Donald Trump dit ce qu’il pense et pense ce qu’il dit, quitte à être confus et fluctuant dans ses idées comme dans ses propos. La crise commerciale qu’il a déclenchée à la fin du mois de janvier en est la parfaite illustration. Donald Trump aime à répéter son attachement aux droits de douane, mais sa ligne politique en la matière apparaît chaotique. Les entreprises, les investisseurs et les gouvernements étrangers tentent de décrypter ses intentions réelles.
Durant la campagne électorale, Donald Trump a multiplié les attaques contre la Chine et l’Europe. Pourtant, ses premières décisions commerciales ont visé deux alliés historiques des États-Unis : le Canada et le Mexique. L’application des majorations de droits de douane aurait pu signifier la fin de l’accord commercial qui lie ces deux États aux États-Unis. Pour justifier sa position, il a invoqué l’état d’urgence aux frontières américaines en raison d’un afflux de drogue et de migrants illégaux, avant de déclarer que ce qui le préoccupait réellement était le déficit commercial américain. En attendant, sa proposition la plus radicale – un tarif douanier universel sur les importations – a été, pour l’instant, éclipsée par des discussions sur des taxes plus ciblées, dont l’objectif réel semble être la limitation des flux migratoires illégaux.
Amis ou non, alliés ou non, Trump semble déterminé à poursuivre sans relâche la mise en œuvre de sa politique protectionniste
Donald Trump considère que le système de commerce international est injuste et biaisé au détriment des États-Unis. Il cherche à rééquilibrer ce commerce en multipliant les rapports de force. Plus inquiétant encore, il se montre aujourd’hui bien plus agressif que lors de son premier mandat. Durant sa première présidence, la Chine était la principale cible de ses droits de douane, qui ont fini par s’appliquer à 380 milliards de dollars de marchandises. Dans cette seconde guerre commerciale, ce sont désormais 1 400 milliards de dollars d’importations en provenance du Canada, du Mexique et de la Chine – soit environ 40 % du total des importations américaines – qui pourraient être affectés.
La suspension temporaire de la majoration de 25 % s’explique par l’imbrication des économies nord-américaines : une augmentation des tarifs douaniers aurait eu des effets négatifs sur la croissance régionale. En revanche, Donald Trump a décidé d’accroître de 10 % les droits de douane sur les produits chinois, y compris des biens de consommation courante tels que les iPhones, qu’il avait auparavant exclus pour protéger les consommateurs. Cette application immédiate tranche avec la pratique précédente : lors de son premier mandat, il avait accordé plusieurs mois de préavis aux entreprises concernées.
Après la Chine, il s’est attaqué aux importations d’acier et d’aluminium en provenance de l’étranger et a annoncé que de nouvelles majorations étaient probables dans les prochains jours. L’Union européenne ne devrait pas échapper à ces hausses tarifaires. Le Président américain s’est également engagé à imposer des taxes pouvant atteindre 100 % sur les semi-conducteurs taïwanais. Amis ou non, alliés ou non, il semble déterminé à poursuivre sans relâche la mise en œuvre de sa politique protectionniste.
Donald Trump considère les tarifs douaniers comme un levier de pression efficace pour renégocier les rapports de force entre les États. À court terme, il a déjà obtenu des concessions du Mexique et du Canada. Les États-Unis, premier importateur mondial, disposent d’un avantage stratégique : la capacité d’infliger de lourdes pertes à leurs partenaires commerciaux. Les exportations vers les États-Unis représentent environ 20 % du PIB canadien et 30 % du PIB mexicain, tandis que les exportations américaines vers ces deux pays ne pèsent que 3 % du PIB des États-Unis.
Les consommateurs américains paieront le prix de cette politique, via une baisse de leur pouvoir d’achat.
Le Canada, le Mexique et l’Europe ont donc plus à perdre dans cette guerre commerciale – du moins à court terme. Ce sont les consommateurs américains qui paieront le prix de cette politique, via une baisse de leur pouvoir d’achat. En outre, le protectionnisme freinera inévitablement la croissance économique en ralentissant la diffusion du progrès technique, en alourdissant les coûts de production et en affaiblissant la concurrence.
Donald Trump estime que les tarifs douaniers sont aussi une source de revenus permettant de rééquilibrer les finances publiques tout en réduisant l’impôt sur le revenu. Peu importe que les estimations montrent que ces droits ne couvriront qu’une fraction des dépenses fédérales. Il pense que ces taxes provoqueront une renaissance de l’industrie manufacturière américaine. Or, l’histoire économique montre que la protection de secteurs industriels peu compétitifs a souvent eu des effets délétères. Dans les années 1970, la protection de la sidérurgie américaine a contribué au déclin de son industrie automobile, au profit des constructeurs japonais. Avec l’éclatement des chaînes de valeur, une majoration de 25 % des droits de douane au sein du marché commun nord-américain aurait pu anéantir les bénéfices de Stellantis, General Motors et Ford. Certains véhicules traversent la frontière américaine jusqu’à sept fois avant leur assemblage final, et auraient été soumis à une taxation à chaque passage.
Dès l’annonce du décret augmentant les droits de douane, les lobbyistes américains se sont mobilisés. Le syndicat des travailleurs de l’acier a dans un communiqué dénoncé une politique contre-productive : « S’en prendre à des alliés clés comme le Canada n’est pas la voie à suivre. ». Par ailleurs, après avoir centré sa campagne sur la lutte contre l’inflation, Donald Trump semble avoir pris conscience que ses mesures risquaient d’entraîner une flambée des prix et des pénuries.
À terme, Donald Trump devra obtenir l’aval du Congrès pour poursuivre son offensive douanière.
Pour l’instant, le Président américain a utilisé l’arme du décret présidentiel. Toutefois, il aura du mal à convaincre le Congrès d’adopter un programme protectionniste structuré. Il s’appuie sur des lois existantes, comme l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), qui lui permet d’imposer des droits de douane pour des raisons de sécurité nationale. Ses décisions sont contestées devant les tribunaux, et jamais la justice n’a validé un usage aussi large des pouvoirs commerciaux du Président.
À terme, Donald Trump devra obtenir l’aval du Congrès pour poursuivre son offensive douanière. Mais pour cela, il devra convaincre un Parlement où les opposants au protectionnisme, bien que moins nombreux qu’auparavant, pourraient encore lui barrer la route.
Loin d’être une simple posture électoraliste, le protectionnisme agressif de Donald Trump reflète une transformation profonde des relations commerciales mondiales. Alors que son premier mandat s’était concentré sur la Chine, son retour au pouvoir marque une radicalisation, incluant désormais les alliés historiques des États-Unis dans cette guerre économique. Cette politique pourrait certes renforcer certains secteurs industriels américains, mais elle risque aussi d’affaiblir l’économie mondiale, ralentir les innovations et faire grimper les prix à la consommation. En définitive, le protectionnisme trumpiste apparaît comme une arme à double tranchant : s’il permet de négocier des concessions commerciales, il expose aussi les États-Unis aux représailles de leurs partenaires et au mécontentement des électeurs américains. L’histoire économique montre que l’isolationnisme a rarement été synonyme de prospérité durable.
Laisser un commentaire