Donald Trump et le joueur de cartes

Donald Trump et le joueur de cartes

Même si son incursion dans l’univers des casinos n’a pas été couronnée de succès – le Trump Taj Mahal à Atlantic City qui fut l’un des plus grands casinos du monde, a accumulé des pertes avant d’être détruit –, le président des États-Unis n’en demeure pas moins un joueur, adepte du bluff et des rapports de force. Il assimile le ballet diplomatique à un jeu de cartes. À propos de la guerre en Ukraine, il a récemment déclaré que les forces russes avaient « pris beaucoup de territoire, donc elles ont les cartes ». Peu de temps après, Donald Trump a suggéré au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, d’accepter l’inévitable : « Vous n’avez pas les cartes en main ». La propension au jeu du président américain est-elle un vestige de son échec en tant que magnat des casinos ou le reflet d’une vision du monde où la force prime sur le droit ?

Avec la Chine, le Mexique, la Corée du Nord, l’Europe, l’Ukraine et même TikTok, Donald Trump transforme la scène diplomatique en un immense jeu de poker menteur. Il considère que la puissance militaire et économique des États-Unis lui permet d’imposer sa volonté aussi bien à ses adversaires qu’à ses alliés. Il aime à répéter que la faiblesse et la stupidité de ses prédécesseurs ont incité d’autres pays à exploiter les consommateurs américains ou à s’abriter sous le parapluie sécuritaire des États-Unis. Donald Trump promet d’obtenir une juste compensation de ces « profiteurs ».

© JIM WATSON | Crédits : AFP

Dans un monde qu’il perçoit de manière purement manichéenne et transactionnelle, les États-Unis abandonneraient toute considération éthique pour privilégier la coercition et le mensonge. Pour autant, le président américain pourrait rapidement se rendre compte que ses atouts ne sont pas illimités et qu’il pourrait finir par perdre la main.

L’Ukraine : le territoire des marges en coupe réglée

Durant sa campagne électorale, Donald Trump a affirmé qu’il pourrait mettre fin à la guerre en Ukraine « en 24 heures ». Les États-Unis disposent d’un important levier de pression, comme il l’a démontré début mars en annonçant la suspension de l’aide militaire après avoir humilié Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale. Ce dernier, pleinement conscient de la dépendance de son pays vis-à-vis des États-Unis, a été contraint de faire allégeance.

Au-delà des armes et des munitions, les États-Unis jouent un rôle clé dans les communications militaires ukrainiennes. Une grande partie des données proviennent de SpaceX, la société dirigée par Elon Musk. Même si cela n’a jamais été confirmé officiellement, il est probable que des instructeurs américains se trouvent sur le terrain pour aider l’armée ukrainienne à utiliser les équipements sophistiqués fournis par Washington, notamment les missiles anti-aériens Patriot.

© Envato

Les Européens ne sont pas en mesure de compenser complètement un désengagement américain. De plus, Donald Trump pourrait interdire à ses alliés de livrer du matériel contenant des composants américains. Donald Trump a également exigé que les États-Unis puissent accéder aux ressources naturelles de l’Ukraine en échange de leur soutien. Dans une première version des négociations, un montant de 500 milliards de dollars avait été évoqué, avant d’être abandonné. À l’origine, c’est l’Ukraine elle-même qui avait avancé cette idée, mais en contrepartie de garanties de sécurité américaines, qui restent pour l’instant très floues. Le refus du président ukrainien de signer un accord sous la contrainte a paradoxalement renforcé sa popularité dans son pays, au moment même où Donald Trump insinuait qu’il n’avait plus le soutien de son peuple.

Une inquiétante complaisance envers la Russie

Donald Trump adopte une posture conciliante envers la Russie. Il s’est opposé aux résolutions hostiles à Moscou à l’ONU et considère que la Russie pourrait conserver la majeure partie des territoires qu’elle a conquis. À ses yeux, l’Ukraine n’a pas vocation à rejoindre l’OTAN, ce qui correspond exactement aux exigences de Vladimir Poutine depuis des années. Malgré ces concessions, le président russe ne semble pas pressé de conclure un accord. Il a récemment déclaré : « Je serais heureux de rencontrer Donald… mais nous sommes dans une situation où il ne suffit pas de se retrouver pour prendre le thé, le café, s’asseoir et parler de l’avenir. Nous devons nous assurer que nos équipes préparent le terrain. »

Vladimir Poutine sait que le temps joue en sa faveur. L’armée ukrainienne recule, manque de munitions et subit les tergiversations occidentales. En fin stratège et joueur de poker, il est convaincu d’avoir des atouts en main qu’il préfère dévoiler au moment opportun.

© JORGE SILVA | Crédits : AFP

En prenant le parti de la Russie contre les alliés européens, Donald Trump a créé une fracture au sein de l’OTAN et renforcé l’impression que les États-Unis sont devenus un partenaire peu fiable. Ironiquement, cette situation a poussé les Européens à accroître leur effort de défense, ce que Donald Trump réclame par ailleurs depuis longtemps. Pour autant, les États-Unis ne sont pas prêts à quitter l’OTAN. Ils possèdent de nombreuses bases militaires en Europe, qui leur permettent de rayonner en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. De plus, les services américains s’appuient sur les renseignements fournis par leurs alliés européens et asiatiques.

Ces échanges, mutuellement bénéfiques, pourraient être mis à mal si Donald Trump continue à mépriser ses partenaires. À terme, la politique étrangère américaine pourrait en ressortir affaiblie. La question de l’après cessez-le-feu demeure ouverte. Après avoir mobilisé de nombreux soldats et stimulé l’industrie d’armement russe, Vladimir Poutine n’entend pas commettre la même erreur que la direction de Mikhaïl Gorbatchev lors de la fin de la guerre en Afghanistan. Le retour des soldats traumatisés avait alors provoqué une grande instabilité à la fin des années 1980. Certains estiment qu’à défaut de pouvoir renverser Volodymyr Zelensky, le président russe pourrait relancer une nouvelle offensive en Ukraine. D’autres pensent qu’il chercherait plutôt à renforcer la présence de la Russie en Afrique.

Donald Trump face à la complexité moyen-orientale

Au Moyen-Orient, l’objectif de Donald Trump est de conclure une série d’accords mettant fin aux conflits régionaux. Les États-Unis pourraient ainsi réduire leur présence militaire au Moyen-Orient et la renforcer en Asie. Steve Witkoff, l’envoyé du président pour le Moyen-Orient, tente de convaincre Israël et le Hamas d’entamer des négociations sur la deuxième phase d’un accord qui mettrait définitivement fin à la guerre. Ces pourparlers sont cependant reportés de semaine en semaine. Les parties prenantes ont, pour l’instant, tout intérêt à poursuivre le conflit: le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, craint que le retour de la paix ne précipite son départ du pouvoir, tandis que le Hamas redoute la réaction d’une population qui, depuis plus d’un an, subit bombardements et déplacements forcés.

Gaza, une terre de conquête pour le Président américain

L’idée de Donald Trump d’expulser les Palestiniens de la bande de Gaza pour construire des complexes touristiques a eu pour conséquence d’inciter les États arabes à élaborer un plan alternatif. Adopté lors d’un sommet de la Ligue arabe, ce projet prévoit un effort de reconstruction sur cinq ans, dirigé par des entreprises égyptiennes et financé par les États du Golfe.

© Envato

D’un montant de 53 milliards de dollars, ce plan vise à permettre aux quelque deux millions de Palestiniens vivant à Gaza de rester sur leur territoire. Il prévoit la rénovation des terres agricoles, la création de zones industrielles et l’aménagement de vastes parcs. L’objectif est de transformer Gaza en une ville durable, avec des logements modernes, des infrastructures urbaines adaptées et un recours accru aux énergies renouvelables. Le projet inclut également l’ouverture d’un aéroport, d’un port de pêche et d’un port commercial. Il reprend plusieurs éléments des accords de paix d’Oslo des années 1990, abandonnés après l’effondrement du processus de paix.

Le Hamas a salué cette initiative, estimant qu’elle marque le rejet, par les dirigeants arabes, de toute tentative de transfert forcé des Palestiniens hors de Gaza et de Cisjordanie occupée. En revanche, Israël a fermement rejeté le projet. Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré que ce plan « ne tient pas compte des réalités de la situation », notamment en raison de l’absence de condamnation du Hamas.

Un accord de paix et de reconstruction à Gaza permettrait à Donald Trump de poursuivre des objectifs plus ambitieux. Il souhaite persuader l’Arabie saoudite de normaliser ses relations avec Israël, en élargissant les accords d’Abraham négociés lors de son premier mandat. Il envisage également de négocier un nouvel accord nucléaire avec l’Iran en échange d’un allègement des sanctions. De plus, il pourrait tenter à nouveau de résoudre le conflit israélo-palestinien, après l’échec de son « accord du siècle », rejeté par les Palestiniens durant son premier mandat.

Toutefois, Donald Trump risque de comprendre rapidement que le Moyen-Orient est une région particulièrement complexe et que l’influence des États-Unis n’y est pas sans limite. Benyamin Netanyahou suit ses propres objectifs et son propre calendrier. Il veut rester au pouvoir et échapper aux nombreux procès qui le menacent. Il dépend, par ailleurs, des partis d’extrême droite qui souhaitent la reprise de la guerre à Gaza et la poursuite de la colonisation en Cisjordanie. Le Premier ministre israélien s’est toujours efforcé de maintenir les Palestiniens faibles et divisés, une politique qu’il applique depuis son arrivée au pouvoir. Il exige également la « démilitarisation complète » du sud de la Syrie et reste favorable à une attaque préventive contre l’Iran pour empêcher ce pays d’acquérir l’arme nucléaire, idéalement avec le soutien des États-Unis. Ces projets vont à l’encontre de la stratégie de Donald Trump. L’annexion des territoires palestiniens compromettrait un accord de normalisation avec l’Arabie saoudite, tout comme une nouvelle guerre à Gaza. Une frappe contre l’Iran mettrait fin à tout espoir d’accord nucléaire.

Le président américain conserve néanmoins une influence importante sur Israël. 70 % des importations d’armes israéliennes proviennent des États-Unis, qui ont envoyé 18 milliards de dollars d’aide militaire à Israël depuis le 7 octobre 2023, soit l’équivalent de 10 % des dépenses du gouvernement israélien. Néanmoins, Donald Trump ne peut pas exercer les mêmes pressions sur Benyamin Netanyahou que celles qu’il applique à Volodymyr Zelensky. Enfin, la question du désarmement du Hamas demeure un sujet épineux. Les responsables arabes restent vagues sur ce point, bien conscients que le Hamas ne semble pas, à l’heure actuelle, prêt à accepter un accord de paix durable avec Israël.

L’Iran : un équilibre fragile entre sanctions et négociations

Concernant l’Iran, les positions du Premier ministre israélien ne permettent pas réellement d’engager des négociations. Pourtant, la République islamique semble désireuse de conclure un accord avec les États-Unis. Deux de ses mandataires, le Hamas et le Hezbollah, ont été marginalisés. Les frappes de missiles balistiques contre Israël menées par l’Iran l’année dernière ont causé peu de dégâts, tandis que les représailles israéliennes ont mis hors service certaines des défenses aériennes les plus sophistiquées du pays. Par ailleurs, l’économie iranienne souffre des sanctions occidentales.

Cette situation de faiblesse ne signifie pas que l’Iran soit disposé à accepter toutes les revendications américaines. Certains conseillers de Donald Trump espèrent limiter le programme nucléaire iranien, restreindre le développement des missiles balistiques et mettre fin au soutien de Téhéran aux milices mandataires. En l’état, il est peu probable que l’Iran accepte de telles conditions. Le risque pour le président américain est de devoir se contenter d’un accord plus restreint, proche de celui qu’il avait abrogé en 2018 (à la demande de M. Netanyahou).

Pour accentuer la pression sur les autorités iraniennes, le 24 février dernier, le département du Trésor américain a annoncé de nouvelles sanctions contre plus de 30 courtiers pétroliers et entreprises impliqués dans la contrebande de pétrole iranien vers la Chine. Pour peser davantage sur l’économie iranienne, les États-Unis devraient imposer des sanctions secondaires aux ports chinois ou menacer de sanctions les Émirats arabes unis, qui abritent de nombreux intermédiaires. Or, de telles mesures entraîneraient des conséquences diplomatiques importantes et pourraient nuire aux intérêts américains.

Une escalade des sanctions pourrait également inciter l’Iran à s’en prendre à ses voisins, comme en 2019, lorsque des drones et des missiles avaient temporairement paralysé la moitié de la production pétrolière de l’Arabie saoudite.

L’Arabie saoudite cherche avant tout à stabiliser la région en limitant les tensions avec l’Iran, ce qui pourrait la placer en porte-à-faux avec les États-Unis. Les risques d’instabilité sont en effet nombreux. La Syrie post-Assad pourrait retomber dans le chaos, tandis que la mort du guide suprême iranien vieillissant, Ali Khamenei, pourrait déclencher une lutte de pouvoir.

La Chine, principal enjeu pour Donald Trump

La Chine reste l’enjeu numéro un pour Donald Trump. Il rêve de conclure un accord général avec l’Empire du Milieu. Afin de prouver sa détermination à rebattre les cartes, il a décidé d’augmenter les droits de douane sur les produits chinois. Il avait déjà eu recours à cette arme lors de son premier mandat, et Joe Biden, son successeur, avait poursuivi cette politique. En plus de cette hausse de 10 points des droits de douane, le président des États-Unis prévoit d’augmenter les taxes portuaires sur les navires fabriqués ou détenus par des Chinois, ainsi qu’un durcissement des règles encadrant les investissements entrants et sortants en Chine. D’autres taxes douanières sont probablement à venir après une révision de la politique commerciale prévue d’ici le 1 er avril. Les États-Unis risquent toutefois de subir des représailles.

© Envato

La Chine est leur troisième marché d’exportation et les autorités chinoises ont déjà restreint l’exportation de plusieurs minéraux stratégiques vers les États-Unis. Pékin a également lancé une enquête antitrust contre Google. Pour l’instant, la Chine fait la sourde oreille aux exigences de Donald Trump. Xi Jinping n’a pas assisté à son investiture et les autorités chinoises poursuivent leurs efforts pour réduire leur dépendance économique vis-à-vis des États-Unis.

Donald Trump pourrait déplacer le débat sur Taïwan. Il accuse l’île de « voler » l’industrie américaine des microprocesseurs et a déclaré : « Ils veulent une protection. Ils ne nous paient pas d’argent pour la protection, vous savez ? La mafia vous fait payer de l’argent, n’est-ce pas ? » Cette attaque pourrait réjouir les autorités chinoises, mais elle inquiète les alliés traditionnels des États-Unis dans la région, notamment la Corée du Sud et le Japon. Ceux-ci pourraient être tentés de développer leur propre dissuasion nucléaire, craignant un désengagement américain.

Le dangereux bluff de Donald Trump ?

Les paris risqués de Donald Trump pourraient finir par se retourner contre lui, tant les relations internationales sont complexes. Les motivations de ses adversaires sont loin d’être univoques. L’objectif principal de Xi Jinping est d’assurer la survie du Parti communiste chinois et d’affirmer la Chine comme une grande puissance, d’abord en Asie, puis au niveau international. La croissance économique est un moyen d’y parvenir, mais elle ne constitue pas la seule arme dont dispose Pékin. De même, aucune incitation ne pourra convaincre les Gazaouis de quitter massivement leur territoire ni l’Ukraine de renoncer à son indépendance. Les autres acteurs jouent leur propre partition qui ne dépend pas exclusivement des décisions américaines. Les décisions prises dans un conflit peuvent entraîner des répercussions sur un autre. Si Donald Trump décide d’imposer des droits de douane sur les puces électroniques afin de renforcer la production nationale, il affaiblit Taïwan qui produit environ 90 % des microprocesseurs les plus avancés au monde. De la même manière, la réhabilitation de Vladimir Poutine pourrait bénéficier indirectement à la Chine. Le recours systématique au bluff risque de nuire à la crédibilité de la diplomatie américaine.

À force de multiplier les coups de poker, le monde pourrait finir par comprendre qu’il peut se passer des États-Unis. L’isolationnisme de Donald Trump finirait alors par se retourner contre lui.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire