« Être prêt dans trois ou quatre ans » : le message choc du général Mandon

« Être prêt dans trois ou quatre ans » : le message choc du général Mandon

Lorsque le général Fabien Mandon s’est avancé devant les maires de France, le ton du 107ᵉ Congrès a soudain changé. À la succession des dossiers locaux, des inquiétudes sur les violences envers les élus ou les contraintes budgétaires, a suivi un discours d’une gravité rare. Le chef d’état-major des armées (CEMA) n’a pas cherché l’euphémisme. Il a parlé d’un monde « qui se dégrade », d’une Europe « en risque », d’une France qui doit désormais « accepter l’idée de perdre des enfants » et « de souffrir économiquement » si elle veut rester maître de son destin. Et il a fixé un horizon : « Être prêt dans trois ou quatre ans » : le message choc.

Jamais un CEMA n’avait, devant un auditoire politique aussi large, utilisé une telle franchise. Le choc des mots a suscité de vives réactions, parfois outrées. Pourtant, replacés dans leur contexte, ils sont moins une rupture qu’une dernière alarme dans un système d’alerte qui, depuis plus d’une décennie, clignote sans interruption.

Un état du monde sans fard

Le général Mandon n’a pas dressé un panorama géopolitique pour inquiéter, mais pour rappeler une évidence : l’époque où la France pouvait croire que son environnement stratégique resterait stable est révolue. L’alliance américaine, pilier de la sécurité européenne depuis 1945, est fragilisée par le recentrage stratégique de Washington vers l’Asie. La Chine, de son côté, s’est hissée au rang des puissances militaires les plus avancées du monde. Le Moyen-Orient, après les attentats du 7 octobre, a connu une conflagration et est entré dans une zone de turbulence durable. Quant au Sahel et à l’Afrique de l’Ouest, ils sont devenus un foyer particulièrement actif pour de nombreux groupes terroristes.

« La Russie aujourd’hui, je le sais par les éléments auxquels j’ai accès, se prépare à une confrontation à l’horizon 2030 avec nos pays. Elle s’organise pour ça »

Général Mandon, CEMA, Congrès des maires de France, 18 novembre 2025

Mais c’est surtout la Russie qui concentre les inquiétudes du chef d’état-major. Selon lui, Moscou ne limitera pas ses ambitions à l’Ukraine. Il décrit une préparation méthodique « en vue d’une confrontation autour de 2030 » avec les pays européens et membres de l’OTAN. Ce n’est pas une prophétie, mais un calcul stratégique : la Russie dispose encore de ressources, de capacités d’armement, d’une industrie réorientée vers l’effort de guerre et de dirigeants prêts à assumer un coût humain considérable.

Face à cela, la France ne manque ni de technologie, ni d’expertise, ni d’industrie. Ce qui lui manque, dit-il, c’est « la force d’âme ». Non pas la volonté de partir en guerre, personne ne demande cela, mais la capacité collective à comprendre que la paix exige un effort, une cohésion, une lucidité.

Un message inédit dans la bouche d’un CEMA

Si les propos du général Mandon ont frappé si fort, c’est qu’ils brisent un tabou implicite : l’idée que la défense est un sujet réservé aux experts, aux militaires, aux responsables politiques. En s’adressant aux maires, il s’adresse en réalité à l’ensemble du pays.

Le chef d'état-major des Armées français, le général Fabien Mandon.
Le chef d'état-major des Armées français, le général Fabien Mandon. © Eric Beracassat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Ses prédécesseurs avaient déjà averti. Le général Lecointre parlait de menaces « cumulatives », qui apparaissent simultanément dans le cyberespace, les fonds sous-marins, l’espace ou le terrorisme. Le général Pierre de Villiers, dès 2022, appelait à « passer commande » et rappelait que la France avait perdu une grande partie de son potentiel militaire. Le général Burkhard, juste avant de quitter ses fonctions, alertait sur la rapidité du réarmement russe, plus dynamique que celui des Européens.

« Il faut que nos concitoyens puissent échanger avec vous et que vous puissiez expliquer ce que vous avez perçu des enjeux de défense, parce que notre défense se construit localement »

Général Mandon, CEMA, Congrès des maires de France, 18 novembre 2025

L’amiral Guillaud, en 2012 devant IHEDN, déplorait l’ignorance croissante de la chose militaire chez une partie des élites. La différence, aujourd’hui, est que le discours ne se limite plus aux institutions. Il touche directement les citoyens à travers leurs élus locaux. La préparation ne concerne plus seulement l’armée. Elle concerne désormais la société.

Le soldat choisit son métier, mais pas sa mission

Les critiques les plus virulentes contre le discours du CEMA sont venues de responsables politiques dénonçant un ton « va-t-en-guerre ». Elles traduisent une méconnaissance profonde d’un principe fondamental : le soldat choisit son métier, mais pas sa mission. Ce principe, qui structure toute la profession militaire, rappelle que ceux qui s’engagent dans l’armée ne décident jamais du moment ni des raisons pour lesquelles ils seront envoyés en opération. Ils servent la Nation, et ce sont les représentants de la Nation qui déterminent l’usage de la force. Imputer au CEMA une volonté personnelle de « préparer la guerre » revient donc à projeter sur les militaires une responsabilité qui ne leur appartient pas.

Soldat de l'armée française au Sahel
Soldat de l'armée française au Sahel

Il y a, dans ce malentendu, quelque chose de plus profond. Dans un pays où le service national a disparu depuis plus de vingt ans, où la mémoire de la conscription s’estompe et où moins de 1 % de la population porte l’uniforme, les militaires sont parfois perçus comme appartenant à une catégorie à part. Or ils sont aussi les enfants de la Nation, ceux de parents, de communes, de villages parfois les plus modestes. Oublier cela, c’est accentuer le fossé entre l’armée et la société civile, le même que l’amiral Guillaud regrettait déjà en 2012.

Si tu veux la paix, prépare la guerre

La phrase latine Si vis pacem, para bellum est souvent interprétée comme une exhortation agressive. Elle signifie en réalité que la paix repose sur la crédibilité. Si un adversaire sait que l’attaque sera trop coûteuse, il renonce. C’est le fondement même de la dissuasion nucléaire, mais aussi de la dissuasion conventionnelle. La préparation dont parle le général Mandon n’est pas une préparation à l’affrontement, mais à la dissuasion. Elle suppose une armée prête, une industrie capable de soutenir l’effort, et une société consciente des enjeux.

« Notre outil de défense dépend de nous.
Tout ce qui est stratégique est fait en France »

Général Mandon, CEMA, Congrès des maires de France, 18 novembre 2025

Elle suppose aussi que les adversaires perçoivent une cohésion nationale, une solidarité entre civils et militaires, une absence d’ambiguïté dans l’engagement du pays à défendre son territoire et ses alliés. C’est cette cohésion qui manque aujourd’hui, selon le CEMA. Non par faiblesse individuelle, mais par manque de culture stratégique collective.

Le rôle stratégique des maires

Pourquoi s’adresser aux maires ? Parce que ce sont eux qui incarnent le lien quotidien, concret, entre l’État et les citoyens. Ce sont eux qui portent la mémoire nationale, à travers les monuments aux morts. Et ce sont eux qui seront, demain, les premiers relais pour expliquer les enjeux, accueillir des militaires, soutenir les réservistes, faciliter les entraînements et maintenir la compréhension entre l’armée et la population. Le Général Mandon ne leur demande pas d’embrigader qui que ce soit. Il leur demande d’informer, de sensibiliser, de ne plus laisser la question de la défense dans un angle mort de la vie civique.

Une controverse parfois incomprise à l’étranger

Pour les Français de l’étranger vivant en Ukraine, représentés par David Franck, ou en Israel, représentés par Caroline Yadan, la notion de se préparer à un conflit ou de “perdre ses enfants n’est pas une donnée abstraite.

L’amiral (2s) Patrick Chevallereau
L’amiral (2s) Patrick Chevallereau

L’amiral (2s) Patrick Chevallereau, lui aussi Français de l’étranger partageant son temps entre la France et l’Oregon, a longuement travaillé sur la relation transatlantique et européenne. Nous lui avons demandé comment il interprète l’alerte du général Mandon (« être prêt dans trois ou quatre ans ») dans le cadre d’une autonomie stratégique européenne ?”.

Sa réponse fut tout aussi lucide :
« Les propos du Chef d’état-major des armées s’inscrivent dans un contexte inédit depuis plusieurs générations, d’un danger extérieur, le régime russe, qui menace notre sécurité, nos intérêts, notre démocratie et notre mode de vie. (…) Il existe aujourd’hui, quotidiennement, dans la guerre hybride que mène la Russie à l’Europe, une continuité entre les combattants de « l’avant » et les citoyens de « l’arrière ». Or ce sont ces citoyens, Européens, Français, que la propagande et la désinformation du Kremlin ciblent en priorité.(…)  Une Europe qui, pour éviter sa vassalisation et préserver son existence, n’a pas d’autre choix que celui de se doter de tous les instruments de son autonomie, y compris militaire. Mais le temps presse. »

Un message pour le pays, pas pour la guerre

Le discours du général Mandon ne vise pas à tétaniser, ni à préparer les esprits à un conflit imminent. Il appelle la France à sortir d’un confort stratégique qui n’existe plus. Il appelle à reconstituer une culture de sécurité nationale, à renouer le lien entre l’armée et la société, à regarder le monde tel qu’il est devenu.

La paix ne se décrète pas. Elle se protège. Elle se prépare.
Et c’est précisément ce que le CEMA demande : que la France soit prête… dans trois ou quatre ans.

Vidéo du discours du Général Mandon, CEMA, Congrès des maires de France, 18 novembre 2025 :

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