Normalement, Trump a perdu. Le Coronavirus chinois l’a tué. Suave et délicat comme un nid d’hirondelles, Xi Jinping lui a souhaité un « prompt rétablissement ». Trump, ce génie biomoléculaire, s’est rétabli physiquement, mais politiquement, il est épuisé. Plus que Joe Biden, c’est dire. Ce n’est pas tant sa gestion du coronavirus qui a miné ses chances que l’oubli de ses succès économiques.
La coronacrise a mis fin à 128 mois de croissance aux Etats-Unis, la période d’expansion la plus longue de son histoire. Plein emploi(3.5% de chômage), taux de pauvreté minimal (10.5%), notamment pour les minorités ethniques, baisse des impôts en moyenne de 8% pour tous les revenus, tous les voyants, avant le coronavirus, étaient au vert. Sauf les déficits, abyssaux.
A tort ou à raison, 55% des Américains approuvent la politique économique de Donald Trump. Mais, à tort ou à raison, 55% des Américains pensent qu’il est également pour quelque chose dans la crise due au coronavirus[1].
Chaos préélectoral
Soit, les sondages peuvent se tromper, et le retard de Trump sur Biden doit être évalué uniquement dans les Etats-clés. Soit, la campagne n’a pas encore révélé toutes ses surprises : Demain, à la veille du scrutin, les fake news ciblés sur les électeurs des swing states vont déferler. Ce sera le chaos préélectoral, un chaos volontaire, tout est prêt. Et le sort du monde de reposer sur les épaules de red necks prêts à croire n’importe quel bobard.
De quoi désespérer ? Ou l’inverse. Quelle que soit la réussite économique de Trump, quand le monde est à ce point turbulent, la middle class préfère un vieux cheval sur le retour comme Biden à un cas psychopathologique comme Trump. Personne n’aime ajouter l’instabilité à l’incertitude.
Continuité de Trump à Biden
Il y aura d’ailleurs plus de continuité entre Trump et Biden qu’on ne l’imagine. En matière économique, Républicains et Démocrates sont tous d’accord pour alimenter la croissance américaine avec de l’argent tombé du ciel, helicopter money. En politique internationale, l’opinion publique américaine a adopté la Chine comme adversaire. Biden aura un autre style, le fond ne changera pas. Biden reviendra à plus de considération pour l’Europe, mais le désengagement américain se poursuivra, surtout avec le Brexit.
Il signera sans doute les Accords de Paris, mais la nouvelle donne économique et pétrolière n’incitera pas à les faire respecter tout de suite. Les Européens se satisferont de déclarations, comme ils se satisfont des déclarations chinoises et russes en la matière.
Le seul dossier sur lequel une évolution est possible serait le Moyen-Orient. Vraiment ? En position de force, Biden jouerait l’apaisement avec l’Iran? Seulement pour donner une porte de sortie acceptable. Force des démocraties : les constantes sont plus fortes que les ruptures.
En tant de crise, le populisme trouve un terreau sur lequel prospérer. Il l’emporte contre les élites bien pensantes, jugées finalement méprisantes et inefficaces. Mais en temps de bouleversements, le populisme n’est plus vu comme une solution, mais redevient un risque. Finalement, mieux vaut bien penser que penser mal.
Des élections, quelles que soient la difficulté
Débattre, étymologiquement, est le contraire de battre : Le débat évite de se battre. Les élections, aux Etats-Unis comme ailleurs, restent la solution. Le meilleur moyen de changer les dirigeants.
« Le seul moyen de reconstruire la Libye, c’est de commencer par le commencement, la légitimité populaire. Organiser des élections, quelles qu’en soient les difficultés »
le Président algérien Abdelmadjid Tebboune.
Belle confession ! En Algérie, le Hirak refuse des élections jugées manipulées par le pouvoir en place. Le Président Tebboune sait qu’en Biélorussie les élections truquées ont provoqué les manifestations qui ébranlent le pouvoir du dernier dictateur d’Europe.
Au Kirghizistan, après des élections ratées, les manifestations s’amplifient, les clans s’affrontent dans la rue. En Afrique, d’ici décembre, cinq élections présidentielles auront lieu, dans des conditions plus ou moins contestables : Côte d’Ivoire, Guinée en octobre, où les présidents sortants entendent se maintenir au pouvoir, Burkina Faso, Ghana, Nigeria. Avant, il fallait l’huile sainte, maintenant, l’urne pleine.
Magie inquiétante du processus électoral
Manipulations, truquage des urnes, vote ethnique, clientélisme, propagande, fake news, on n’en finit pas de saboter les processus électoraux. Pourtant, il y a dans le rite électoral une magie inquiétante, même pour les plus cyniques, les plus menteurs, les plus acharnés des truqueurs et dictateurs. Un vote trop bidonné peut faire chanceler le pouvoir.
Parce qu’avec un bout de papier dans la main, l’électeur sent qu’il peut, éventuellement, être le maitre. Comme le jour du carnaval on inverse les rôles, le roi devient serviteur, le serviteur devient roi ; l’électeur devient le souverain. Carnaval, mascarade, illusion ? Certes, avec un seul bulletin de vote on ne fait rien, mais avec un seul un fusil non plus. Les révolutionnaires le savent.
Sartre, qui écrivait, après 68 « Elections, piège à cons » dans les Temps modernes, avait évidemment tort. On ne peut reprocher à Sartre, un idiot utilepour le parti communiste, de dénigrer la démocratie des petits bourgeois. Les élections sont vraiment des pièges à cons, mais les cons, ce ne sont pas les électeurs -même si on tente aussi de les piéger- mais les dirigeants, obligés, un moment, de sacrifier au rite de l’humilité, de se laisser ausculter, radiographier, tâter.
Les cons croient que la démocratie est un régime comme un autre.
Quand vraiment les élections sont libres, elles sont incertaines. Quand vraiment elles sont justes, elles sont incontestées.
Ceux qui croient que la démocratie américaine pourrait périr du Trumpisme ignorent la force de la démocratie. Trump pourrait monter et descendre le Capitole sur une Batmobile, s’il est battu, il s’en ira. Les Etats-Unis ont beau avoir l’air d’être désunis comme jamais, ils s’uniront dans le même culte.
Les cons, ce sont ceux qui croient que la démocratie est un régime comme un autre, que le pouvoir y est de la même nature que dans n’importe quel régime, qu’il suffit de sortir un nom de l’urne pour empocher 36 fois la mise.
En ces temps de coronavirus et de révolution économique, jamais les peuples n’ont paru si dociles, jamais les libertés n’ont semblé si fragiles, jamais la richesse si instable. Du moins en temps de paix. Si les crises s’accentuent, les solutions les plus pérennes seront les plus démocratiques, tout simplement parce que ce sont celles qui sous l’apparence du conflit, apaisent; sous l’apparence de la division, réunissent; sous l’apparence de la fragilité résistent. Même à de mauvais dirigeants.
Laurent Dominati
Editeur de lesfrancais.press. Ancien Ambassadeur de France au Conseil de l’Europe, ancien député de Paris.
[1] Source, New York Times, 5 octobre 2020
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