Aux États-Unis, la liberté d’expression de plus en plus sous pression

Aux États-Unis, la liberté d’expression de plus en plus sous pression

Aux États-Unis, la liberté d’expression, bien que garantie par le Premier Amendement, semble chaque semaine un peu plus mise à l’épreuve. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, des mesures administratives et politiques remettent en question son exercice effectif. Révocation de visas pour opinions politiques, pressions sur les journalistes couvrant la Défense ou encore mise en scène de déjections jetées sur des manifestants anti-Trump : une nouvelle série de décisions et d’événements dessine un climat où la critique semble risquée.

Des visas révoqués pour motifs politiques

Le 14 octobre 2025, l’administration Trump a pris la décision controversée de révoquer les visas de six ressortissants étrangers ayant exprimé publiquement des opinions critiques à l’égard de Charlie Kirk, militant conservateur assassiné lors d’un événement à l’Université de l’Utah, le 10 septembre 2025. Les personnes visées sont originaires d’Argentine, du Brésil, d’Allemagne, du Mexique, du Paraguay et d’Afrique du Sud. Le Département d’État a justifié ces mesures en affirmant que les États-Unis n’étaient pas tenus daccueillir des étrangers manifestant de lhostilité envers les Américains, évoquant la nécessité de protéger le respect et la sécurité sur le sol national.

« Cette affaire relance le débat sur l’équilibre
entre souveraineté nationale et protection des libertés fondamentales
dans la diplomatie et l’immigration américaine »

Washington Post

Cette mesure a suscité des réactions de la part de défenseurs de la liberté d’expression. Des organisations telles que le Knight First Amendment Institute ont exprimé des préoccupations concernant la constitutionnalité de ces révocations de visas, les qualifiant de censure fondée sur les opinions exprimées. Pour les observateurs, cette mesure sinscrit dans un contexte plus large de durcissement du contrôle idéologique sur limmigration légale depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, où le filtrage des entrants semble de plus en plus guidé par des critères politiques plutôt que purement administratifs. Selon The Washington Post, cette affaire relance le débat sur l’équilibre entre souveraineté nationale et protection des libertés fondamentales dans la diplomatie et l’immigration américaine.

Pressions sur les médias : restrictions des journalistes du Pentagone

Le durcissement ne se limite pas à la sphère migratoire. Les restrictions imposées à la presse illustrent une même logique : celle d’un pouvoir exécutif qui contrôle de plus en plus étroitement la parole publique. Des journalistes ont perdu leur accréditation au Pentagone en octobre 2025 en raison de leur refus de signer une nouvelle politique d’accès imposée par le Département de la Défense des États-Unis. Cette politique stipule que les journalistes pourraient être considérés comme des risques pour la sécurité nationale et voir leurs accréditations révoquées s’ils cherchent à obtenir des informations classifiées ou certaines informations non classifiées jugées sensibles.

Manifestation pour la liberté d'expression aux USA
Manifestation pour la liberté d'expression aux USA - © Unsplash

En réponse, au moins 30 organisations médiatiques majeures, dont Reuters, The New York Times, The Washington Post, CNN, Fox News, et d’autres, ont refusé de se conformer à ces nouvelles règles, dénonçant une atteinte à la liberté de la presse et à la transparence gouvernementale. Le porte-parole du Pentagone, Sean Parnell, a défendu cette politique en affirmant qu’elle visait à protéger la sécurité nationale, tandis que le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a qualifié les règles de « bon sens ».

« Protéger la sécurité nationale »

Sean Parnell, porte-parole du Pentagone

Le rapport entre le Pentagone, récemment rebaptisé « ministère de la guerre » par décret présidentiel, et ces restrictions est indirect : si le changement de nom symbolise un retour à un langage plus martial, les mesures d’accès à la presse viseraient avant tout à contrôler la diffusion d’informations sensibles sur la défense et la sécurité nationale, et non à restreindre spécifiquement les informations liées à un conflit militaire.

Un climat d’intimidation alimenté par le pouvoir exécutif

Dans la rue comme en ligne, la contestation s’exprime encore, mais sous tension. Le mouvement No Kings a émergé en juin 2025 en réaction à ce qui était perçu comme une dérive autoritaire de l’administration Trump et une concentration excessive du pouvoir exécutif. Fondé par des activistes progressistes et des défenseurs des libertés civiles, il s’est rapidement diffusé à travers les réseaux sociaux et a organisé ses premières manifestations dans plusieurs grandes villes américaines. Le 18 octobre 2025, la plus récente mobilisation a rassemblé 7 millions de personnes à travers 2600 villes dont New York, Washington D.C., Los Angeles et Chicago. Ces manifestations, largement pacifiques, ont attiré l’attention nationale en raison de la couverture médiatique et de la réponse provocatrice de l’exécutif sur le réseau Truth Social.

Manifestation pour la liberté d'expression aux USA - © Unsplash

Donald Trump a en effet publié une vidéo générée par intelligence artificielle, le montrant dans un jet portant la mention “King Trump”, larguant des déjections sur des manifestants. Cette vidéo a été largement critiquée pour son contenu provocateur et son utilisation de la technologie pour ridiculiser les opposants. Une autre vidéo, là encore produite grâce à l’IA, publiée par le Vice-President américain montrait des personnalités démocrates s’inclinant devant un Donald Trump affublé en roi, amplifiant le message incendiaire.

La vitalité démocratique résiste à la pression

Dans ce climat tendu, chaque manifestation prend une dimension politique. Ce mardi 21 octobre 2025, quelques heures après la descente spectaculaire des agents d’ICE sur Canal Street, au sud de Manhattan, Chinatown s’est transformé en scène de colère et de solidarité. Dès la fin d’après-midi, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant les échoppes encore à moitié fermées, criant No raids in our city”, Stop targeting immigrants”, We belong here”.

L’opération fédérale, officiellement destinée à démanteler un réseau de vente de produits contrefaits, a rapidement pris une tournure politique. Dans une ville qui se revendique sanctuary city, la présence d’agents lourdement armés, masqués, accompagnés de véhicules blindés, illustre les descentes migratoires sous la présidence Trump.

Cette descente symbolise un tournant dans la ville démocrate : la réactivation d’une politique de terrain musclée, où immigration et criminalité se confondent dans le discours fédéral. Chinatown, bastion historique de l’immigration, en devient malgré lui le théâtre et le symbole. En descendant dans la rue, les New-Yorkais ont exercé un droit fondamental, garanti par le Premier Amendement, qui protège la parole publique et la réunion pacifique. Face à un pouvoir fédéral qui revendique le retour à une politique de contrôle et de dissuasion, ces voix dans les rues de la ville qui ne dort jamais réaffirment une autre vision de l’Amérique : celle d’une société pluraliste, où contester une décision du gouvernement n’est pas un crime, mais une preuve de vitalité démocratique.

Auteur/Autrice

  • Rachel Brunet

    Rachel Brunet est une journaliste française installée à New York depuis 13 ans.

    Après un début de carrière dans la presse économique à Paris, elle a rejoint la presse francophone aux États-Unis.

    Elle défend une information rigoureuse et une analyse exigeante de l’actualité.

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