Le Royaume-Uni a assis sa suprématie économique sur le charbon au XIXe siècle. Au XXe siècle, les États-Unis ont bâti leur hégémonie sur le pétrole. L’ancien Président, Donald Trump avait entendu protéger le secteur pétrolier américain en sortant son pays de l’Accord de Paris sur le climat. Dès les premiers jours de son mandat, son successeur, Joe Biden, a décidé de ratifier à nouveau ce traité dédié à l’environnement.
La lutte contre le réchauffement climatique, un instrument de politique intérieure
Si la lutte contre le réchauffement est devenue outre-Atlantique une cause nationale, elle permet de légitimer le retour du protectionnisme. L’administration démocrate met en avant le fait que la transition énergétique donnera du travail aux ouvriers, aux employés et aux cadres moyens, qu’elle réduira le poids de la Chine et des autres concurrents des Etats-Unis. Si à l’inverse de Donald Trump, les Démocrates ne sont pas climatosceptiques, ils reprennent une partie des éléments de langage de « l’American First ». Le changement de mix énergétique doit s’effectuer dans l’intérêt des États-Unis et de ses habitants. L’objectif est que les batteries comme les véhicules électriques soient fabriquées aux États-Unis, tout comme les semi-conducteurs qui sont indispensables au bon fonctionnement des voitures.
L’administration américaine a décidé par ailleurs de développer de nouvelles centrales nucléaires, de créer des usines de production d’hydrogène vert et de réaliser des champs solaires. Au cours des deux dernières années, le Congrès a adopté trois projets de loi sur les infrastructures, les puces semi-conductrices et l’environnement avec, à la clef, 2000 milliards de dollars d’aides publiques. Le projet de loi sur l’infrastructure met à disposition 1 200 milliard de dollars sur dix ans pour les routes, les ponts et les câbles d’un nouveau réseau vert.
Le chips Act, qui promeut la fabrication de semi-conducteurs en Amérique, contient 280 milliards de dollars de dépenses. Le projet de loi sur la réduction de l’inflation contient 400 milliards de dollars de subventions pour les technologies vertes sur dix ans. Pour certains experts, le montant des aides atteindrait plus de 800 milliards de dollars.
Sentiments anti-chinois, pro-environnement et nationalistes
Les projets du gouvernement prévoient la mise en place de normes visant à obliger des productions locales et à restreindre les importations ou les exportations de technologies pour des raisons de sécurité nationale.
L’Amérique veut, tout comme l’Europe, se réindustrialiser et être moins dépendante de la Chine en opérant rapidement sa transition énergétique. Depuis le New Deal, aucun gouvernement n’avait pris de telles dispositions afin de refaçonner, de manière dirigiste, le pays.
Pour obtenir le vote du Congrès, Joe Biden joue tout à la fois sur les sentiments anti-chinois, pro-environnement et nationalistes qui parcourent les travées.
Le protectionnisme des mesures proposées a provoqué des réactions assez vives de la part d’une partie des alliés traditionnels des États-Unis. Ce plan, d’une ampleur inconnue, poursuivant des objectifs disparates, peut-il réussir ? Obéira-t-il à la règle économique en vertu de laquelle une politique ayant plusieurs objectifs n’en atteint aucun ?
La réalisation des plans américains en faveur de la transition énergétique sera freinée, souligne The Economist, par les contraintes administratives qui ont tendance à se multiplier aux États-Unis tout comme en Europe. Une décennie a été nécessaire pour obtenir les autorisations de connexion au réseau californien des installations d’énergie renouvelable dans le Wyoming. Les entreprises doivent gérer plusieurs niveaux de réglementation, niveau local, fédéré et fédéral. Elles sont contraintes de dépenser des milliards de dollars en lobbying pour obtenir des permis de construire, ce sont autant de milliards de dollars en moins pour les investissements.
Mauvaise allocation des ressources, dette, inflation, rétorsions…
Ces plans risquent de provoquer une mauvaise allocation des ressources avec à la clef un endettement accru de l’État fédéral. La priorité donnée aux productions d’origine américaine sera inflationniste en limitant la concurrence. Les consommateurs américains seraient ainsi pénalisés.
Les plans protectionnistes des États-Unis pourraient entraîner des mesures de rétorsion de la part de leurs alliés. L’esprit qui prévaut en matière de commerce international depuis 1945 pourrait être ainsi remis en cause. L’économie américaine n’avait pas réellement besoin des milliers de milliards de dollars d’argent public pour opérer sa transition énergétique. Elle attire les capitaux de l’ensemble de la planète et ses entreprises réalisent des résultats leur permettant sans problème d’investir. Les États-Unis disposent des meilleures écoles d’ingénieurs du monde. Sa recherche est l’une des plus dynamiques.
En Europe, les gouvernements sont également tentés d’opter pour des solutions de financements spécifiques pour les investissements en lien avec la transition énergétique. Le gouvernement français étudie ainsi la possibilité d’utiliser les ressources du Livret A pour financer la construction des centrales nucléaires.
La tentation protectionniste et nationaliste est d’autant plus incompréhensible au sein des pays occidentaux qu’ils sont tous confrontés au risque de pénurie de main-d’œuvre. Les besoins de rationaliser les productions, de partager les solutions et de réduire les coûts devraient s’imposer en lieu et place d’une repli des États sur eux-mêmes.
Les plans américains par leurs montants pourraient générer des effets de rente pour certaines entreprises et ne pas favoriser les emplois pour les Américains les plus modestes. En ne centrant l’aide que sur les États-Unis, le gouvernement fédéral néglige le caractère mondial du problème. II ne comporte pas de volet en faveur de l’aide à la transition énergétique au sein des pays en voie de développement.
Des réponses nationales à des questions mondiales
Face à ces critiques, l’administration américaine répond que ces plans permettront de développer de nouvelles technologies, de construire des chaînes d’approvisionnement moins dépendantes de la Chine et de réduire le coût des sources d’énergie propres. Les autorités américaines estiment que tous les pays profiteront de ces gains.
Le problème de la réduction des gaz à effet de serre est par nature mondial. Il ne connaît pas les frontières. La mise en place d’une taxe carbone à l’échelle mondiale, sous l’égide de l’OCDE par exemple, serait bien plus efficace. Cette taxe pourrait s’accompagner pour les pays en voie de développement d’aides. Au niveau national, les subventions pourraient se concentrer sur les nouvelles technologies qui ne sont pas encore commercialement viables. Elles pourraient par exemple être affectées aux recherches concernant les nouveaux réacteurs nucléaires, le captage du CO2, etc.
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