Droits de douane américains : les effets boomerang

Droits de douane américains : les effets boomerang

Le Président américain passe de la carotte au bâton et inversement à grande vitesse. Après avoir promis des droits dits « réciproques » le 2 avril dernier, pouvant atteindre 70 % voire plus, il a annoncé un moratoire jusqu’au 9 juillet prochain, se limitant à des droits de 10 %. Après avoir institué des droits sur les produits chinois pouvant atteindre 145 %, il les a finalement fixés à 30 %. Il a annulé ceux sur l’électronique et les pièces automobiles. Puis, il a promis des droits de 50 % sur certains produits à compter du 1er juin prochain avant d’ouvrir une nouvelle fenêtre de négociations… Compte tenu de la dépendance des États-Unis vis-à-vis des produits importés, de plus en plus d’acteurs économiques estiment que le Président américain dispose de marges de manœuvre limitées. Ses sautes d’humeur auraient de moins en moins d’effets sur ses partenaires ou concurrents…

En 2024, les importations de biens représentent 15 % du PIB et 32 % de la valeur ajoutée manufacturière des États-Unis. La dépendance est forte en matière de biens intermédiaires (acier, aluminium), d’automobiles, de composants électroniques et de biens de consommation. Elle est également importante pour les métaux rares. L’instauration de droits de douane élevés entraînerait une hausse de l’inflation, accompagnée d’un recul de la consommation des ménages en raison de la faible indexation des salaires sur les prix. Or, Donald Trump a notamment été élu sur le thème de la défense du pouvoir d’achat. L’alourdissement des droits de douane menace donc la croissance aux États-Unis qui dépend de la consommation.

Les États étrangers connaissent la dépendance américaine aux importations.

Avec sa politique, le Président américain estime qu’il obtiendra des concessions importantes de la part des partenaires commerciaux, concessions qui profiteront aux Américains en termes d’emplois et de salaires. Mais les États étrangers connaissent la dépendance américaine aux importations et ne sont donc pas disposés à satisfaire les exigences de Donald Trump.

Sa volonté de réindustrialisation se heurte à plusieurs contraintes. Les compétences de la main-d’œuvre américaine sont relativement faibles. Les États-Unis sont pratiquement au plein-emploi, ce qui limite les possibilités d’installation de nouvelles usines, d’autant plus que Donald Trump entend restreindre l’immigration. Le taux de chômage se situe autour de 4 % depuis 2022.

La désindustrialisation de ces dernières années résulte avant tout d’une spécialisation dans les services, notamment dans les technologies de l’information et de la communication. La valeur ajoutée manufacturière est passée de 11,5 % du PIB à 10,2 % entre 2010 et 2024. Celle des TIC a atteint 8,4 % en 2024, contre 4,5 % en 2014.

Dans plusieurs domaines, la Chine est en position de force vis-à-vis des États-Unis. Elle est à l’origine de plus de 70 % de la production mondiale de terres rares (cérium, lanthane, néodyme, dysprosium, thallium, praséodyme) et détient 37 % des réserves mondiales (devançant le Brésil, l’Inde, l’Australie, la Russie et le Vietnam). La part de marché de la Chine dans le raffinage des terres rares est encore plus élevée : 85 % pour les terres rares légères et 100 % pour les terres rares lourdes. Bien que les États-Unis disposent de la mine de Mountain Pass en Californie, qui a produit environ 15 % de l’offre mondiale en 2020, une grande partie du concentré extrait y est envoyée en Chine pour y être raffiné, faute d’infrastructures domestiques. Les États-Unis ont décidé de créer des unités de raffinage, mais celles-ci ne seront opérationnelles qu’à partir de 2027. À ce jour, environ 70 % des importations américaines de terres rares proviennent de Chine.

Pour certains éléments spécifiques, la dépendance est encore plus marquée : les États-Unis dépendent à 100 % des importations pour l’yttrium, dont 93 % proviennent de Chine.

L’Union européenne peut-elle importer davantage de produits américains ?

L’Union européenne se trouve dans une situation différente de celle de la Chine. Elle exporte des biens concurrents de ceux fabriqués aux États-Unis : avions, voitures, médicaments, produits agroalimentaires, etc. En raison de coûts similaires à ceux des États-Unis, les entreprises européennes ne peuvent guère réduire leurs marges pour compenser la hausse des droits.

L’Union européenne peut-elle satisfaire les revendications de Donald Trump en important davantage de produits américains ? Elle importe déjà des États-Unis de l’énergie (pétrole, produits raffinés et gaz naturel : 56 milliards de dollars en 2024), des produits médicaux et pharmaceutiques, des médicaments (45 milliards), des moteurs (27 milliards), des avions (18 milliards), des voitures (8 milliards), des produits alimentaires et des boissons (7 milliards)… Elle pourrait accroître ses importations de gaz naturel américain en réduisant celles en provenance de Russie, qui représentaient, en 2024, 19 % de l’ensemble du gaz importé. Ce choix comporterait toutefois le risque de créer une dépendance envers les États-Unis.

En ce qui concerne l’aéronautique, l’Europe ne sacrifiera pas Airbus au profit de Boeing, d’autant que ce dernier fait face à des problèmes de fiabilité. Les États-Unis exigent également un meilleur accès au marché unique pour leurs produits agricoles. Les agriculteurs, notamment français, y sont farouchement opposés, invoquant des normes sanitaires et environnementales américaines moins exigeantes que celles en vigueur dans l’Union.

Le Président américain réclame en outre la création d’usines aux États-Unis, en particulier dans les secteurs de l’automobile et du médicament. Cela concerne principalement les entreprises allemandes. Toutefois, au vu de l’évolution du secteur automobile, le nombre d’implantations restera limité.

Donald Trump souhaite également une déréglementation en Europe dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. L’Union, au contraire, cherche à renforcer sa régulation et tend à s’en servir comme levier dans ses relations avec les États-Unis.

Imposer un rapport de force commercial déséquilibré au profit des États-Unis.

En multipliant les annonces tonitruantes et les volte-face tarifaires, Donald Trump cherche à imposer un rapport de force commercial déséquilibré au profit des États-Unis. Pourtant, cette stratégie de confrontation présente des limites structurelles majeures : dépendance aux importations, capacités industrielles contraintes, marché du travail sous tension. L’effet boomerang d’une guerre commerciale prolongée pourrait se traduire par une hausse des prix, un ralentissement de la consommation et un affaiblissement de la croissance américaine.

Du côté européen, la marge de manœuvre est également étroite. L’UE ne peut se résoudre à devenir un marché captif pour les exportations américaines sans mettre en péril sa souveraineté économique, ses filières stratégiques – de l’agriculture à l’aéronautique – et son modèle réglementaire. Si des ajustements techniques sont envisageables, notamment dans le domaine énergétique, la logique du donnant-donnant reste difficilement compatible avec les exigences unilatérales de Washington.

Dans cette nouvelle ère de fragmentation géoéconomique, l’affrontement sino-américain sur les chaînes de valeur critique contraint les partenaires des deux blocs à repositionner leurs priorités. Entre dépendances et ambitions, l’Europe devra arbitrer : soit la défense de ses intérêts commerciaux immédiats, soit la consolidation de son autonomie stratégique.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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