Elodie Haslé est une professionnelle de la santé dotée d’une riche palette de talents. Cette compatriote installée à Bruxelles depuis 2008 est une auteur et artiste peintre née à Grenoble mais qui a choisi d’élever ses filles en Belgique. Elle a commis un roman-essai intitulé « les suicidés » (Le Scalde éditions) disponible à la vente dans les librairies de la capitale belge (Tropismes, Filigranes, Le Rat Conteur, Cook & Book) ainsi que sur la plateforme Amazon.
Ce livre se saisit d’un sujet difficile, parfois tabou, souvent source d’incompréhensions : le suicide.
Le grand sociologue Emile Durkheim, en 1897, définit le suicide comme un fait social faisant partie intégrante de nos vies en société et s’inscrivant dans un contexte historique. Il est un des premiers à adopter une attitude scientifique, mobilisant les ressources de la recherche en sciences sociales pour mieux comprendre ce qui parait parfois incompréhensible.
Elodie Haslé, dans une démarche de romancière, a souhaité donner une incarnation à ces « suicidés » à travers une approche de fiction historique. Elle raconte donc 12 histoires de 12 personnes singulières qui évoluent dans le temps et l’Histoire à partir du Moyen-âge jusqu’à nos jours. Elle insiste sur la notion de transmission de la mémoire des suicidés et sur les traumatismes familiaux qui la sous-tendent. Si le geste terrible d’en finir reste une décision individuelle, il s’inscrit souvent aussi dans une longue histoire et puise sa source dans des héritages culturels qui peuvent expliquer et faciliter le passage à l’acte.
L’auteur développe son propos dans la deuxième partie du livre qui prend la forme d’un essai et recueille la parole de professionnels reconnus.
Nous avons rencontré Elodie Haslé pour échanger avec elle sur ce sujet qui l’a mobilisé plusieurs années, et qui lui a permis de livrer ce roman-essai réussi qui fournit des clés de compréhension et des informations utiles à tous pour comprendre, prévenir et empêcher les passages à l’acte fatal.
Lesfrancais.press : Elodie Haslé, vous êtes une professionnelle de santé, une auteure et une artiste peintre. Comment cette idée vous est venue d’écrire un roman-essai sur le suicide ?
Il y a quelques années, dans un même quartier, deux personnes avec le même profil familial et le même âge se sont suicidées, à quelques mois d’intervalle. J’ai commencé à m’interroger, à me demander ce qui avait pu les mener jusque-là, si l’une avait entraîné l’autre.
Comme je voulais mettre en avant les transmissions de vécu, de secrets de famille, j’ai imaginé des personnages en remontant dans le temps, jusqu’au Moyen-Âge. Au final, dans le livre il y en a douze, dont deux qui ne se suicident pas. Il existe des liens entre certains, une continuité dans le vécu, des transmissions de génération en génération. Dans la postface, Stéphanie Cuzange, psychogénéalogiste, livre une analyse instructive de chacun d’eux.
Lesfrancais.press : La méthode utilisée tient à la fois du récit de fiction et de l’essai à dimension scientifique. Votre vécu professionnel et artistique vous-a-t-il influencée dans ce choix méthodologique ?
Dans mon métier de pharmacienne, je suis dans l’empathie, dans l’écoute, je recueille des confidences. J’ai informé les clients de mon activité littéraire à travers l’annonce de ma conférence sur la prévention du suicide, à la librairie Le Rat Conteur, en novembre 2021. Le sujet en a poussé quelques-uns à me dévoiler leur histoire, leurs souffrances, leurs peurs et leurs interrogations. Ils ont acheté mon livre, pour venir ensuite m’en parler. Amélie Nothomb aussi l’a lu, et m’a écrit après coup : « Quel livre terrible et nécessaire ! »
Lesfrancais.press : Il y a la fameuse phrase de Flaubert, « Emma Bovary c’est moi ». Ces douze personnages de fiction sont-ils des doubles de vous ? Vous identifiez-vous en particulier à certains d’entre eux ?
Non, je ne me retrouve pas dans mes personnages. Mais si je dois en choisir un, ce serait Désiré, un enfant à naître. Dans le ventre de sa mère, il est sensible à son environnement et aux personnes qui l’entourent. Sans dévoiler l’histoire, je dirai que ce bébé in utero fait un choix. Aux lecteurs de découvrir lequel…
Lesfrancais.press : Dans votre roman, vous balayez une période de six siècles. La société d’aujourd’hui est-elle génératrice de plus de suicides ?
Dans la société d’aujourd’hui, on se suicide davantage dans les pays riches, ainsi que l’indique l’OMS. Dans ceux où les liens sociaux sont bien présents, où la famille joue un rôle très marqué comme en Espagne ou en Italie, les taux sont moins élevés. D’après les données de l’OMS (2015-2017) en termes de taux de suicide pour 100 000 habitants, la Belgique se place en cinquième position, et la Corée en tête. La France occupe la dixième place. Je ne sais pas si on se suicide plus qu’avant. En tout cas, dans nos sociétés, le suicide demeure un problème majeur de santé publique.
Lesfrancais.press : Si on parle de la famille et de son rôle de lien protecteur, il faut aussi parler hélas de la situation de ces adolescents qui passent à l’acte.
L’adolescence est un chapitre que j’ai traité à part. Elle correspond à une période de transformations physiques, psychologiques et sociales, de bouleversements hormonaux. L’adolescent n’est plus un enfant, et pas encore un adulte. Il est vulnérable, une peine de cœur, un échec scolaire, tout lui paraît insurmontable. Il est incapable de prendre du recul. Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik le souligne dans son ouvrage Quand un enfant se donne « la mort ». Les jeunes et les adultes ne sont pas toujours conscients de cette fragilité inhérente à l’adolescence. De plus, dans notre société, violence et non-respect sont monnaie courante, tant au quotidien que sur les réseaux sociaux. Les manifestations de fragilité sont rejetées.
Dans mon livre, je parle aussi de l’importance d’une personne-ressource, de confiance et à l’écoute. La famille, trop impliquée, n’est pas toujours la mieux placée. Florence Ringlet, directrice thérapeutique d’Un pass dans l’impasse, centre de prévention du suicide et d’accompagnement, à Namur, est sollicitée par des parents confrontés au drame du suicide d’un enfant adolescent. Elle estime que la culpabilité qu’ils ressentent est un sentiment compréhensible. Elle ajoute cependant que la culpabilité n’est pas la responsabilité. Il apparaît inconcevable pour des parents que leur enfant, en souffrance, envisage le suicide, et encore moins qu’il passe à l’acte. De son côté, pour ne pas culpabiliser ses parents, l’adolescent leur tait ses problèmes. Dans ce contexte d’isolement, s’il trouve les moyens de s’accrocher à une personne-ressource (enseignant, membre d’une association etc.), cela peut être d’une grande aide.
Je souligne aussi l’importance de donner un sens à sa vie. Les loisirs, que ce soit dans le domaine culturel, culinaire, artistique, sportif, informatique ou autre, sont susceptibles de faire émerger des vocations et des objectifs. L’école est un lieu d’apprentissage et d’ouverture.
Dans mon livre, je décris mes personnages dans leur quotidien, jusqu’à ce qu’ils soient confrontés à un événement qui les fragilise. Ils se retrouvent submergés, plongés dans un état de désespoir et de solitude tel que pour eux, il n’y a pas d’autre issue pour mettre fin à leur souffrance que de se suicider. Le recours à une oreille attentive et bienveillante, dénuée de jugement, auprès de structures tel que le Centre de prévention du suicide ou SOS Amitié, peut être une solution pour éviter le passage à l’acte.
Lesfrancais.press : L’écoute peut être un moyen assez simple d’aider et de prévenir. Sur quels travaux scientifiques vous basez-vous pour étayer votre propos ?
Il s’agit d’écoute, et aussi d’accueil dans la bienveillance et sans jugement, et d’aide à la mise en mots des ressentis et émotions.
Boris Cyrulnik a écrit : « Il suffit d’une pichenette pour passer à l’acte, comme il suffit d’un mot pour se raccrocher à la vie. »
Le Docteur Gérald Deschietere, psychiatre aux cliniques universitaires Saint-Luc et responsable de l’unité de crise, était à mes côtés, en même temps que Caroline Persoons, modératrice, lors de la conférence de novembre 2021 à la librairie Le Rat Conteur, sur le thème de la prévention du suicide. Il a insisté sur les premiers mots, gestes, regards, essentiels lors de l’accueil de la personne en détresse. Pour qu’elle ne se sente pas seule, et mise en confiance pour accepter un accompagnement thérapeutique.
Lesfrancais.press : Quelle est la prochaine étape de création au vu de votre champ de recherche personnel et artistique très vaste ? Allez-vous poursuivre l’exploration des sujets de société ?
Ce roman suivi d’un essai a été publié car il a intéressé un éditeur (Le Scalde). Mais j’ai d’autres manuscrits. Je ne veux pas porter d’autres questions de société sujettes à des débats, mais plutôt continuer à écrire de la fiction et à raconter des histoires. Bien sûr, ma sensibilité personnelle, mon envie de susciter des améliorations au sein de la société, transparaissent toujours dans mes écrits.
Lesfrancais.press : Votre vécu professionnel dans la santé influence votre plume. On peut à cet égard parler d’une littérature engagée puisque votre livre cherche à avoir une influence sur la réduction du nombre de suicides, à son échelle ?
De façon humble, dans mon métier je tente de changer les choses, de façon positive. Je suis confrontée à l’état de santé, la fragilité. Les gens se sentent en confiance et viennent déposer des événements de vie, des réflexions intimes. Ils viennent parfois nous annoncer, à mon collègue et moi, une pathologie lourde. Nous sommes face à la mort, et nous accompagnons les familles dans cette épreuve, à notre niveau.
Forcément, tout est en lien. Pour mes clients, mon écriture est un prolongement de mon action dans le soin, basée sur l’empathie et la bienveillance. Ils ont découvert un autre aspect de moi, ils font le lien entre mon métier dans la santé et mon activité littéraire. J’avais séparé les deux, mais en réalité ils se rejoignent. Je me sens complète car il y a une cohérence dans ce que je fais dans ma vie.
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