Alors que le gouvernement français présente son Projet de loi de finances pour 2026, promettant de ramener le déficit public à 4,7 % du PIB (contre 5,4 % en 2025), la question de la rigueur budgétaire revient au cœur du débat politique national.
Mais pendant que la France s’interroge sur la manière de contenir sa dépense publique sans casser la croissance, ses voisins jadis moqués de “pays Club Med”, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce, affichent déjà des comptes assainis et une discipline budgétaire saluée à Bruxelles.
Selon la Commission européenne, le déficit budgétaire moyen de ces quatre États est désormais inférieur à 3 % du PIB, alors que la France flirte avec les 5,4 %. Derrière cette performance, il y a moins un « miracle » qu’un long chemin de réformes structurelles, douloureuses mais constantes, portées par des gouvernements de sensibilités politiques diverses ; preuve que du Club Med au modèle de discipline : la rigueur est une vertu républicaine.
Le Portugal, pionnier de la discipline budgétaire
En 2010, le Portugal était au bord de la faillite. Incapable de se financer, Lisbonne fit appel à la troïka (FMI, BCE, Commission européenne) pour obtenir un plan de sauvetage de 78 milliards d’euros. En échange, le pays s’engagea dans une cure d’austérité d’une rigueur inédite.
Quatorze mesures, réparties en six grands volets, ont profondément transformé l’État : réduction de 10 % des effectifs publics, baisse des salaires des fonctionnaires jusqu’à 12 %, relèvement de l’âge de la retraite à 66 ans, hausse de la TVA à 23 %, privatisations rapportant près de 9 milliards d’euros. Le gouvernement de Pedro Passos Coelho initia la rigueur, puis son successeur socialiste António Costa la poursuivit sans la remettre en cause. En 2023, le Portugal enregistrait un excédent budgétaire historique, une première depuis la Révolution des Œillets en 1974.
Lisbonne a su transformer la contrainte en vertu. La rigueur y est devenue une culture, non une punition. Résultat : la dette publique a reculé de 30 points de PIB en dix ans, et le pays affiche aujourd’hui un taux de chômage inférieur à 7 % — contre 11 % au plus fort de la crise.
L’Espagne : de la bulle immobilière à la croissance maîtrisée
L’Espagne a connu l’une des plus graves crises sociales d’Europe au début des années 2010. En 2013, le chômage atteignait 27 %, la jeunesse fuyait massivement le pays, et la bulle immobilière menaçait tout le système bancaire.
Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy lança une série de réformes du travail et de rationalisation budgétaire. Entre 2012 et 2018, les dépenses publiques furent gelées, les salaires du secteur public encadrés, et le système bancaire restructuré grâce à une aide européenne de 41 milliards d’euros. Sous le gouvernement socialiste de Pedro Sànchez, la ligne de fond n’a pas changé : l’investissement public reste encadré, le déficit a été ramené à 2,8 % du PIB, et la croissance devrait atteindre 2,7 % en 2025, soit plus du double de celle de la France.
Ces trajectoires montrent une constante rare en Europe : la rigueur budgétaire, devenue un consensus national au-delà des alternances politiques.
Et la France dans tout cela ?
Pendant que ses voisins méditerranéens redressaient la barre, la France s’est laissé dériver. Sa dépense publique atteint 113,2 % du PIB, un record européen, et son déficit reste l’un des plus élevés de la zone euro. Les réformes y sont abordées sous l’angle partisan, puis abandonnées à chaque alternance.
Là où le Portugal ou l’Espagne ont su expliquer la rigueur comme une nécessité collective, Paris continue de l’opposer à la justice sociale. Or, comme le rappelait récemment l’économiste Jean-Marc Daniel au micro de France-Inter, « le déficit de la France est structurel » et que l’assainissement des comptes publics n’est pas une question de droite ou de gauche, mais une condition nécessaire à la souveraineté d’un pays.
Les Français de l’étranger témoins d’un tournant historique
Pour les Français de l’étranger vivant en Espagne, au Portugal, représentés par Mme Coggia, ou en Italie ou en Grèce, représentés par Mme Yadan, le redressement économique de ces pays n’est pas une donnée abstraite : ils en observent chaque jour les effets sur la vie quotidienne, les services publics, le climat social et la confiance civique.
Installés depuis parfois vingt ans, beaucoup ont connu la période sombre de l’austérité (salaires gelés, suppressions de postes, exode des jeunes diplômés) avant de voir émerger une société transformée : plus sobre, plus exigeante, mais aussi plus lucide sur ses priorités collectives.
À ce jour, ces Français installés dans le Sud européen constatent que l’environnement social s’est apaisé, même si les blessures demeurent.
Au Portugal, le retour à l’équilibre s’est accompagné d’un effort collectif accepté, où les inégalités persistent mais où la confiance dans l’État a été restaurée.
En Espagne, la rigueur a favorisé un renouveau de la solidarité locale, notamment à travers les collectivités et les régions autonomes, devenues des acteurs clés du développement économique.
En Italie, la discipline budgétaire a encouragé une revalorisation du travail et de l’entrepreneuriat, tandis qu’en Grèce, les citoyens gardent une mémoire douloureuse de la crise, mais aussi la fierté d’avoir évité la faillite nationale.
Pour les expatriés français, cette évolution est frappante : loin des clichés sur l’insouciance méridionale, ces sociétés ont appris la valeur de la mesure et du compromis.
Elles prouvent que l’assainissement budgétaire n’est durable que s’il s’accompagne d’un nouvel équilibre social, fondé sur la responsabilité partagée et la clarté du contrat civique.
Et beaucoup de ces Français de l’étranger le disent : vivre dans un pays qui a su redresser ses comptes, c’est aussi vivre dans un pays qui a retrouvé confiance en lui.
Le bon sens comme politique
La leçon des pays du Sud est limpide : la rigueur n’est pas une idéologie, c’est un devoir civique. De Lisbonne à Athènes, les citoyens ont accepté des sacrifices parce qu’on leur a expliqué pourquoi ils étaient nécessaires, et parce que les gouvernements, quelles que soient leurs couleurs, ont tenu le cap et ont aussi restructuré l’État et pas seulement « ponctionné » les citoyens.
En France, la question n’est plus de savoir s’il faut assainir les comptes publics, mais comment le faire sans renier la solidarité. Cela suppose de sortir du confort partisan, de planifier les réformes dans le temps long et de restaurer une culture de responsabilité. Cela pourrait aussi signifier la réduction du nombre d’élus par habitant ; avec 1 élu pour 104 habitants en 2023 , la France est la championne européenne de la représentation politique (nationale et locale confondues).
Ce que l’Europe du Sud enseigne à Paris, c’est que le courage politique finit toujours par payer. La rigueur n’est pas l’ennemie du progrès : elle en est la condition.
Auteur/Autrice
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Gilles Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus de 35 ans.
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