Donald Trump et les limites de la disruption
Depuis le 20 janvier dernier, jour de son investiture, Donald Trump n’a pas manqué de jouer de l’effet de surprise en multipliant les annonces chocs pour tenter de déplacer les lignes. Que ce soit en matière de droits de douane, d’immigration ou de dépenses publiques, le président américain a souvent été contraint de reculer par la suite, soit en raison de l’hostilité de l’opinion ou de ses alliés, soit par calcul politique. Ces revirements sont désormais de plus en plus anticipés par les acteurs économiques et politiques.
Il a ainsi promis des droits de douane pouvant atteindre 145 % sur les importations de produits chinois, jusqu’à 50 % sur celles d’acier ou d’aluminium, et jusqu’à 25 % sur les voitures importées. Il a également déclaré vouloir imposer des droits de 50 % sur les produits européens. Parallèlement, il a annoncé un frein brutal à l’immigration, la suppression du droit d’asile, et la suspension du système de protection des réfugiés. Son projet de budget initial prévoit une aggravation du déficit d’au moins 330 milliards de dollars, en raison notamment de la prolongation du Tax Cuts and Jobs Act, de la défiscalisation des pourboires, des heures supplémentaires et des intérêts sur les crédits automobiles.
Donald Trump s’est spécialisé dans les annonces spectaculaires.
Il envisage aussi une taxation de 10 % des revenus générés aux États-Unis par les résidents de pays pratiquant des politiques commerciales jugées « distorsives ». Cette mesure vise en particulier les pays européens ayant instauré une taxe sur les services numériques. Il a, en outre, promis des coupes budgétaires massives dans les crédits fédéraux alloués aux organismes de recherche (NIH, NSF, NASA…) et aux universités, malgré leur rôle essentiel dans l’attractivité du pays et dans l’innovation technologique.
Le président américain a été contraint de composer, notamment sur la question des droits de douane, en reportant leur application au 9 juillet. Il a accepté leur réduction dans le cadre de discussions avec la Chine, et a accordé plusieurs dérogations pour ménager certains secteurs clés (médicaments, microprocesseurs, etc.). Sur l’immigration, bien qu’il ait accentué la pression sur les grandes métropoles, notamment en Californie, il a assoupli ses positions pour certains secteurs (comme l’agriculture) ou certains États. Ses allers-retours suscitent une interrogation croissante des investisseurs sur la crédibilité des annonces présidentielles. Donald Trump a tendance à corriger systématiquement, et dans des délais très courts, les mesures qu’il annonce avec fracas.
Les marchés financiers réagissent de moins en moins aux déclarations présidentielles.
Les marchés financiers réagissent désormais de moins en moins aux déclarations présidentielles, comme en témoigne l’évolution récente de l’indice S&P 500. Après le choc du 2 avril, surnommé « Liberation Day », les actions américaines ont repris leur trajectoire, indépendamment des discours. Les indices n’ont ainsi pas été significativement affectés par l’annonce de droits de douane de 50 % sur l’acier et l’aluminium, ni par celle d’une taxe sur les revenus des entreprises ou investisseurs issus d’États accusés de pratiques anticoncurrentielles. Le taux d’intérêt à 10 ans des obligations d’État américaines a d’abord reculé après le 2 avril, sous l’effet d’anticipations de ralentissement économique, avant de remonter à la faveur de craintes inflationnistes liées aux droits de douane. Il s’est ensuite stabilisé autour de 4,40 %-4,50 %, malgré la poursuite d’annonces imprévisibles en matière de fiscalité et de commerce extérieur.
L’indifférence croissante des investisseurs à l’égard des déclarations de Donald Trump est-elle justifiée ? Sur les droits de douane, des compromis seront probablement trouvés, car l’économie américaine reste fortement dépendante des importations. Des droits de douane élevés induiraient une hausse des prix, une baisse du pouvoir d’achat et un ralentissement de la croissance — un scénario incompatible avec une campagne de réélection efficace en 2026.
Un risque amplifié si la taxation des revenus des non-résidents — notamment européens — venait à se concrétiser.
En revanche, les marchés semblent sous-estimer les risques d’un dérapage budgétaire massif qui pourrait engendrer une hausse durable des taux d’intérêt avec, à la clé, une déstabilisation des marchés actions. Ce risque serait amplifié si la taxation des revenus des non-résidents — notamment européens — venait à se concrétiser. L’hyperactivité verbale de Donald Trump et ses volte-face permanentes ont, en apparence du moins, désensibilisé les marchés financiers. Mais sous cette apparente indifférence se cache une fragilité. Si les annonces protectionnistes trouvent des contreparties négociées, le risque budgétaire, lui, est structurel et croissant. En promettant plus de baisses d’impôts et moins de recettes, tout en fragilisant l’économie de la connaissance, le président américain joue avec la soutenabilité de la dette publique de son pays. Une remontée durable des taux d’intérêt pourrait être le vrai talon d’Achille du modèle économique américain version Donald Trump.
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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