moins les réassureurs de l’Europe. Depuis l’élection de Barack Obama, leurs dirigeants s’éloignent progressivement de cette dernière, leur priorité étant désormais le Pacifique. L’élection de Joe Biden pourrait n’être qu’un simple intermède avant un retour à cette tendance lourde.

L’Europe est menacée sur deux fronts extérieurs et en son sein.

Avec la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine, l’Europe a pris conscience de sa vulnérabilité et de sa dépendance économique et militaire. En 2021, le Brexit a souligné la fragilité de la construction européenne qui, pendant 70 ans, n’avait jamais connu de recul. La crise au Proche et Moyen-Orient, même si les États-Unis y jouent encore leur rôle de gendarme, concerne en premier lieu l’Europe, qui importe une grande partie de son pétrole et de son gaz des pays du Golfe.

Les États-Unis, de leur côté, ont retrouvé une autonomie énergétique leur permettant d’avoir un avantage comparatif dans la production de biens. L’Europe est menacée sur deux fronts extérieurs et en son sein. Son économie est anémiée, comme l’a souligné le rapport de Mario Draghi. Longtemps, l’Union européenne a reposé sur le couple franco-allemand, chacun jouant une partition distincte mais complémentaire. L’Allemagne a réussi sa reconstruction puis son unification grâce à la force de son industrie et de ses exportations. Contrairement à la France, elle a été contrainte à un effacement diplomatique façonné par Konrad Adenauer. Ce partage des rôles a été rendu possible par le poids économique relativement proche des deux États. Cependant, la réunification allemande a créé un déséquilibre au détriment de la France qui s’est accru avec la désindustrialisation de cette dernière.

Europe : le retour de l’histoire
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De part et d’autre du Rhin, Aujourd’hui, en Europe, ces deux pays ne font plus rêver. La France croule sous les dettes et a perdu de son influence. Elle doit régler ses problèmes internes avant d’espérer se faire entendre à nouveau des 26 autres États de l’Union. L’Allemagne, quant à elle, doit se réinventer. La hausse des prix de l’énergie et la concurrence chinoise dans des secteurs clés, comme l’automobile et les machines-outils, remettent en cause son modèle de croissance. Spécialisée dans la production de biens à forte empreinte carbone, elle doit accomplir sa transition écologique rapidement. La désagrégation du paysage politique, tant en Allemagne qu’en France, ne facilite pas l’élaboration de projets communs. À terme, l’Europe ne peut plus reposer sur le seul couple franco-allemand. La montée en puissance de l’Espagne et de la République tchèque doit s’accompagner d’un pouvoir mieux partagé.

L’Europe a progressé pas à pas, parfois dans la douleur mais toujours avec de grands projets.

Depuis plus de 70 ans, l’Europe a progressé pas à pas, parfois dans la douleur mais toujours avec de grands projets. Du marché de l’acier et du charbon en 1951 à la monnaie unique en 1999, de nombreuses étapes ont été franchies grâce à la volonté de femmes et d’hommes d’État qui croyaient au destin d’une Europe unie. Depuis l’échec du Traité constitutionnel en 2005, l’Union européenne ne fait plus rêver, même si une large majorité de la population est consciente des effets négatifs incommensurables qu’aurait sa déconstruction. Les autorités européennes ont longtemps pensé que la transition écologique pourrait être une « nouvelle frontière » ; or, pour de nombreux citoyens, elle est synonyme de contraintes et d’augmentation des taxes.

Des projets ambitieux doivent guider la construction européenne. La défense, les nouvelles technologies, l’énergie et la protection sociale sont autant de domaines qui pourraient permettre à l’Union européenne de se réinventer.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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