Alors que l’été débute, de nombreux Français établis aux États-Unis s’interrogent : est-il bien raisonnable de quitter le pays quelques semaines ? Aucun texte officiel ne limite leur liberté de mouvement, mais la peur d’un retour compliqué s’installe. Entre prudence administrative et incertitudes politiques, l’idée même de partir en vacances devient un sujet de réflexion.
Du 18 au 20 juin 2025, Lesfrancais.press a mené une consultation en ligne* auprès de ses lecteurs vivant aux États-Unis. 1070 lecteurs volontaires ont répondu à notre première question :
Avez-vous prévu de quitter temporairement les États-Unis dans les prochaines semaines (vacances, famille) ?
Ils n’étaient plus que 690 à répondre à la seconde :
Ce départ vous fait-il hésiter en raison d’incertitudes sur les conditions de retour aux États-Unis ?
Une majorité de Français resteront sur place
Plus d’un tiers prévoit de quitter les États-Unis… mais beaucoup avec retenue. Premier enseignement de notre consultation : 36,45 % des répondants déclarent avoir prévu de quitter temporairement les États-Unis dans les prochaines semaines, pour des raisons familiales ou de congés. Une large majorité (63,55 %) indique toutefois rester au pays de l’oncle Sam cet été. Ce chiffre peut sembler élevé, surtout au regard de l’idée largement répandue selon laquelle les expatriés rentrent naturellement en France pendant la période estivale. Mais les résultats de notre consultation révèlent une prudence nouvelle.
En effet, lorsqu’on leur demande si ce départ les fait hésiter en raison d’incertitudes sur les conditions de retour, plus d’un Français sur cinq (21,74 %) exprime clairement des craintes ou des doutes. Plus largement, 39,13 % affirment ne pas être inquiets, mais rester prudents. À l’inverse, 24,64 % assurent ne ressentir aucune inquiétude, tandis que 14,49 % disent ne pas comprendre pourquoi ils devraient s’inquiéter. Autrement dit, près de deux répondants sur trois envisagent leur départ avec prudence, compte tenu des incertitudes entourant les conditions actuelles de réadmission sur le territoire américain.
Des contrôles plus stricts à l’entrée des États-Unis
Ce climat de prudence s’inscrit dans un contexte plus large : depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier 2025, des témoignages signalent un durcissement des contrôles migratoires envers des étrangers en règle. Étudiants, enseignants-chercheurs, conjoints de citoyens américains, détenteurs de visas professionnels, résidents permanents : tous peuvent se retrouver confrontés à des questions inhabituelles à la frontière, à une fouille de leur téléphone, ordinateurs, réseaux sociaux, voire à un refus temporaire d’entrée s’ils ne peuvent justifier certains éléments de leur dossier.
Aucun changement réglementaire majeur n’a été officiellement annoncé pour l’instant. Mais les inquiétudes croissent au sein des communautés expatriées, qui observent une application plus politique, plus idéologique, de la politique migratoire américaine. Un climat d’autant plus pesant que le flou demeure : il n’est pas toujours clair pourquoi tel ou tel voyageur est inquiété, ni comment anticiper les signaux rouges aux yeux de l’immigration. La Suisse a d’ailleurs pris les devants. Son Département fédéral des affaires étrangères a conseillé à ses ressortissants de rester vigilants lors de déplacements aux États-Unis, évoquant les risques liés à d’éventuelles tensions politiques ou sociales.
Ce que disent des élus français sur la situation
Franck Bondrille, Conseiller des Français de l’étranger en Floride, confirme avoir été sollicité par plusieurs compatriotes inquiets de ne pas pouvoir revenir aux États-Unis après un séjour à l’étranger : « J’ai eu plusieurs cas de Français qui m’ont contacté car ils s’interrogeaient sur les conditions de retour. Chaque année, nous organisons un conseil de sécurité avec le consulat général de France à Miami. Cette fois-ci, nous avons exceptionnellement invité un avocat spécialisé en immigration, justement parce que de nombreuses personnes exprimaient leurs inquiétudes. »
Selon les échanges menés à cette occasion, la situation reste généralement stable pour les personnes en règle. « D’après les avocats et les cas traités par le consulat, les problèmes concernent essentiellement des voyageurs qui ont eu, à un moment ou un autre, une difficulté administrative ou un incident passé. Mais pour ceux qui ont un visa en cours de validité, qui n’ont jamais eu de souci, il n’y a en principe aucune raison d’être inquiété », explique l’élu floridien. Et de rajouter : « Un problème judiciaire, même mineur comme une condamnation, un vol, une affaire de stupéfiants… Ce sont souvent ces éléments, parfois anciens, qui peuvent ressortir au moment du contrôle. »
Annie Michel, conseillère des Français de l’étranger dans la circonscription de New York, constate également une montée des inquiétudes : « J’ai reçu de nombreux appels de Français de la circonscription qui s’interrogent, des professeurs, notamment, qui sont sous visa et qui se demandent s’ils pourront re-rentrer après un séjour à l’étranger. La crainte est partagée au-delà des seuls détenteurs de visas, même les binationaux et les résidents permanents s’inquiètent. »
Et d’évoquer un cas concret en Floride qui illustre les propos de Franck Bondrille : celui d’un jeune Français de 25 ans détenteur d’une carte verte, parti visiter son père malade en France. « Il avait terminé sa probation après une petite erreur de jeunesse, il avait été arrêté en possession de moins d’un gramme de marijuana. Il se demandait s’il pouvait sortir et revenir sans encombre, ce que l’immigration lui avait confirmé. Mais à son retour, il a été arrêté par ICE et emprisonné. C’est un exemple qui montre bien que même lorsqu’on pense être en règle, on peut être exposé. »
À Los Angeles, Patrick Caraco, Conseiller des Français de l’étranger pour la circonscription de Los Angeles, reconnaissait dans notre podcast du 18 juin dernier une part d’incertitude : « Oui, il y a un risque, estime l’élu. Même avec un visa ou une carte verte, rien n’est complètement garanti : tout dépend de l’appréciation de l’agent d’immigration au moment de l’entrée sur le territoire. » Il appelle notamment à la vigilance des Français qui multiplient les allers-retours en pensant pouvoir bénéficier indéfiniment des 90 jours d’exemption de visa accordés aux ressortissants de pays comme la France. « C’est une zone grise : certains abusent de cette souplesse, mais cela peut leur coûter cher. » Autre facteur de risque évoqué : des séjours passés dans certains pays jugés sensibles par les autorités américaines, comme Cuba ou des États du Moyen-Orient. « Là encore, tout est dans les mains de l’officier d’immigration. Ils ont un pouvoir discrétionnaire total. »
Dans une interview accordée à notre média le 20 juin dernier, Roland Lescure, député des Français d’Amérique du Nord, confirmait une montée des inquiétudes parmi les expatriés français des États-Unis : « Je suis régulièrement en contact avec des Françaises et des Français qui sont inquiets. Inquiets pour le monde, inquiets pour l’Amérique, mais aussi inquiets pour eux-mêmes. » Selon lui, la première source d’angoisse concerne la mobilité. « Ceux qui ne sont pas franco-américains redoutent de partir en France, par crainte de ne pas pouvoir revenir aux États-Unis, » explique le député. Sans nier les inquiétudes, Roland Lescure invite tout de même à ne pas verser dans l’alarmisme.
« Les cas de Français empêchés de revenir aux États-Unis restent, à ce stade, anecdotiques. Tout dépend bien sûr du statut de chacun. Les franco-américains peuvent rentrer, c’est leur pays. Ils seront peut-être un peu bousculés s’ils ont pris publiquement position contre l’administration, mais ils rentreront. En revanche, les titulaires de carte verte, de permis de travail ou de visa étudiant doivent faire preuve de prudence. Il est fortement recommandé d’éviter les prises de parole publiques. Un douanier peut consulter vos réseaux sociaux avant de vous autoriser à entrer. Il a un pouvoir discrétionnaire total. Il faut être humble, courtois, coopératif. Et dans 99,9 % des cas, tout se passera bien. Il faut simplement être plus vigilant que d’habitude. »
Roland Lescure, député des Français d’Amérique du Nord
Une recommandation paradoxale, reconnaît-il, dans un pays historiquement fondé sur l’immigration et la libre circulation.
Le point de vue d’un avocat d’immigration
Pour Me. Hervé Linder, avocat associé spécialisé en droit de l’immigration au sein du cabinet Ernst & Linder LLC à New York, et Conseiller du Commerce Extérieur de la France, aucun changement légal n’est intervenu ces derniers mois concernant le droit d’entrée sur le sol américain pour les ressortissants européens : « La règle reste la même pour tout le monde. » Les détenteurs de visas ou de cartes vertes conservent donc, en principe, le droit de revenir aux États-Unis, à condition de remplir les exigences de leur statut. « En général, s’ils ont un visa valide, il n’y a aucune raison qu’ils ne puissent pas ré-entrer, sauf circonstances indépendantes de leur visa, type arrestation ou présence partisane sur les réseaux sociaux, » explique l’avocat. Les résidents permanents, eux, doivent pouvoir démontrer qu’ils continuent à remplir leurs obligations : résidence principale aux États-Unis, fiscalité, etc.
Mais les tensions récentes s’expliquent, selon lui, par quelques cas concrets de refoulement à la frontière, notamment après l’examen de publications critiques sur les réseaux sociaux : « Il y a eu quelques cas d’étudiants, de personnes sous carte verte qui ont été refoulés. » Cette vigilance numérique touche désormais tous les statuts, qu’ils soient citoyens américains, résidents permanents ou simples titulaires de visa. À la frontière, rappelle Me. Linder, aucune protection juridique ne s’applique tant que l’entrée n’est pas validée : « Vous n’avez droit à aucune assistance d’un avocat ou d’une quelconque autorité. Vous demandez à entrer, vous n’êtes pas encore sur le territoire. »
C’est dans ce flou juridique que les agents de la Customs and Border Protection disposent d’une large marge de manœuvre : « Ils ont tout à fait le droit de fouiller vos téléphones, ordinateurs, tablettes… Et si vous ne leur donnez pas le code d’accès, ils gardent l’objet. » Pour les non-citoyens, « ça peut être compliqué », ajoute-t-il. D’où la stratégie adoptée par certaines grandes entreprises : « J’ai des clients qui conseillent à leurs employés de voyager avec un téléphone vide ou d’effacer WhatsApp, Facebook, les images dans le cloud… C’est de la prévention. »
Les nouvelles consignes de contrôle ont aussi touché certains types de visas. L’émission de visas J-1 et F-1 a été temporairement suspendue, le temps de mettre en place une procédure de vérification renforcée des comptes personnels : « Les ambassades et consulats américains peuvent à nouveau émettre ces visas avec un contrôle renforcé des réseaux sociaux des demandeurs. C’est la conséquence des mouvements étudiants dont nous avons tous entendu parler. »
Et les situations sensibles ne sont pas rares, Me. Linder cite le cas d’un journaliste britannique ayant écrit des articles engagés sur la Palestine, inquiet de ne pouvoir entrer sur le territoire américain. Mais il insiste : « La majorité des voyageurs, en dehors de situations très visibles ou polémiques, ne rencontrent aucun problème. Si on ne s’affiche pas de façon flagrante sur les réseaux sociaux, et qu’on n’a rien fait de mal, on n’aura aucun problème à revenir cet été. » Cette position est d’ailleurs celle de l’administration américaine elle-même : « Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez aucune crainte à avoir. »
Reste que l’évaluation finale dépend du bon vouloir de l’agent au poste-frontière. « Les agents ont une discrétion absolue. Mais attention, ce n’est pas propre aux États-Unis, c’est pareil en France. » Ce pouvoir d’interprétation concerne aussi les enseignants : « Ceux des écoles françaises ne rencontrent pas de difficulté, mais pour les professeurs d’université, la situation peut se tendre selon la nature des réponses données à l’arrivée », explique l’avocat.
Quant aux détenteurs de visas professionnels (E-2, L-1, H-1B…), Me. Linder affirme n’avoir constaté aucun refoulement, même si certains renouvellements se révèlent un peu plus exigeants.
En résumé, selon lui, la loi n’a pas changé, mais la subjectivité des contrôles s’est accrue : « Il ne faut pas céder à la panique. Nous sommes encore dans un État de droit. »
Mais le conseil reste de prendre le moins de risques possibles.
*Nous avons lancé cette consultation en ligne, à laquelle de nombreux lecteurs ont choisi de répondre librement ; il ne s’agit pas pour autant d’un sondage au sens strict, et nous n’affirmons pas que les réponses recueillies forment un échantillon représentatif de l’ensemble de la population.
Auteur/Autrice
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Rachel Brunet est une journaliste française installée à New York depuis 13 ans. Après un début de carrière dans la presse économique à Paris, elle a rejoint la presse francophone aux États-Unis. Elle défend une information rigoureuse et une analyse exigeante de l’actualité.
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