Alors que le camp conservateur au pouvoir en Pologne cherche à s’assurer un troisième mandat, le résultat des élections nationales du mois prochain pourrait sérieusement influencer l’équilibre des pouvoirs avant les élections européennes de 2024.
À la suite du Brexit, qui a vu les conservateurs britanniques quitter le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), le parti conservateur polonais Droit et justice (PiS) est devenu la nouvelle pierre angulaire du groupe.
Au cours de ses deux mandats au gouvernement, le PiS a développé une relation glaciale avec Bruxelles, entachée de réformes judiciaires controversées, qui, selon la Commission européenne et la Cour de justice de l’UE, portaient atteinte à l’indépendance judiciaire, apparaissant comme la principale, mais pas la seule, pomme de discorde.
Bien qu’impopulaire dans l’UE, le gouvernement PiS a réussi à maintenir sa popularité dans son pays et dispose désormais de bonnes chances de remporter un troisième mandat lors des élections nationales prévues le 15 octobre. Les sondages lui accordent un soutien d’environ 35 %.
Le principal rival du PiS, la Coalition civique (KO) centre libérale, membre du Parti populaire européen dirigé par l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk et composé de la Plateforme civique (PO) conservatrice libérale et de partis de petite taille (comme le mouvement agricole AgroUnia), arriverait en deuxième position avec environ 29 % des voix.
La campagne électorale d’octobre s’annonce comme un duel entre le PiS et le KO et les deux partis présentent des approches très différentes à l’égard de l’Europe : le PiS accuse Bruxelles d’essayer d’usurper les compétences des États membres et le KO reproche au camp au pouvoir de saper la position de la Pologne en Europe par ses politiques antidémocratiques.
Le référendum comme outil de campagne
Un référendum accompagnera les élections sur des questions que le PiS considère comme vitales pour le peuple polonais, mais l’opposition considère le vote comme un autre outil pour renforcer le soutien au gouvernement.
À l’origine du référendum se trouve le nouveau pacte sur la migration et l’asile de l’UE, qui repose sur la solidarité obligatoire : les pays qui refusent de relocaliser les demandeurs d’asile doivent contribuer financièrement ou opérationnellement à la gestion de l’asile dans l’Union.
Alors que la Pologne et la Hongrie ont refusé le programme de l’UE, le PiS a choisi de laisser les Polonais s’exprimer sur la participation du pays aux relocalisations en leur posant la question suivante lors du référendum : « Soutenez-vous l’accueil de milliers de migrants irréguliers en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique dans le cadre du programme de relocalisation forcée imposé par les bureaucrates de l’UE ? ». Et ce, même si la Commission insiste pour dire que la relocalisation n’est pas obligatoire dans le cadre du nouveau système.
« Le PiS menace une fois de plus la Pologne avec les réfugiés. Si elle ne cible pas les personnes LGBTQ+ ou les femmes, elle cible les demandeurs d’asile », a déclaré l’eurodéputé de gauche Robert Biedroń à EURACTIV Pologne.
« Les questions de migration relèvent des compétences des États membres et de l’UE, donc aucun référendum ne sera contraignant », a-t-il précisé, ajoutant que le PiS n’utiliserait le référendum que pour mobiliser les électeurs en vue du scrutin.
Les autres questions qui seront posées concernent la privatisation des biens publics, le relèvement de l’âge de la retraite et la suppression de la barrière à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, destinée à empêcher l’immigration irrégulière en provenance de l’Est.
Des critiques ont également été formulées au sujet de la formulation des questions, dans lesquelles sont utilisés des termes quelque peu incendiaires, qui sont de nature suggestive, indiquent les « bonnes » réponses et ciblent l’opposition. L’opposition a ainsi reproché au parti au pouvoir de « ridiculiser les Polonais ».
Si le PiS remporte les élections et que la plupart des Polonais s’opposent au programme de relocalisation de l’UE lors du référendum, le parti pourrait se doter d’une monnaie d’échange influente dans le cadre de son opposition, à l’échelle de l’UE, au programme proposé par la Commission, ce qui ne faciliterait certainement pas la réforme de l’immigration et de l’asile.
Les tendances à l’« oligarchisation » du PPE
Dans une vague de concurrence entre deux visions différentes de l’Europe, le PiS attaque non seulement la Coalition civique (KO), le seul parti qui pourrait potentiellement le priver du pouvoir, mais aussi l’ensemble du groupe du Parti populaire européen (PPE). Le PiS reproche fortement au PPE sa vision de l’Europe et accuse les démocrates-chrétiens d’essayer d’influencer le libre choix électoral du peuple polonais.
Interviewé par le Frankfurter Allgemeine Zeitung en juin, le président du PPE, l’allemand Manfred Weber a parlé de la nécessité de construire un « pare-feu » contre le PiS et a exclu toute forme de coopération du PPE avec le parti au pouvoir en Pologne, qu’il a qualifié d’« ennemi politique » du PiS.
Ces propos ont suscité l’indignation du parti au pouvoir en Pologne, qui a accusé M. Weber d’essayer de s’immiscer dans les élections polonaises. En réponse, le Parlement polonais a adopté une résolution visant à contrer toute tentative d’influence d’autres pays ou de responsables politiques étrangers sur le processus électoral national.
Tadeusz Cymański, député du PiS, a récemment déclaré que la rhétorique de M. Weber, en particulier son utilisation du mot « ennemi », ressemblait à de la « propagande hitlérienne ».
L’attitude de M. Weber à l’égard de la Pologne relève d’une « effronterie » qui montre une brutalisation du discours politique, a affirmé à EURACTIV Pologne Ryszard Legutko, eurodéputé du PiS et co-président du groupe CRE.
Il a déclaré souhaiter que M. Weber soit confronté aux conséquences de ses paroles afin que de nombreux électeurs polonais se rendent compte que le PPE tente d’utiliser une « politique de la force » et des méthodes agressives.
Les défenseurs de l’UE croient en une approche pacifique, alors que M. Weber utilise une rhétorique plus antagoniste, a affirmé M. Legutko, précisant que « l’Union européenne est devenue un espace où certains recourent à l’agression contre les autres ».
Interrogé sur la possibilité pour le PiS de concevoir une forme de coopération renforcée entre le CRE et le PPE avec quelqu’un d’autre que M. Weber à la baguette, il a répondu qu’il s’agissait d’une question d’orientation politique plutôt que de considérations d’ordre personnel.
Si la tendance à la marginalisation de certains pays et à la brutalisation du langage se poursuit, il est difficile d’imaginer une coopération entre les deux partis, a-t-il affirmé.
Il a conclu que nous assistons actuellement à une « oligarchisation » de la politique européenne au sein du PPE, une orientation qui n’est absolument pas partagée par le CRE, selon ses dires.
Une promesse de repositionner la Pologne en Europe
La Coalition civique a pris la défense de M. Weber et croit en la capacité de la Pologne à jouer un rôle actif au sein de l’Europe démocratique et libérale.
« Il est inacceptable que le parti national populiste du PiS attaque les responsables politiques démocratiquement élus et utilise une rhétorique anti-européenne, visant le PPE en particulier », a déclaré l’eurodéputé de la Plateforme civique (PO) Michał Szczerba à EURACTIV Pologne.
Le PPE défend « fermement la démocratie, l’État de droit et l’Ukraine » et M. Weber « est un ami de la Pologne et une personne qui construit une puissante coalition d’institutions de l’UE pour soutenir l’Ukraine », a-t-il déclaré.
« L’objectif de la Coalition civique est de restaurer la position de la Pologne sur la scène internationale et de forger une coopération avec des partenaires démocratiques en Europe », a indiqué M. Szczerba.
Le « combat pour la Pologne » pourrait représenter un enjeu majeur pour le Parlement européen dans son ensemble. Comme le CRE a augmenté sa représentation dans d’autres pays, notamment en Italie et en République tchèque, il pourrait devenir un acteur clé des élections européennes de 2024 si le PiS l’emporte à nouveau en Pologne.
Une victoire de l’opposition serait cruciale pour le potentiel du PPE, le plus grand groupe du Parlement européen.
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