Aujourd’hui à Paris, les Jeux Olympiques rendent heureux.
« Si la nuque de l’homme est faite pour la poigne du bourreau si ses bras sont promis à la croix Le bonheur existe et j’y crois » écrivait Aragon, un connaisseur qui aimait aussi bien Staline le bourreau qu’Elsa.
Les bourreaux forment une amicale qui témoigne d’une profonde concordance de moyens, goûts et pensées ainsi que d’une solidarité sans faille. Ainsi, les amis Poutine, Erdogan, Maduro, Khamenei, Diaz-Canel, Ortega, ont détesté les Jeux de Paris, menacé quelques pays ou populations, envoyé croupir ou mourir un peu de chair humaine, pleuré l’élimination des chefs du Hezbollah et du Hamas, félicité l’élection de Maduro, ponctuée d’une dizaine de morts. Il fallait être naïf pour penser que Maduro respecterait l’accord de la Barbade qui avait décidé d’élections libres en échange de la levée des sanctions. Huit millions de Vénézuéliens, un quart de la population, ont quitté leur pays. Ils fuient le bonheur du paradis chaviste. Ceux qui restent sont-ils heureux ?
Comment mesurer le bonheur ?
Comment mesurer le bonheur ? Où se vit-il le mieux ? N’est-ce qu’un sentiment ? Le Wall Street Journal ironise: « La plus grosse surprise des Jeux de Paris : Même les Français n’ont rien à dire. » Les Jeux rendent heureux.
« Le bonheur est une idée neuve en Europe » écrivait Saint Just. Elle s’inscrivait déjà le 16 juin 1776 dans la Déclaration des Droits de la Virginie : « Tous les hommes sont, par nature, également libres et indépendants, et possèdent certains droits inhérents, desquels, lorsqu’ils entrent dans l’état de société, ils ne peuvent être privés ou dépouillés par aucun accord, et qui sont les suivants : la jouissance de la vie et de la liberté, avec les moyens d’acquérir et de posséder la propriété, et de chercher et d’obtenir le bonheur et la sécurité. »
Le « droit au bonheur » a été reconnu comme un droit effectif par la Cour suprême américaine en 1923.
Le « droit au bonheur » a été reconnu comme un droit effectif par la Cour suprême américaine en 1923 (arrêt Meyer/Nebraska). Sur ce fondement, en 1967, elle a déclaré inconstitutionnelle l’interdiction des mariages interraciaux en Virginie (arrêt Loving day). Au Brésil, la Cour suprême l’a utilisé en 2011 pour valider l’union civile entre personnes du même sexe. Le Japon, la Corée du Sud ont eux aussi inscrit le droit au bonheur dans leur Constitution. L’Équateur en 2008, la Bolivie en 2009, ont inclus une notion proche : le « Buen Vivir ». Au Bhoutan, selon l’article 9, l’État doit promouvoir les conditions permettant d’atteindre le « Bonheur National Brut ».
Y est-on heureux ? Non. L’Onu a défini un indice du « bonheur national brut » ; le Bhoutan y est à la 97éme place. L’État ne garantit pas le bonheur. Il peut y contrevenir. Le World Happiness Report repose sur des évaluations réalisées par le Gallup World Poll, le Well being Research Center d’Oxford et le Réseau des solutions de développement durable des Nations-Unies. Les variables sont le revenu, l’espérance de vie en bonne santé, le soutien social, la liberté de faire des choix de vie, la générosité et l’absence de corruption, et le ressenti des citoyens.
Aznavour se trompait en chantant « Emmenez-moi Au pays des merveilles II me semble que la misère Serait moins pénible au soleil. », le soleil n’est pas gage de bonheur : En 2023, La Finlande est le pays le plus heureux du monde pour la septième année consécutive. Alors que les pays européens sont en tête, les pays nordiques dominent. Les dix premiers, dans l’ordre : Finlande, Danemark, Islande, Suède, Israël, Pays-Bas, Norvège, Luxembourg, Suisse, Australie.
Dans le top 20, des nouveaux venus : Costa Rica (12ème) et Koweït (13ème). Des sorties : États-Unis et Allemagne ont été relégués aux 23ème et 24ème rangs. Taiwan menacé est 31éme, la Chine 60éme. La Russie 72éme est un modèle pour ses amis, Venezuela 79éme, Turquie 98éme ou Iran 100éme.
L’Europe de l’Est rejoint l’Europe de l’Ouest en tête : la République tchèque (18ème) et la Lituanie (19ème) conservent leur place dans le top 20, la Slovénie est 21ème, La France 27eme, en recul de six places. Ce sont les jeunes, « moins heureux », qui baissent la position française comme américaine.
Le soleil n’est pas gage de bonheur : les pays nordiques dominent.
Chez les moins de 30 ans, l’indice de bonheur met la France à la 48e place. Les États-Unis à la 62e. Norvège, Suède, Allemagne, France, Royaume-Uni, Espagne sont des pays où les personnes âgées sont plus heureuses que les jeunes, tandis que le Portugal et la Grèce affichent une tendance inverse. Ceci s’explique par la « remontada » de ces deux pays après leur crise monétaire. Preuve de l’impact économique sur le bonheur et la jeunesse. Dans le reste du monde, avec la croissance, les niveaux de bonheur des jeunes et des adolescents ont largement augmenté.
Une différence de genre ? Les courbes hommes/femmes évoluent parallèlement, mais, sauf dans quelques pays, les femmes sont toujours un peu heureuses que les hommes. Le veuvage ?
Quels sont les pays les plus malheureux ? Le champion du malheur est l’Afghanistan, le vice-champion est un ancien paradis, le Liban. Puis les pays africains : Lesotho, Sierra Leone, Congo, Zimbabwe, Botswana, Malawi, Eswatini, Zambie…
Pas de surprise : Les pays disposant d’un revenu moyen par habitant plus élevé affichent des moyennes de satisfaction de vie également plus élevées. Le niveau de richesse par habitant est directement lié au bonheur ressenti, même si le lien n’est pas automatique. Ainsi l’indice du bonheur est plus élevé dans les pays d’Amérique latine que ce qu’il devrait être au seul vu des statistiques.
Les femmes sont toujours un peu plus heureuses que les hommes. Le veuvage ?
Et les inégalités ? Le General Social Survey aux États-Unis couvre chaque année un échantillon de 1 500 personnes, depuis 1972. Sur cette base la moyenne américaine reste globalement stable, mais les inégalités dans le bien-être subjectif ont diminué. Les deux tiers de l’écart entre Américains blancs et Africains-Américains ont disparu.
Dans le monde, la part de gens satisfaits de leur vie augmente avec le temps. Parfois, l’amélioration est spectaculaire. Les pays qui connaissent une croissance économique voient croître la part de leur population qui s’estime heureuse. Autre relation claire: les pays dans lesquels les personnes se sentent plus libres ont des niveaux de satisfaction plus élevés. Il n’existe aucun pays où le sentiment de liberté serait faible et la satisfaction élevée.
A contrario, peut-on évaluer de façon indubitable le taux de malheur ? N’a-t-on pas souvent dit que les pays nordiques avaient un taux de suicide parmi les plus élevés du monde ? Erreur. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le taux mondial de suicide est estimé à 10,5 pour 100 000 habitants contre 11,6 en 2008. Avec de fortes variations : Lesotho 87 suicides pour 100.000 habitants; Guyana et Eswatini, 40 ; Kiribati et Micronésie, les paradis du Pacifique, 30; Suriname, 25; Zimbabwe, Afrique du Sud, Mozambique, République centrafricaine, 23; Russie 21. En Europe, la moyenne est à 10. (France : 9,7).
Si la carte des suicides n’est pas l’exact opposé de celle du bonheur, elle ne la contredit pas. Elle dépend, comme toute étude, de la fiabilité de statistiques. Seuls 80 États membres sont dotés de systèmes satisfaisants. En général, pays pauvres, pays en guerre ont des taux de suicide élevés.
Que retenir de ces études ? D’une part, que la croissance économique fait partie du bonheur. « Je préfère pleurer dans une Jaguar plutôt que dans un autobus. » est un cliché bien connu de Sagan. D’autre part, que la question du bonheur est peut-être mal posée. Sagan, encore, prétendait que les premières questions que l’on devrait oser poser à quelqu’un devaient être : « Etes-vous amoureux ? Quel livre lisez-vous ? ». La vie pleine mieux que le bonheur.
Aucun pays où le sentiment de liberté serait faible et la satisfaction élevée.
Au-delà du roman, le bonheur est bien une question politique. Saint Just et avait raison. Avec cet additif de Jefferson: « La constitution américaine donne le droit au bonheur. Mais c’est à chacun de l’attraper ». Au lieu de vouloir l’assurer à chacun, que personne, puissance publique ou privée, ne l’entrave. Il n’est pas de bonheur sans liberté. C’est en quoi l’état de droit y contribue.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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