Draghi soutient les objectifs climatiques de Bruxelles, avec moins de « vert » et plus de « croissance »

Draghi soutient les objectifs climatiques de Bruxelles, avec moins de « vert » et plus de « croissance »

Le rapport présenté par Mario Draghi soutient les objectifs climatiques fixés par Bruxelles, mais surtout la nécessité de faire des compromis. Moins de « vert » et plus de « croissance » donc.

Aux prises depuis deux ans avec une crise énergétique sans précédent et plongés dans un profond marasme économique, certains pays de l’UE semblent douter que décarbonation et prospérité économique aillent de pair.

Mario Draghi s’en tient pour sa part à l’idée selon laquelle l’énergie propre mettra l’Europe à l’abri des hausses de prix, et estime que les technologies propres offrent de nouvelles opportunités économiques.

Cependant, son rapport indique clairement qu’il y a des compromis à faire.

« L’Europe doit faire face à des choix fondamentaux sur la manière de poursuivre son chemin de décarbonation, tout en préservant la position concurrentielle de son industrie », peut-on lire dans le rapport de l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), qui exprime également quelques critiques à l’égard du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal).

Notant que ce dernier « était fondé sur la création de nouveaux emplois verts », le rapport évoque le spectre de la mort politique du Pacte « si la décarbonation conduit plutôt à la désindustrialisation ».

Le pragmatisme avant tout

Le rapport précise que « la transition énergétique sera progressive » et que « les combustibles fossiles continueront à jouer un rôle central dans la fixation des prix de l’énergie pour le reste de la décennie ». Il appelle les États membres à acheter du gaz de manière groupée.

Il souhaite également une baisse des taxes sur l’énergie, bien qu’il reconnaisse que « la fiscalité peut être un outil politique pour encourager la décarbonation ».

Mario Draghi préconise aussi une plus grande flexibilité du droit européen de l’environnement, afin de faciliter le développement des énergies renouvelables. Des règles plus souples permettraient « des exemptions limitées (dans le temps et le périmètre) dans les directives environnementales de l’UE, jusqu’à ce que la neutralité climatique soit atteinte ».

Du bâton à la carotte

Les industries à forte intensité énergétique — et la concurrence des États-Unis et de la Chine — occupent une place importante dans la réflexion de l’Italien. Notant que la production de ces industries dans l’UE a chuté de 10 à 15 % depuis 2021, il affirme que « si les industries à forte intensité énergétique dans d’autres régions ne sont pas confrontées aux mêmes objectifs de décarbonation et ne nécessitent pas d’investissements similaires, elles bénéficient d’un soutien plus généreux de la part de l’État ».

Le technocrate italien souhaite inverser la tendance : son rapport préconise d’augmenter les fonds du système européen d’échange de quotas d’émission de carbone (SEQE) en faveur de l’industrie lourde, d’inclure dans les marchés publics des exigences minimales en matière de production locale et de mettre en place des enchères de soutien public dédiées aux nouvelles « industries naissantes ».

Sans remettre en cause le SEQE, Mario Draghi insiste sur son impact « élevé et volatil » sur les prix de l’énergie en Europe. Son rapport montre qu’il n’est pas convaincu de l’efficacité du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui vise à aider les entreprises européennes à rivaliser avec leurs concurrents internationaux non soumis à la tarification du carbone.

Si le MACF s’avère inefficace, l’ancien président de la BCE souhaite que les entreprises européennes continuent à recevoir des quotas de carbone gratuits, afin de les protéger de l’impact total de l’échange de quotas d’émission.

Les constructeurs automobiles font l’objet d’une attention particulière, le rapport appelant à un « plan d’action industriel pour le secteur automobile ».

Mario Draghi ©EC – Audiovisual Service / Aurore Martignoni

Plus d’Europe

Une coopération européenne plus étroite est un thème clé du rapport.

Plutôt que de promouvoir des champions nationaux, l’UE devrait privilégier une logique européenne pour sélectionner les entreprises qu’elle soutient.

De même, la planification des infrastructures énergétiques et de transport devrait passer au niveau européen. Mario Draghi préconise la mise en place d’un nouveau coordinateur de la planification au niveau de l’UE et d’un « 28e régime juridique », en dehors de tout cadre juridique national, qui permettrait d’accélérer la construction de liaisons électriques transfrontalières.

Si le rapport fait grand cas du potentiel de renforcement de la coopération européenne, il se heurte aux défis auxquels l’UE a toujours été confrontée : des intérêts nationaux divergents et l’obligation d’obtenir l’unanimité des États membres pour les décisions les plus délicates.

Si l’ancien président de la BCE reconnaît que « le renforcement de l’UE nécessite des modifications des traités », il insiste sur le fait que « ce n’est pas une condition préalable pour que l’Europe aille de l’avant » et que « beaucoup de choses peuvent être faites avec des ajustements ciblés ».

Ceux-ci pourraient inclure l’abandon volontaire par les gouvernements nationaux de leur droit de veto, ou la collaboration de petits groupes de pays partageant les mêmes idées.

La même chose, mais en mieux

De nombreuses recommandations du rapport s’inscrivent dans la continuité de politiques européennes existantes — par exemple, la réforme du marché de l’électricité, l’accélération des procédures d’autorisation et les programmes transfrontaliers de développement technologique.

Mais les recommandations de Mario Draghi s’appuient également sur son expérience en matière d’économie. Constatant que les cinq principaux opérateurs de gaz détiennent environ 60 % du marché dans certains centres d’échanges européens, il demande aux régulateurs financiers d’intervenir pour maintenir les prix de l’énergie à un niveau bas.

Le rapport sur la compétitivité de Mario Draghi, commandé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, devrait servir de base aux « lettres de mission » des nouveaux commissaires et au nouveau Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal) de l’UE, une stratégie qui doit être présentée dans les 100 premiers jours du second mandat d’Ursula von der Leyen.

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire