Élections en Allemagne : quelles conséquences pour nos Français expatriés ?

Élections en Allemagne : quelles conséquences pour nos Français expatriés ?

C’est le 23 février 2025 que les électeurs allemands se rendront aux urnes pour élire les membres du Bundestag, leur parlement fédéral. Ces élections anticipées font suite à l’effondrement de la précédente coalition gouvernementale dirigée par le chancelier Olaf Scholz. Mais comment fonctionne le scrutin à la proportionnelle outre-Rhin ? Quelles sont les tendances actuelles ? Et quelles conséquences possibles pour nos Français expatriés et pour le couple franco-allemand ?

La montée de l’extrême droite allemande

À quelques jours du scrutin fédéral, quelles tendances se dessinent ? Actuellement, les sondages indiquent une progression notable de l’extrême droite allemande représentée par l’Alternative für Deutschland (AfD), qui pourrait devenir la deuxième force politique du pays. Selon une enquête de l‘institut INSA, la CDU/CSU (conservateurs menés par Friedrich Merz) est créditée de 29 % des intentions de vote, suivie par l’AfD à 20 %, tandis que le SPD d’Olaf Scholz se situe à 16 % et les Grünen (écologistes) 14%.

Cette montée en puissance de l’AfD est attribuée à divers facteurs, notamment une attention accrue sur les questions migratoires. Toutefois, malgré sa position renforcée, l’AfD reste isolée politiquement, aucun autre parti n’envisageant une coalition avec elle. Cette situation pourrait compliquer la formation d’un gouvernement après les élections, prolongeant les négociations pour établir une majorité stable au Bundestag.

Bundestag à Berlin
Bundestag à Berlin

Parallèlement, Friedrich Merz, leader de la CDU et favori pour le poste de chancelier, a récemment adopté une position plus ferme sur la politique migratoire, marquant un fort virage à droite pour son parti. Il a notamment proposé des mesures visant à refouler systématiquement les migrants sans papiers aux frontières allemandes et à renforcer les contrôles frontaliers. Cette approche a suscité des critiques, y compris au sein de son propre camp, certains estimant qu’elle pourrait affaiblir le « cordon sanitaire » traditionnellement maintenu entre les partis démocratiques et l’extrême droite en Allemagne.

"Une radicalisation du discours politique"

En outre, F. Merz a présenté une motion au Bundestag visant à durcir la politique d’asile, qui a été certes refusée par le Bundestag mais qui a reçu le soutien de l’AfD. Cette collaboration implicite a provoqué une onde de choc politique. Certains y voyant une rupture avec le consensus d’après-guerre consistant à isoler l’extrême droite. Angela Merkel, ancienne chancelière et figure emblématique des chrétiens-démocrates de la CDU, a critiqué cette initiative, la qualifiant d’erreur.

Ces développements reflètent une radicalisation du discours politique en Allemagne, où les questions migratoires occupent une place centrale dans le débat public. La stratégie de Merz vise à reconquérir les électeurs tentés par l’AfD. Mais elle comporte le risque de légitimer davantage cette dernière et de fracturer le paysage politique allemand.

Quelles conséquences pour les Français expatriés en Allemagne ?

L’analyse des sondages par circonscription montre clairement que la montée spectaculaire de l’AfD est principalement soutenue par un électorat des Länder de l’ex-RDA. Ce clivage entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne est souvent expliqué dans les médias par des différences sociales. Telles que le chômage et la structure économique. L’écart de salaires est également notable.  En 2024, le salaire médian à l’Est est inférieur de 16 % à celui de l’Ouest. Et l’écart cumulé sur les dix dernières années est encore plus important. Par ailleurs, les électeurs de l’Est, ayant vécu sous un régime autoritaire avec un parti unique avant la chute du mur, pourraient-ils également ressentir une certaine nostalgie ? Cette question est souvent posée.

Porte de Brandebourg Berlin
Porte de Brandebourg Berlin

Cependant, selon l’importance de l’AfD au Bundestag, les efforts menés par les gouvernements français et allemand pour renforcer la coopération franco-allemande pourraient en pâtir. Très vite, nous pourrions réaliser que ce que nous appelons le couple franco-allemand en français n’est traduit en Allemagne que par « Freundschaft » (amitié). Et cette différence de perception pourrait avoir des conséquences notables. Ainsi, une telle évolution pourrait entraîner un ralentissement des projets communs dans les domaines de la défense, de la recherche, et un éloignement au sein de l’Union Européenne.

Et si l’extrême droite devenait le seul parti de coalition capable d’offir une majorité à une coalition ?

À ce jour, la place future de l’extrême droite fait débat. L’AfD (Alternative für Deutschland) pourrait-il devenir le seul parti de coalition capable de faire basculer une majorité ? À la lecture des sondages et par le mode de scrutin actuel, ce scénario semble peu probable et celui d’un gouvernement minoritaire encore moins. Depuis 1949, l’Allemagne n’a connu que cinq gouvernements sans majorité au Bundestag, et dans aucun de ces cas, cette minorité n’était le résultat direct des urnes, mais plutôt la conséquence d’une défection d’un membre de la coalition. Un tel scénario serait donc une nouveauté difficilement tenable.

Et si l’extrême droite devenait le seul parti de coalition capable d’offir une majorité à une coalition ?
Et si l’extrême droite devenait le seul parti de coalition capable d’offir une majorité à une coalition ?

C’est ici que le scrutin proportionnel personnalisé en Allemagne pourrait se distinguer par rapport au scrutin majoritaire à deux tours que nous connaissons en France. En effet, contrairement au système majoritaire à deux tours, qui nécessite souvent des alliances avant les élections, le scrutin proportionnel n’exige des alliances qu’après. Il serait ainsi tout à fait possible que CDU/CSU, SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands) et les Verts forment une coalition pour maintenir l’AfD dans l’opposition. Le système proportionnel et la tradition politique allemande rendent un tel scénario crédible. Même si le mode de scrutin reste encore opaque pour de nombreux observateurs.

Le système électoral allemand : une proportionnelle personnalisée complexe

Le mode de scrutin allemand, souvent qualifié de « proportionnelle personnalisée », combine des éléments de représentation proportionnelle et de scrutin majoritaire. Chaque électeur dispose de deux voix distinctes sur un même bulletin :

  1. Première voix (Erststimme) : Elle permet de voter pour un candidat dans sa circonscription. L’Allemagne est divisée en 299 circonscriptions, chacune élisant un député au scrutin majoritaire uninominal à un tour “avant ajustements”. Le candidat obtenant le plus de voix remporte le siège, assurant ainsi une représentation locale directe.
  2. Deuxième voix (Zweitstimme) : Elle est attribuée à une liste de parti au niveau du Land (région). C’est cette seconde voix qui détermine la répartition proportionnelle des sièges au Bundestag entre les partis, reflétant le soutien global à chaque formation politique.

Ce système permet aux électeurs de soutenir un candidat local avec leur première voix et un parti différent avec leur seconde voix, offrant une flexibilité dans le choix électoral.

Répartition des sièges et ajustements

Après le décompte des voix, la répartition des sièges au Bundestag s’effectue en plusieurs étapes :

  1. Attribution des sièges proportionnels : Le nombre total de sièges (actuellement fixé à 630) est réparti entre les partis proportionnellement aux secondes voix obtenues au niveau national.
  2. Mandats directs : Les candidats ayant remporté leur circonscription avec la première voix obtiennent un « mandat direct » et occupent en priorité les sièges attribués à leur parti.
  3. Mandats excédentaires et compensatoires : Si un parti obtient plus de mandats directs que le nombre de sièges qui lui est proportionnellement dû, ces sièges supplémentaires sont appelés « mandats excédentaires » (Überhangmandate). Pour rétablir l’équilibre proportionnel, des « mandats compensatoires » (Ausgleichsmandate) sont attribués aux autres partis, ce qui peut augmenter le nombre total de sièges au Bundestag.

Ce mécanisme vise à assurer une représentation fidèle des forces politiques tout en maintenant un lien étroit entre les députés et leurs circonscriptions.

Seuil électoral et particularités allemandes

En mars 2023, une réforme électorale a été adoptée pour limiter l’augmentation constante du nombre de députés au Bundestag, qui avait atteint 736 membres en 2021. Soit 138 de plus que le nombre légalement prévu de 598. Cette inflation était principalement due aux mandats excédentaires (Überhangmandate) et aux mandats compensatoires (Ausgleichsmandate), résultant du système électoral combinant scrutin majoritaire et proportionnel.

« Le système électoral complexe, combinant proportionnelle personnalisée et scrutin majoritaire, pourrait permettre à une coalition des partis traditionnels de maintenir l’AfD à l’écart du pouvoir, malgré la polarisation croissante. »

La réforme vise à stabiliser le nombre de sièges à 630, en supprimant ces mandats supplémentaires. Désormais, la répartition des sièges dépendra strictement du pourcentage des secondes voix obtenues par chaque parti au niveau national. Ainsi, même si un candidat remporte sa circonscription avec la première voix, il ne siégera au Bundestag que si son parti dispose d’assez de secondes voix pour couvrir ce mandat. Cette mesure renforce le caractère proportionnel du scrutin tout en maintenant une représentation locale.

Seuil électoral et particularités allemandes
Seuil électoral et particularités allemandes

Toutefois une « clause des mandats de base » permet à un parti qui remporterait au moins trois mandats directs d’être représenté au Bundestag, même s’il n’atteignait pas le seuil de 5 % des secondes voix au niveau national. Cela ouvrira certainement la porte du Bundestag aux partis d’extrême gauche.

Des résultats attendus par nos compatriotes et par l’Europe

En conclusion, les élections anticipées du 23 février marqueront sans doute un tournant politique majeur en Allemagne. Avec, les sondages le disent aujourd’hui, une montée significative de l’AfD et un bouleversement des dynamiques traditionnelles. Le système électoral complexe, combinant proportionnelle personnalisée et scrutin majoritaire, pourrait permettre à une coalition des partis traditionnels de maintenir l’AfD à l’écart du pouvoir, malgré la polarisation croissante.

Pour les expatriés Français en Allemagne, les conséquences directes devraient être limitées. Mais un affaiblissement des relations franco-allemandes serait une hypothèse à envisager si l’extrême droite gagnait davantage de poids au Bundestag. Si le scénario d’une coalition dominée par l’AfD semble peu probable, pour les raisons présentées précédemment, les discussions et compromis qui en découleront redéfiniront sans doute les priorités politiques de l’Allemagne à l’échelle européenne.

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