Des vertus de la crise politique

Des vertus de la crise politique

Ces derniers temps, les Français sont peut-être fâchés avec la politique mais celle-ci demeure une passion éminemment française. Plus que partout ailleurs, elle affecte la confiance des ménages et l’économie. Si en Belgique, l’absence de gouvernement durant plus d’un an n’avait pas eu de réelles incidences sur la croissance, il pourrait en être tout autrement pour la France.

La forte sensibilité de la conjoncture à la politique s’explique notamment par le poids élevé des dépenses publiques (57 % du PIB), le nombre élevé d’emplois publics, soit près de 5,7 millions auxquels il convient d’ajouter 800 000 salariés travaillant dans les entreprises publiques.

La dépendance à la politique est liée au caractère centralisé de la France.  

La non-adoption des projets de loi de finances pour 2025 a créé un réel émoi au sein de la population même si une loi fiscale d’urgence devrait être adoptée afin de garantir la continuité des services de l’État et la levée de l’impôt.

Annie Genevard, Michel Barnier et Nathalie Delattre lors de la session de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale à Paris, le 26 Novembre 2024 @Jacques Witt/SIPA/2411261732

La dépendance à la politique est liée au caractère centralisé de la France. Le pays demeure marqué par la primauté d’un pouvoir vertical, par la faiblesse des corps intermédiaires (produits de la monarchie absolue, de la Révolution, des deux Empires et de la Ve République). Les économies des pays fédéraux comme les États-Unis ou l’Allemagne reposent moins sur la vie politique de la capitale que la France. De nombreux secteurs d’activité comme l’agriculture, l’automobile ou le bâtiment, attendent des mesures de soutien de part du pouvoir central. En France, tout problème tend à remonter au sommet. À défaut de réponses concrètes de celui-ci, les acteurs économiques semblent être gagnés par l’immobilisme et la dépression.

Les ménages renoncent à la consommation et mettent de l’argent de côté par précaution. Au troisième trimestre, le taux d’épargne a ainsi atteint 18,2 % du revenu disponible brut, soit plus de trois points au-dessus du niveau d’avant Covid. La crainte d’une dégradation de la conjoncture, d’une augmentation du chômage ou d’une hausse des prélèvements poussent les ménages à mettre de l’argent de côté. le sentiment de défiance est élevé.

L’autre peut payer, c’est bien connu !  

Les ménages ne perçoivent pas, pour le moment, la baisse de l’inflation ni les gains de pouvoir d’achat. Le souvenir de la hausse des prix des produits agricoles et de l’énergie demeure vif. Si les révélations sur la dérive des finances publiques inquiètent les Français, pour autant ces derniers rejettent tous les efforts susceptibles de l’endiguer. Tel le mistigri ou le jeu de bonneteau, La responsabilité des déficits et de l’accroissement des dépenses est sans cesse renvoyée sur autrui. L’autre peut payer, c’est bien connu ! Les anti-européens sont même capables d’affirmer que la BCE paiera.

L’autre peut payer, c’est bien connu !  
L’autre peut payer, c’est bien connu !  

La France est aujourd’hui protégée par la monnaie unique. Avec des montants moins élevés de déficits publics et commerciaux dans les années 1980, l’Etat avait été contraint de faire appel à des emprunts étrangers auprès des pays du Golfe. La monnaie unique a supprimé les problèmes de réserve de change. Au-delà de l’ironie de l’affaire, l’Union européenne ne passera pas éternellement l’éponge sur les errements budgétaires de la France qui, à terme, pourrait porter atteinte à la crédibilité de l’euro.

L’idée que la France puisse indéfiniment s’affranchir des règles de bonne gestion communes est une illusion

L’idée que la France puisse indéfiniment s’affranchir des règles de bonne gestion communes au nom de son poids systémique sur le plan financier est une illusion. La faiblesse de l’Allemagne et ses problèmes politiques donnent sans nul doute un répit à la France. Néanmoins, en cas de nouvelle dérive du déficit, une mise en garde des autorités européennes pourrait jeter un froid sur les marché et provoquer une hausse des taux d’intérêt qui pénaliserait tous les agents économiques.

L’idée que la France puisse indéfiniment s’affranchir des règles de bonne gestion communes est une illusion
L’idée que la France puisse indéfiniment s’affranchir des règles de bonne gestion communes est une illusion

Pour le moment, il n’y a pas de menace pour le financement de l’État qui devra émettre la somme record de 300 milliards d’euros d’emprunts en 2025. Les investisseurs internationaux sont néanmoins de plus en plus dubitatifs sur la situation de la France. S’ils ne retirent pas massivement leurs capitaux du pays, ils n’en n’injectent plus guère. Le CAC40, indice des 40 premières valeurs françaises, est en recul de près de 8 % entre juin et décembre quand l’indice concurrent allemand, le Dax, progresse sur la même période de 9 % et l’indice américain S&P 500 de 14 %. Or, au vu de ses déficits, la France a un besoin de capitaux étrangers.

Il y a une vie sans l’État et sans les administrations

La crise politique que connaît la France depuis le mois de juin devrait être l’occasion pour l’économie de s’affranchir du politique. Les entreprises comme les ménages devraient prendre conscience qu’il y a une vie sans l’État et sans les administrations. Être moins en attente de la puissance publique, de ses aides, de ses exonérations serait un grand progrès. Cette crise devrait être l’occasion de repenser les solidarités économiques. Ces dernières décennies, la Vendée, département longtemps pauvre, doit son essor, non pas à l’État, mais à la coopération des entreprises familiales entre elles et avec les collectivités locales. Elle le doit à une diversification de son économie et à une montée en gamme que ce soit pour l’agro-alimentaire, le nautisme ou le tourisme. Les villes ou les régions, en France, qui ont connu un développement économique comme Angers, Caen, les Pays de la Loire ne l’ont pas obtenu grâce à l’État mais grâce à une mobilisation des acteurs locaux. Depuis Napoléon Bonaparte, les batailles se gagnent avant tout par le mouvement et non par la taille des armées. En économie, il en est de même. La crise politique au niveau national doit servir de révélateur à l’ensemble des acteurs économiques pour récuser l’immobilisme et aller de l’avant.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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