À San José, au cœur de la Silicon Valley, l’avenir de l’énergie américaine semble s’esquisser entre deux panneaux solaires et une batterie lithium-ion. Mary Powell, directrice générale de Sunrun, y orchestre un modèle énergétique décentralisé, résilient. Pour ses clients, l’argument écologique est réel mais l’élément clef est l’autonomie : continuer à faire tourner sa maison quand le réseau public vacille. L’autre argument mis en avant est le coût : disposer d’électricité à faible prix. Sunrun ne vend pas des panneaux et propose un service, un écosystème complet, clé en main. En agrégeant les productions domestiques, elle développe des mini-réseaux capables d’alimenter les compagnies électriques lors des pics de demande, évitant ainsi les coupures en Californie ou à Porto Rico. Un modèle de flexibilité, qui conjugue économie domestique et gestion de crise à l’échelle locale.
En 2024, le solaire représentait plus de 60 % des nouvelles capacités électriques installées aux États-Unis. Portée par la chute du coût des panneaux et les incitations fiscales de l’Inflation Reduction Act (IRA), l’énergie solaire semblait promise à un réel essor. Mais c’était avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
Le virage rétrograde du 4 juillet
Le 4 juillet, le jour de l’Independance day, l’administration républicaine a promulgué le « One Big Beautiful Bill », loi qui prévoit le démantèlement des crédits d’impôt en faveur des énergies renouvelables d’ici 2027. Les aides à l’achat de véhicules électriques disparaissent de leur côté dès septembre. En parallèle, les énergies fossiles bénéficient de nouvelles mesures de soutien, notamment avec l’allégement du coût des forages, l’extension des permis sur les terres fédérales, la suppression des normes d’efficacité énergétique pour les constructeurs.
Un coup d’arrêt, pas un coup de grâce
Pour les experts de Princeton et du Rhodium Group, les conséquences climatiques sont mesurables : entre 470 millions et plus d’un milliard de tonnes de CO₂ supplémentaires d’ici 2035, selon l’intensité des mesures prises. Un différentiel équivalent, voire supérieur, aux émissions annuelles du Royaume-Uni. Le détricotage réglementaire en cours pourrait effacer une décennie de réduction des émissions aux États-Unis. Néanmoins, certaines filières, comme le nucléaire, la géothermie ou la captation du carbone, bénéficient encore du soutien fédéral. Le solaire continue sa montée en puissance grâce aux aides reçues ces dernières années avec l’IRA. Plus de 50 GW de capacités solaires supplémentaires sont attendus en 2026 et 2027.
Après, un risque de repli est possible. Selon Kevin Smith, dirigeant d’Arevon Energy, plus de 100 milliards de dollars d’investissements seront annulés. Pour les chercheurs de l’université de Princeton, le chiffre pourrait atteindre 500 milliards.
Une incertitude juridico-politique permanente
Dans ce contexte, la volatilité réglementaire devient le principal obstacle à l’investissement. La Direction du Trésor américain pourrait restreindre les critères d’éligibilité aux aides, voire appliquer rétroactivement certaines dispositions. Le spectre d’une instabilité juridique plane sur le secteur, renforcé par des clauses ambiguës comme celle des « entités étrangères préoccupantes » (FEOC), visant implicitement la Chine.
Cette volte-face du gouvernement ne sera pas sans conséquences sur le prix de l’énergie. Energy Innovation prévoit ainsi une hausse de 74 % du prix de gros de l’électricité d’ici 2035. Les demandes d’augmentation tarifaire pour le seul premier semestre 2025 atteignent déjà 29 milliards de dollars. Les anciens modèles – charbon, gaz – peinent à compenser. Le nucléaire avance à pas lents, les nouvelles technologies ne sont pas matures.
Les États-Unis pourraient faire face à une étonnante pénurie d’électricité en raison des changements incessants de direction du pouvoir. À terme, certaines filières, comme le nucléaire ou les technologies pilotables à faible émission, pourraient en sortir renforcées. D’autres, plus fragiles ou dépendantes du soutien public, seront reléguées. Forte de ses économies d’échelle dans le solaire et les batteries, la Chine en profitera probablement pour renforcer sa position dominante.
L’Amérique n’a pas encore tourné la page du climat. Mais elle en réécrit les chapitres à sa manière. Elle risque de rester une puissance énergivore et carbonée même si, sur le terrain technologique, elle demeure incontournable au niveau des énergies renouvelables.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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