La visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc en octobre dernier a marqué une nouvelle étape dans le renforcement des liens historiques entre les deux pays. Outre, les aspects culturels, ce sont aussi les échanges commerciaux et le tourisme qui ont notamment été mis à l’honneur au cours des réunions au sommet organisées. Alors 5 mois jour pour jour après ces rencontres officielles entre le président de la République française et le roi du Maroc, Mohammed VI, où en sommes-nous ? Rappelons que les accords commerciaux multi-sectoriels signés par les deux chefs d’États, français et marocains, lors de cette visite officielle avoisinent un montant global de plus de 10 milliards d’euros.
Aussi, Lesfrancais.press a pu interroger trois acteurs clés dans les domaines diplomatique, économique et touristique pour évaluer les retombées concrètes de cette visite officielle sur leurs activités. Quelles avancées ont-ils pu mesurer ? Quels sont les blocages auxquels ils sont encore confrontés ? Ils nous livrent leur analyse. Ils nous expliquent également comment ces rencontres entre nos deux pays ont impacté leur travail et influencent depuis les relations franco-marocaines.
Cap vers un agenda économique à horizon 2050
Aussi pour débuter cette série de trois entretiens, direction l’Ambassade de France au Maroc. Notre média a rencontré Vincent Toussaint, chef de service économique régional qui a accepté de répondre à nos questions. Avec ce haut fonctionnaire français, nous faisons ainsi un tour d’horizon sur l’avancement de cette relation commerciale qui se veut singulière, renouvelée, équilibré, et qui souhaite s’inscrire sur le long terme.
Lesfrançais.press : « Comment se présente la coopération économique France – Maroc à l’heure où les économies mondiales sont sujettes à l’incertitude combinée à des inconnues ? »
Vincent Toussaint : « C’est justement dans ce contexte d’incertitudes que le partenariat d’exception entre le Maroc et la France prend tout son sens. Les deux pays sont en effet à un moment charnière de leur relation économique, en quelque sorte au début d’un nouveau cycle. Les deux économies – encore plus depuis les crises de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine – sont confrontées aux défis de la souveraineté industrielle et énergétique, de la décarbonation et de la révolution numérique et de l’IA.
« Faire de ce partenariat « gagnant-gagnant » entre une puissance africaine et une puissance européenne, un exemple inspirant » Vincent Toussaint, chef de service économique, ambassade de France au Maroc
Le sens profond du « partenariat d’exception renforcé », signé à l’occasion de la visite d’État du Président de la République, c’est justement cette volonté de répondre ensemble à ces défis d’avenir et de faire de ce partenariat « gagnant-gagnant » entre une puissance africaine et une puissance européenne un exemple inspirant, alors que les tensions sur l’économie mondiale atteignent un rare niveau d’intensité. »
Lesfrancais.press : « Est-ce que le réchauffement diplomatique avec la venue du Président Emmanuel Macron en octobre (2024) et les nombreux protocoles d’accords en matière d’investissements ont constitué un véritable boost économique entre les 2 pays ? »
Vincent Toussaint : « La relation économique Maroc-France avait particulièrement bien résisté aux incertitudes géopolitiques et aux aléas diplomatiques. Les échanges commerciaux entre nos pays ont ainsi atteint leur record historique en 2023 (14 Mds EUR), record qu’ils ont à nouveau battu en 2024 (15 Mds EUR) ; la France c’est 1/3 des investissements étrangers mais aussi 1/3 des transferts de la diaspora et 1/3 des recettes touristiques (avec un succès historique du Maroc en 2024 qui a attiré plus de 17 millions de visiteurs, là aussi un record).
Mais on peut effectivement parler de boost car la visite d’État a permis de projeter le partenariat Maroc-France sur des thèmes d’avenir et de l’ouvrir à de nouveaux acteurs. Les accords économiques signés à l’occasion de la visite d’État du Président de la République représentent 10,7 milliards EUR d’investissements. Tous ces investissements portent la marque du savoir-faire commun avec l’accent mis sur l’emploi, la formation et l’innovation pour développer les « métiers mondiaux » d’aujourd’hui et de demain. Mais, au-delà des montants, je préfère retenir les thématiques de ces accords qui permettent de développer ensemble les secteurs stratégiques d’avenir qui forgeront l’agenda économique à horizon 2050. Énergie verte et connectivité, nouveaux écosystèmes industriels, infrastructures durables et développement du territoire, innovation et startups, projection commune vers l’Afrique. »
Lesfrançais.press : « Depuis la visite du Président Français Emmanuel Macron au Maroc, on entend parler de partenariat économique renouvelé, de vision économique commune et durable : qu’en est-il concrètement ? Quels sont les secteurs prioritaires pour l’investissement français au Maroc ? »
Vincent Toussaint : « Lorsque nous parlons de partenariat d’exception, c’est effectivement très concret et les chiffres sont éloquents. Plus de 11 000 entreprises françaises exportent vers le Maroc, dont 70% de PME, les échanges commerciaux ont doublé en dix ans et sont équilibrés – fait suffisamment rare pour le souligner, près de 1000 entreprises françaises sont présentes sur le territoire marocain, représentant près de 150 000 emplois directs. La France est le premier investisseur étranger au Maroc et le Maroc est le premier investisseur africain en France, le Royaume est le premier partenaire de l’Agence française pour le développement.
« Le capital humain et la formation professionnelle sont au cœur de ce nouvel agenda » Vincent Toussaint, chef de service économique, ambassade de France au Maroc
Ce qui me frappe le plus quand j’échange au quotidien avec des acteurs de la relation Maroc-France, en particulier les entrepreneurs, c’est leur volonté de ne pas s’endormir sur ces succès déjà historiques mais de sans cesse renouveler et rehausser ce partenariat. Les secteurs d’avenir sont très nombreux, à la hauteur de ce qu’est devenue l’économie marocaine et de ce que sont les liens avec la France : énergie verte, économie bleue et lutte contre le stress hydrique, partenariat industriel (automobile, aéronautique, logistique, demain ferroviaire, énergie, santé), ville durable, innovation et tech, sécurité alimentaire, préparation des grands évènements.
Permettez-moi d’y ajouter quelques thèmes transversaux : l’importance des PME qui sont la relève de notre relation bilatérale, le rôle de hub entre l’Afrique et l’Europe car nos deux pays jouent un rôle de connecteurs entre ces deux continents. Enfin et surtout, le capital humain et la formation professionnelle qui sont au cœur de ce nouvel agenda et pour lesquels le secteur privé joue un grand rôle au Maroc, à travers des partenariats publics privés qui sont des modèles du genre. »
Lesfrançais.press : « Le Maroc place les enjeux de Souveraineté économique (alimentaire, hydrique, industrielle…) au centre de ses priorités et préoccupations, comment la France se positionne sur ses sujets ? »
Vincent Toussaint : « Les enjeux de souveraineté sont effectivement au cœur de la stratégie et des succès de l’économie marocaine des 25 dernières années. Les acteurs français l’ont compris très tôt (sûrement aussi parce qu’ils partagent ces enjeux). L’ADN du partenariat Maroc-France est unique, bien différent de celui qui unit la France ou le Maroc à leurs autres partenaires. Il est fait d’investissements de long terme, de formation pour développer les talents locaux et de transferts de compétence qui a permis de développer des « métiers mondiaux » sur le territoire marocain.
« L’ADN du partenariat Maroc-France est unique, bien différent de celui qui unit la France ou le Maroc à leurs autres partenaires. » Vincent Toussaint, chef de service économique, ambassade de France au Maroc
Dans ce modèle, les échanges commerciaux ne créent pas de dépendances mais dépendent de l’intégration de nos chaînes de valeur et se nourrissent de la dynamique d’investissements croisés. Cette logique de partenariat vertueux, respectueuse des enjeux de souveraineté, a connu des réussites exceptionnelles. Le Maroc est aujourd’hui le premier producteur africain de véhicules automobiles et le premier exportateur vers le marché européen, mais on aurait également pu citer l’écosystème aéronautique avec une forte mobilisation d’Airbus, les services à valeur ajoutée, la logistique, le ferroviaire ou demain la santé, l’IA. »
Lesfrancais.press : « Faut-il considérer qu’aujourd’hui les deux pays ont scellé un pacte économique de longue durée… ? »
Vincent Toussaint : Je n’aime pas la notion de « pacte » qui contiendrait une notion d’exclusivité ou de « deal ». Le Maroc s’est imposé comme une puissance régionale et continentale et il est tout à fait naturel que le Royaume attire de nombreux pays : les partenaires européens ou américains historiques, les grands émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, mais nous pourrions également citer les États du Golfe. Le Royaume diversifie ses partenariats comme le font toutes les grandes économies dans le monde et en premier lieu l’Europe et la France.
Mais cette diversification n’empêche pas et ne doit pas masquer le caractère tout à fait exceptionnel du partenariat entre la France et le Maroc, sans équivalent sur les rives de la Méditerranée : son caractère équilibré, le nexus commerce/investissement/formation du capital humain, la capacité à se réinventer, la logique de souveraineté partagée. À l’heure où l’économie mondiale est sujette à de fortes incertitudes, c’est ce savoir-faire commun, fondé sur le respect et les liens humains, qui nous permet de nous projeter ensemble sur plusieurs décennies. »
Auteur/Autrice
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Rachid Hallaouy est journaliste et éditorialiste installé au Maroc depuis 2006. Après avoir collaboré avec de nombreux médias en presse écrite (L’Economiste), électronique (Yabiladi) et audiovisuel (France 24), il a rejoint Luxe radio pour y lancer en 2011 un concept de débat d’idées traitant de sujets politiques et économiques.
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