En Equateur, le gouvernement a décrété l’état d’urgence. Un ancien chauffeur de taxi devenu chef d’une bande de narcotrafiquants a déserté de sa prison. C’est la guerre et le possible retour des Etats pirates.
Au Honduras, un 81éme journaliste, spécialiste du narcotrafic, a été abattu. Les massacres continuent. Une partie du territoire comme des « institutions », est contrôlée par les cartels. Au Ghana, la contrebande de fèves de cacao détourne les récoltes. Peut-être les paysans ont-ils raison, comme en Birmanie ou ailleurs, l’État n’est qu’un prête-nom de bandits galonnés. À Kalamata, en Grèce, le pétrole russe passe d’un tanker à l’autre pour échapper aux sanctions. Au Yémen, les rebelles Houthis, téléguidés par les Mollahs, attaquent le trafic maritime. États-Unis et Royaume-Uni ripostent, comme au vieux temps des Barbaresques. La frégate française « La Provence » essuie le feu, elle aussi.
Chacun croit qu’un pays est un pays, que partout il y a des gouvernements, des États.
En Libye, la contrebande aux mains de groupes armés assèche la distribution d’essence dans le sud. En Syrie, le Captagon, une drogue de synthèse, est répandu dans tout le Moyen-Orient par Assad, chef d’un Etat cannibale. La Chine distribue sa drogue, le Fentanyl, par les cartels aux États-Unis. Toujours sur fond de drogue, elle a annoncé une trêve entre les groupes rebelles armés du nord de la Birmanie et la Junte.
En Chine,le ministre de la Défense, le chef d’état-major, neufs généraux ont été limogés. La corruption dans l’armée transformerait le carburant des missiles en eau.
Chacun croit qu’un pays est un pays, que partout il y a des gouvernements, des administrations, des États, reflets de nations qui forgeraient leur unité. Ils se retrouveraient tous à l’Onu pour discuter des affaires du monde. Illusion. L’humanité n’a jamais fonctionné ainsi. À l’ONU une majorité de dictateurs discourent des droits de l’homme.
Le nationalisme justifie la mainmise sur les peuples. La plupart des forces armées servent à contrôler les populations qu’elles sont censées défendre. C’est le cas en Amérique latine comme en Asie. Que les États-nations ne soient pas nationaux, c’est la règle plutôt que l’exception. Ce n’est pas le plus important : souvent, les États ne sont pas des États. L’État n’est pas une forme définitive du pouvoir politique et a de grandes chances de ne pas l’être demain, en tout cas sous ses contours actuels.
Les États occidentaux ont calqué leurs institutions et concepts : empires, royaumes, cités-états, sur d’autres mondes, en Amérique, Asie, Afrique, comme si ces formes étaient universelles. Il n’en est rien : l’empire mongol était un réseau de clans. Singapour n’est pas Venise. Les royaumes africains, sans frontière, n’en étaient pas. Les empires s’effondrent moins de batailles que de désunions ; de la désertion de populations qui n’ont aucune envie de se battre pour un pouvoir qui les opprime. Pourquoi ne pas changer de maître ?
Pourquoi les esclaves défendraient-ils leurs maîtres ? L’histoire des pouvoirs n’est pas que celle des États.
La conquête arabe se fit par désertion. Les Chrétiens, persécutés par le patriarche et l’empereur de Byzance, ouvrirent les portes de Jérusalem et d’Alexandrie. Les Amérindiens aidèrent les Conquistadores à abattre leurs oppresseurs. Le colonialisme britannique s’empara des Indes contre le Grand Moghol avec les potentats locaux. Les Français colonisèrent l’Afrique avec peu d’hommes, plutôt des troupes recrutées sur place. Le message de « délivrance » portée par les Républicains de l’époque n’était pas de mauvaise foi. Pourquoi les esclaves auraient-ils défendu leurs maîtres ? L’histoire des pouvoirs n’est pas que celle des États.
La contrebande permet au pétrole russe de se vendre, grâce aux pirates, et aux États pirates.
Les guerres et les désordres du monde actuel s’inscrivent dans le temps long. Si la contrebande permet au pétrole russe de se vendre, c’est grâce aux pirates, et aux États pirates.
Dubaï est une de ces plaques tournantes de ce trafic. Il y en a bien d’autres. Les compagnies maritimes immatriculées dans des pays fantomatiques, déjouent les sanctions.
Les pavillons de complaisance ne fonctionnent pas que pour le transport maritime. Armes, technologies, minerais, s’échangent en mer ou dans les ports complices. Ils se négocient aussi en Suisse, où les sociétés de trading battent des records. Les Suisses conjuguent la plus belle démocratie avec les trafics les plus illégaux.
En Equateur, il y a longtemps, il y avait un « État ». Des archéologues ont découvert sous la forêt amazonienne un réseau de villes disparu il y a deux mille ans. Tout empire périra. Les plus anciennes sociétés politiques de la planète sont le Japon, la France et le Danemark. De façon plus contestable, parce que souvent éclatée et dominée par des dynasties étrangères, la Chine. Quand la Chine éclatera…
L’existence d’un État, pas plus que de la liberté, n’est un acquis. Les États faillis sont plus nombreux qu’on ne le croit.
Valéry :« Nous usons comme de dons gratuits de mille choses qui ont été payées par des vies humaines, de perles dont le pêcheur a vomi le sang, de livres échappées au bûcher ». L’existence d’un État, pas plus que de la liberté, n’est un acquis. Les États faillis sont plus nombreux qu’on ne le croit. Soudan, Ghana, Venezuela, Congo, Equateur, Mali, Benin, Syrie, Birmanie, ont-ils des lois ?
Certains considèrent la Russie elle-même gangrenée par des mafias dont la complicité se maintient sous le juge arbitre du Kremlin. D’autres considèrent, qu’outre le parti et l’armée, le pouvoir chinois ne pourrait tenir sans les Triades, les mafias chinoises. Qu’en est-il dans les Balkans ?
La capacité à faire respecter les lois, à vouloir respecter les lois, pour le pouvoir politique, n’est pas une donnée. L’État n’est pas une certitude. L’état de droit, c’est-à-dire un État qui se soumet au droit, moins encore.
Le bien-être morose actuel de la France et de l’Europe, est peut-être une bulle paradisiaque. Sous les coups externes, les guerres, les coups internes, la médiocrité ou les impuissances d’Etats devenus inefficaces, la bulle pourrait éclater.
Thierry Breton, Commissaire européen, a révélé que Donald Trump, alors Président, avait asséné à Ursula von der Leyen que si l’Europe était attaquée, « Bien sûr, les États-Unis ne bougeraient pas ». À bon entendeur, Salut. Poutine a entendu.
Le bien-être morose actuel de la France et de l’Europe, est peut-être une bulle paradisiaque.
Cette semaine, le gouvernement suédois a alerté sa population qu’il n’écartait pas une attaque de la Russie. Personne ne croit à un tel scenario. L’armée russe semble trop affaiblie pour oser un deuxième front en plus de l’Ukraine. Mais personne ne croyait à une attaque terrestre de Poutine. Certaines actions militaires ne requièrent pas de chair à canon : coupures de câbles sous-marins, cyberattaques, désinformation : tout cela a déjà eu lieu contre les pays baltes, la Suède, la Finlande, d’autres, dont la France. L’emprisonnement de notre concitoyen, Martin Ryan, en Azerbaïdjan, comme les quatre citoyens français en Iran, est des prises d’otages digne de gangsters maîtres chanteurs. Le clan Aliev est-il autre chose qu’un gang familial qui possède un État, comme tant d’autres ? Faire avec, parfois. Être capable, aussi, de répondre.
Les Européens sont-ils prêts ? Thierry Breton a proposé un fonds de cent milliards d’euros pour la défense. Trump peut être élu. Même s’il ne l’est pas, il traduit un décalage persistant entre l’Europe et les Etats Unis.
Il y a de faux États, qui sont des États sans peuples.
Il y a de faux États, qui sont des États sans peuples. Des prête-noms à des contrebandiers, de trafiquants de toute sorte. Quand ce n’est que du pétrole, soit, chacun en a besoin tant que l’on n’a pas réussi à le remplacer, par exemple avec l’énergie nucléaire. Il s’agit aussi de drogue, et de traite, d’armes.
Athènes, l’ancêtre des démocraties, vainquit l’empire perse à Salamine. Elle avait fabriqué 200 bateaux de guerre, des trières, grâce aux mines d’argent du Laurion. Les archéologues ont trouvé les tunnels des mineurs. Seuls des enfants ou des adolescents pouvaient s’y faufiler pour creuser le plomb argentifère. Le scandale n’est pas que la liberté des uns se paie parfois par l’esclavage, comme à Athènes. Il est que le plus souvent l’esclavage nourrit l’esclavage. Pire encore : l’esclavage est volontaire, quand ceux qui sont libres méprisent la liberté, tolèrent les criminels en leur sein.
L’Europe est-elle à ce point pauvre qu’elle ne peut se doter de législation qui mette hors de ses côtes les trafiquants ? Est-elle à ce point démunie pour transborder le pétrole en Grèce ? En Turquie ? En Syrie ? En Libye ? En Iran ? N’est-elle rien en Méditerranée ? N’est-elle rien dans le monde ?
L’esclavage est volontaire, quand ceux qui sont libres méprisent la liberté, tolèrent les criminels en leur sein.
Pendre les pirates, un à un, est un objectif de justice. Et encore : un pirate n’est qu’un hors-la-loi, un État pirate, lui, détruit le droit. Aux démocraties de répondre à ces États pirates qui se manifestent comme jamais parce qu’ils voient ou croient voir de la faiblesse au sein des démocraties. Aux Européens de commencer.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président-directeur général de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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