Le deuil est une expérience universelle que chaque individu a vocation à connaître dans sa vie, mais son empreinte s’inscrit désormais dans une temporalité étirée et une solitude accrue dans une société moins fondée sur le faut religieux. Le Crédoc a réalisé une enquête (3 475 répondants âgés de plus de 18 an) sur la gestion du deuil par les Françaises et les Français. Selon cette étude, près de neuf Français sur dix ont vécu un deuil marquant, et un sur deux traverse encore cette épreuve plus d’un an après le décès. Dans une France vieillissante – 646 000 décès en 2024 contre 538 000 en 2005, le poids psychologique des décès s’accroît.
Le deuil, une question de plus en plus prégnante ! 68 % des personnes ayant perdu un proche depuis un à trois ans se déclarent encore en deuil ; 55 % entre trois et cinq ans ; et 35 % au-delà de cinq ans. Le phénomène du deuil prolongé s’installe donc dans la durée. Pour un tiers des Français, la perte d’un être cher demeure vive cinq ans plus tard. Cette persistance dépend du lien affectif.
Près de 100 % des parents ayant perdu un enfant ou un petit-enfant se disent encore en deuil au-delà d’un an, 73 % pour ceux ayant perdu un conjoint, et plus de 50 % pour ceux frappés par la mort d’un frère ou d’une sœur. Le deuil est plus dur quand il est brutal : décès brutal, suicide (59 %), maladie infectieuse (63 %) ou accident (53 %). `
Les visages de la vulnérabilité
Le rapport du Crédoc souligne les inégalités face à la mort. Les jeunes adultes (25-34 ans) sont parmi les plus touchés. 64 % connaissent un deuil dépassant un an. Pour les chefs d’entreprise, artisans et commerçants, perdre un associé ou un proche cogestionnaire désorganise leur vie privée et professionnelle. Les mères de famille monoparentale sont les plus exposées au deuil long et traumatisant.
Les répercussions psychiques : quand l’absence devient pathologie
Un an après la disparition, plus de la moitié (54 %) des endeuillés connaissent des épisodes dépressifs, 50 % souffrent d’angoisses, 48 % présentent des troubles d’adaptation (irritabilité, confusion, stress), et 26 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires. Ces chiffres dessinent une véritable carte de la douleur mentale. Six personnes sur dix continuent de ressentir le besoin d’être proches du défunt et 40 % évitent tout rappel de la personne disparue.
Les compensations destructrices
Face à la perte, le corps cherche des palliatifs. 69 % des personnes encore en deuil au-delà d’un an ont accru leur consommation alimentaire, 56 % celle de médicaments, 51 % d’alcool et autant de tabac. Neuf personnes endeuillées sur dix évoquent des douleurs physiques ou un épuisement durable, et 14 % déclarent avoir développé une maladie nouvelle ou aggravé une pathologie préexistante. Dans 83 % des cas, un diagnostic médical a été posé.
Des effets sur le travail
Près d’un tiers des personnes en deuil depuis plus d’un an ont dû s’arrêter de travailler plus d’une semaine. Parmi les actifs concernés, 72 % ont eu du mal à se concentrer, 66 % se sont sentis ralentis, et 47 % ont subi un véritable épuisement professionnel. 15 % des endeuillés prolongés ont quitté leur emploi à cause du décès, dont plus d’un tiers n’ont jamais retrouvé leur poste. 11 % n’ont pas retravaillé du tout. Ces chiffres révèlent un coût social du deuil rarement mesuré : perte de revenus (28 %), de chances professionnelles (29 %), ou précarisation durable.
Le tissu social mis à l’épreuve
Près des deux tiers des personnes concernées se sentent isolées ; une sur deux a coupé des liens avec des proches. Là encore, les jeunes, les femmes et les familles monoparentales cumulent les fragilités. Dans 18 % des cas, la perte entraîne même un déménagement, souvent chez les 18-44 ans ou les chefs d’entreprise.
Les symboles du départ
La question des cendres Les Français recourent de plus en plus à la crémation. Si en 1980, moins d’1 % des défunts étaient incinérés, ce taux dépasse désormais 45 %. Trois quarts des Français ont déjà assisté à des obsèques avec crémation. Dans 20 % des cas, les cendres ont été dispersés dans la nature. Or plus de la moitié de ceux qui ont connu cette pratique estiment qu’elle complique leur cheminement du deuil. 28 % jugent qu’elle entrave fortement leur manière d’entretenir le souvenir du défunt.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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