L’économie de la Russie touchée mais pas encore coulée

L’économie de la Russie touchée mais pas encore coulée

Bruno Le Maire avait déclaré, de manière un peu présomptueuse, que les sanctions mettraient l’économie russe « à genoux » après l’invasion de l’Ukraine. L’Union européenne a adopté dix-huit trains de sanctions depuis mars 2022 et, le 19 septembre dernier, la Commission européenne en a proposé un dix-neuvième. Les États-Unis, de leur côté, ont placé sous sanctions quelque 5 000 personnes et entités. Et pourtant, malgré ces mesures sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, la Russie a fait preuve d’une réelle résilience grâce au contournement des embargos et à ses fonds souverains. Elle n’a connu qu’une brève récession en 2022. Scott Bessent, le secrétaire au Trésor américain, a récemment affirmé que des sanctions plus sévères, incluant des tarifs visant les pays achetant du pétrole russe, provoqueraient l’effondrement total de l’économie russe et contraindraient Vladimir Poutine à s’asseoir à la table des négociations. Mais cette prophétie a-t-elle davantage de chances de se réaliser que celle de 2022 ?

Une économie de guerre

Après un rebond en 2023 et 2024, en lien avec la mise en place d’une économie de guerre, la croissance russe s’essouffle depuis le début de l’année 2025. En juillet, le PIB n’a progressé que de 0,4 % sur un an. Selon une enquête auprès des directeurs d’achat, l’activité se contracterait depuis plusieurs mois. La croissance des bénéfices des entreprises reste faible, pesant sur le cours des actions, tandis que les salaires réels décélèrent également, signe avant-coureur d’une récession.

Le ralentissement de l’activité s’explique par la remise en cause des mesures de soutien économique édictées après l’invasion de 2022. Le montant des aides avait atteint l’équivalent de 5 % du PIB en 2023. L’appui coûteux à l’investissement privé a pris fin. Par ailleurs, la politique monétaire a été durcie afin de contenir l’inflation : le relèvement des taux directeurs par la banque centrale pèse désormais sur les investissements.

Vladimir Poutine visitant un arsenal pour le front de la guerre en Ukraine.
Vladimir Poutine visitant un arsenal pour le front de la guerre en Ukraine. La Russie a-t-elle les ressources économiques suffisantes pour mener à bien ses ambitions de conquête ? © Mikhail Metzel/Russian President

Les conséquences des sanctions sont difficiles à mesurer

La production de pétrole recule. Entre janvier et mars 2025, la Russie a exporté pour 96 milliards de dollars de biens, catégorie dominée par les produits pétroliers, contre 155 milliards sur la même période en 2022. La baisse des cours du pétrole s’ajoute aux sanctions pour expliquer cette évolution. Les dernières mesures restrictives pourraient accentuer la pression : elles visent les entreprises qui achètent du pétrole en violation des embargos, ainsi que celles qui approvisionnent la Russie en biens stratégiques. Pour l’heure, les Russes ont fait preuve d’ingéniosité pour contourner les sanctions, en créant une flotte fantôme et en acheminant des biens occidentaux via des pays non alignés. Le contrôle reste ardu, la réexportation multipoints et la faible visibilité sur les approvisionnements des raffineurs compliquant la traçabilité du brut. La Russie a également recouru au troc avec ses partenaires — du blé contre des voitures, par exemple — afin d’éviter les transferts financiers.

Cette résilience n’incite guère Vladimir Poutine à négocier. Pour l’instant, aucune détérioration majeure du marché du travail russe n’est visible et les salaires réels restent à des niveaux historiquement élevés. À rebours du pessimisme qui domine dans les économies occidentales, les Russes n’ont que rarement eu une perception aussi favorable de leur situation économique. Dans le même temps, les finances ukrainiennes apparaissent de plus en plus sous tension. Le temps, pour l’instant, joue en faveur de Moscou.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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