Ecrivains et diplomates - Episode 2 : Rencontre avec Patrick Lachaussée

Ecrivains et diplomates - Episode 2 : Rencontre avec Patrick Lachaussée

Patrick Lachaussée ou le diplomate engagé.

Patrick Lachaussée est diplomate de carrière. Il entre au Quai d’Orsay en 1991 et a occupé plusieurs fonctions dans le domaine du management, de l’organisation, des affaires consulaires et de la gestion ainsi que dans le domaine politique. A l’été 2009, il est nommé Consul général adjoint à New York, avant de rentrer en France en 2012 pour diriger le cabinet de la Ministre déléguée auprès du Ministre des Affaires étrangères, en charge de la Francophonie et des Français de l’étranger.

Depuis 2019, il est en poste comme Consul Général à Genève. Il a publié en 2020, « Revoir Fatima ». Dans son premier roman, Patrick Lachaussée traite du parcours d’un homme sur le chemin de l’exclusion et son odyssée européenne qui le conduira à rencontrer d’autres exclus. Cette histoire d’une humanité exceptionnelle nous permet de réfléchir à notre condition si fragile, à nos besoins premiers, à une nécessité de développer une société plus juste, plus solidaire et plus bienveillante.

L’interview avec Boris Faure

Boris Faure lesfrancais.press : Patrick Lachaussée, bonjour : Avant de vous interroger sur votre roman « revoir Fatima », je voudrais savoir si votre profession, celle de diplomate, a influencé votre façon d’écrire, si elle a façonné les valeurs humanistes et cosmopolites que vous portez dans ce livre ? 

Patrick Lachaussée : Je dirais plutôt que ma façon d’écrire est une somme d’influences et qu’elle n’est pas uniquement liée à la diplomatie.

J’ai grandi dans un environnement bienveillant. Ces valeurs étaient au fronton de la maison familiale et mes parents étaient de grands humanistes. Mon père a toujours eu le souci des autres et il avait le cœur sur la main, il a aidé nombre de personnes en difficulté. Il a même été écrivain public pendant de nombreuses années après sa retraite. Je l’accompagnais parfois. Je le voyais écouter les uns et les autres pour comprendre la situation qu’ils rencontraient. Puis, il prenait sa plume pour écrire une lettre qui souvent avait le pouvoir d’aider à résoudre des problèmes ou de difficultés qui semblaient insurmontable. Ma mère a travaillé une grande partie de sa carrière professionnelle avec et pour des personnes handicapées. Elle les accompagnait dans leurs démarches. Elle les aidait à trouver des formations, du travail dans des environnements adaptés leur permettant de s’épanouir.

C’est avec cet ADN que j’ai grandi. Mon engagement dans diverses associations vient sans doute de là. J’ai beaucoup travaillé avec des associations en lien avec l’exclusion et l’extrême pauvreté à Reims, à Lille, à Evry à Paris…et même à New York. L’une de mes premières expériences professionnelles était d’ailleurs dans ce domaine. Je formais des personnes en situation de grande précarité, et les aider ainsi à retrouver un équilibre, à reconstruire peu à peu leur confiance et leur autonomie.  Ces expériences, celles d’acteur associatif et d’élu local à Evry et de maire dans un petit village rural du sud de l’Aisne m’ont permis d’être au contact direct avec des situations difficiles et parfois inextricables, d’essayer de trouver des solutions, d’échouer souvent, de réussir parfois.

Ce que la diplomatie m’a apporté dans cette démarche est dans ce même esprit. Etre diplomate, c’est être ouvert aux autres, aux autres cultures, aux autres traditions. S’expatrier n’est pas une démarche anodine, elle engage sa vie, sa famille et parfois même, sa sécurité. Et servir la diplomatie en Ambassade, en Consulat ou à Paris, c’est aller à la rencontre du monde. Un diplomate est curieux par nature. Il a besoin d’apprendre à connaître son environnement, les personnes avec lesquelles il va entretenir des relations par le dialogue et l’écoute. C’est aussi un agent de proximité qui œuvre dans des domaines qui touchent au quotidien de nombre de personnes pour plus de sécurité, de justice, de solidarité. Dans le domaine consulaire où j’ai beaucoup travaillé, le diplomate est au service de communautés parfois importantes et de personnes qui peuvent à un moment donné se retrouver dans des situations difficiles. Les agents consulaires déploient alors une énergie considérable pour informer, accompagner, aider et soutenir.  

C’est tout ceci qui, je le pense humblement, influence mon écriture.

Boris Faure lesfrancais.press : Vous l’écrivez dans la postface du livre, « Revoir Fatima » est inspiré de la rencontre avec un homme, Angel, un SDF que vous avez pu aider pendant vos années étudiantes au moment où vous vous engagiez sur le terrain auprès des plus démunis.  Comment passe-t-on du récit personnel à la fiction ? Autrement dit comment êtes-vous devenu, en quelque sorte, Malik, et comment Angel s’est transformé en Pedro ? 

J’ai mis 25 ans à écrire ce livre. Je l’avais commencé alors que j’étais encore étudiant à Lille très peu de temps après ma rencontre avec Angel, complètement démuni et perdu au milieu de cette ville. Il semblait au bout du rouleau compresseur qu’avait été sa vie. Cette rencontre et les échanges qui ont suivi, le bout de route que nous avons fait ensemble m’avaient profondément bouleversé. Et peu après, j’ai noirci des pages, écrivant pour ne rien oublier de la richesse de ces moments passés avec lui.

Je me souviens que je pouvais passer des heures à écrire à la main sur des pages. C’était une expérience nouvelle pour moi. J’avais écrit nombre de chansons pour les groupes de musique avec lesquels je jouais ; j’avais composé de petits textes. Mais écrire un livre, c’était autre chose. Tout ce que j’avais écrit  jusqu’à présent n’était que des instantanés de ressentis ou d’émotions. Mais avec ce livre, je voulais transmettre un message pour rendre hommage à travers Angel à tous les exclus. Je devais le construire et c’est ce que j’ai essayé de faire. Je l’ai construit, déconstruit, réécrit, corrigé, seul et en recueillant le conseil d’amis. Malgré cette somme de travail, je n’étais pas satisfait du résultat et je ne savais pas pourquoi.

Puis, quelques années plus tard, j’ai eu l’occasion de rencontrer un grand auteur, philosophe, historien, essayiste, Christian Delacampagne et son épouse, la grande photographe, Ariane Delacampagne. Christian Delacampagne revenait des Etats Unis. Il y vivait et était professeur à l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Il souffrait alors d’une maladie dont on ne guérit que rarement. Nous avons souvent échangé dans le petit salon de son appartement parisien où il me recevait. Nous parlions de philosophie, de littérature, des livres qu’il avait écrit, de ceux qu’il aimerait écrire. Je n’osais pas lui parler de mon livre puis, un jour, il m’a demandé si j’écrivais. Il m’avait tendu une perche comme s’il savait déjà la réponse. Je l’ai saisie. Quelques jours plus tard, je lui ai apporté le manuscrit avec l’accord de son épouse. Christian était très fatigué. Il a malgré tout lu le livre avec une attention professorale et avec beaucoup de bienveillance et d’émotion. Puis, Ariane m’a demandé de venir. Christian était mal en point et il m’a demandé doucement :  « lorsque tu lis ton livre, l’aimes-tu ? ». Je lui répondis que je n’étais pas très heureux de ce travail mais que je ne pouvais en expliquer les raisons. Il me répondit que mon livre était un livre trop sage, qu’il était écrit tout en retenue, dans la retenue du « Je » et que pour développer l’humanité puissante qui se dégageait de l’histoire, je devais imaginer un autre personnage, d’où Malik et éviter de l’écrire à la première personne. C’est ce que j’ai fait. Christian n’a pas eu le temps de lire la dernière version mais je lui ai dédié ce livre, en hommage et pour lui témoigner ma plus profonde gratitude.

Boris Faure lesfrancais.press : Patrick Lachaussée merci à vous et bonne continuation dans vos fonctions de  Consul général à Genève.

Vidéo de l’intervention de Patrick Lachaussée devant la fondation Martin Bodmer

Le 29 septembre 2020, le Consul général de France à Genève, Patrick Lachaussée, présentait son livre « Revoir Fatima » à la fondation Martin Bodmer

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