Silence. En Iran, les bureaux de vote sont vides. Les gardiens de prison obligent les prisonniers à voter. La police religieuse est mobilisée. À coups de trique, 12% de participation (officiellement 41%). La Russie interdit 81 médias européens. Son offensive vers Kharkiv bloquée, sa marine minée, elle menace les États-Unis. Iran et Russie ont leurs candidats en France, à l’extrême gauche et à l’extrême droite, ils ont des chances d’y gagner la majorité.
Clemenceau : « Ces discussions qui vous étonnent, c’est notre honneur à tous. Elles prouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. Oui, gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait ! »[1]. Quel grand pays, la France, puisqu’on y parle !
Dans cette courte campagne, « lesfrancais.press » a donné la parole à tous les partis : liberté d’expression en action. Plus d’une centaine d’articles et d’interviews de candidats, rédigés par une trentaine de journalistes à travers le monde. Lorsque le Président de la République écrit sa Lettre aux Français, elle est publiée, à l’instar des quotidiens régionaux, dans « lesfrancais.press » : la planète est notre province. Avec, en prime, une interview exclusive : bonus pour les Français de l’étranger.
180 840 lecteurs (indépendamment des réseaux sociaux). Vaste province !
Nous avons donc fait notre devoir : 548.000 expatriés se sont inscrits à notre lettre, un record. 33% ont lu la dernière livraison hebdomadaire, 180 840 lecteurs (indépendamment des réseaux sociaux). Vaste province !
Ce besoin d’informations est aussi nécessaire qu’efficace : les Français de l’étranger ont voté massivement. Une participation record, avec des surprises.
Parler, voter, pour quoi faire ? La liberté d’expression permet de dire des bêtises, voire des horreurs. Par exemple dans l’expression d’un antisémitisme résurgent, par un Aymeric Caron, triste star de la télé, député LFI, à propos des sionistes : « Non, nous n’appartenons pas à la même espèce humaine ». Par un Philippe Poutou : « Nous avons seulement salué les moyens de lutte qu’ils (le Hamas) ont choisis pour résister ». Les moyens ? Seulement un pogrom. Après l’odieux antisémitisme d’extrême droite, celui d’extrême gauche, au nom des opprimés. Ne pas les différencier, c’est le même. Comment s’associer à cela ? Il faut saluer un Bernard Cazeneuve, qui dénonce toute compromission, au contraire d’un François Hollande. Ce qui marque le plus dans cette campagne, ce sont moins les paroles que le silence. Le Président en exercice lors des attentats du Bataclan aurait pu dénoncer les « fake news » mortifères d’une Rima Hassan. Il préfère grappiller des voix pour retourner à l’Assemblée.
La stratégie du silence est aussi celle du RN. Neuf policiers blessés lors du congrès de l’AfD, l’allié de longue date du RN en Allemagne, écarté il y a trois mois parce que gênant. Lissé, annoncé triomphant, le RN propose comme Premier ministre un homme sans aspérité, ni expérience, dont le talent consiste à ne rien dire, à gommer tout ce qui pourrait rappeler l’ancien Front. La vacuité des propos n’a d’égal que la rigidité de la posture.
Quel est le grand silence ? Les milliards agités comme des mouchoirs d’adieu ? Non, la politique étrangère.
Dans les débats, chacun déplie ses milliards (entre 100 et 250 pour le Nouveau Front Populaire, 50 pour le RN, à peine 10 pour le gouvernement), jolis tapis volants d’apprentis sorciers. La majorité sortante a endetté la France de 1000 milliards de plus. Qu’est-ce que ce sera avec les autres ! Les Français, sages et avertis, se disent que ces promesses n’ont aucune importance. Hélas, chacun mettra un point d’honneur à en tenir un bout ! Mince espoir de miser sur la tromperie, le mensonge et l’incompétence.
Les Chinois, dans leurs annales historiques, mettent en lumière ce qu’il faut remarquer en le cachant. Quand les Annales ne louent pas la récolte, c’est qu’une famine est passée. Eloquent silence. Quel est le grand silence ? Les milliards agités comme des mouchoirs d’adieu ? Non, la politique étrangère.
Peut-on parler pouvoir d’achat, blé, énergie, sans évoquer la monnaie, l’Europe, les taux d’intérêt, l’Ukraine, Israël, Gaza, l’Iran ? Cécité ? Non, tactique. Comment avouer qu’une quinzaine d’élus du RN sont des soutiens affichés du régime russe, que ces patriotes prennent plus volontiers le parti de Poutine que celui de la France ? Comment assumer l’antisémitisme, le fanatisme religieux des porte-parole de banlieues dont on recherche les voix à l’heure où le Hezbollah menace Chypre, bombarde Israël après avoir asservi le Liban ? Comment masquer le sabotage futur de l’Union européenne et de l’Otan ? Parler des milliards que l’on n’a pas pour mieux ignorer le monde.
D’où vient la vague frontiste, la resucée hypocrite de la Nupes ? De l’autodissolution du pouvoir. Elle date de bien avant la dissolution.
Concentré à l’excès au sommet, jusqu’au narcissisme, le pouvoir apparaît impuissant, il s’est dissous, par légèreté, lui-même. Le gouvernement ressemble à une cour, sans la musique. Le Parlement à un préau mal surveillé. L’État ne fonctionne plus : ni la justice, ni la police, à peine l’école et l’hôpital, heureusement l’armée. Mais l’Etat aura-t-il plus de chance de fonctionner en accusant encore et toujours l’étranger, la finance internationale ou l’immigré ? Boucs émissaires d’esprits borgnes.
Légèreté d’un pouvoir dissolu : la France peut-elle se permettre, avant les Jeux, avec un niveau d’impôt record, une dette tumorale, deux guerres aux frontières, de se donner à des dirigeants toujours moins expérimentés. La foi en l’inexpérience étonnera-t-elle le monde ?
La Belgique est restée longtemps sans gouvernement, ce fut son meilleur moment.
Aux États-Unis, à l’inverse, le débat oppose un vieil homme au regard perdu, face à un autre, plus vaillant, drogué à l’ego. Les États-Unis, grand pays, peuvent peut-être se permettre cela. Le monde c’est moins sûr. La France, grand pays elle aussi, se contente de propulser de jeunes amateurs, talentueux présentateurs télé, pour diriger l’Etat.
Diriger ? En est-on bien sûr ? Cette débauche d’incertitudes, de promesses sans fondements, de postures et d’impostures montre que le pouvoir se dissout peu à peu. Le pouvoir ne peut plus. Inquiétant, surtout dans les fonctions régaliennes, où seule la puissance publique peut agir. Pour le reste, est-ce si grave ? La Belgique est restée longtemps sans gouvernement, ce fut son meilleur moment.
Technocrates de Bruxelles contre démagogues de Paris. Qui gagne ? La France perd.
Si aucune majorité n’apparaissait à l’Assemblée, aucun budget n’aurait la possibilité d’être voté. On en viendra aux « douzièmes provisoires », la reconduction, mois après mois, du budget de l’année précédente. En termes réels, avec l’inflation et les dépenses automatiques, ce serait une contraction des dépenses, une véritable austérité. Le gouvernement cherchait 20 milliards d’économie ? La mécanique des « douzièmes provisoires » en économiserait 60 ! Rigueur un tant soit peu brutale.
S’il y a une majorité, l’Union européenne offrirait un garde-fou. Technocrates de Bruxelles contre démagogues de Paris. Qui gagne ? La France perd. Aucun filet protecteur ne résisterait à un gouvernement français qui jouerait contre l’Europe. L’Europe est une création franco-allemande ; si l’un des deux s’absente, elle s’affaisse. Les carences passées (comme les succès) de l’UE sont dues directement à l’un ou l’autre de ces pays. Si l’Europe s’affaiblit, la France aussi.
Bien au-dessus de la moyenne de leurs collègues, les députés des Français de l’étranger ont fait honneur à leur mandat.
L’intérêt de l’Europe, entre autres, est de multiplier les centres de décision, de freiner tel ou tel, d’obliger à la concertation. La dispersion du pouvoir peut éviter bien des erreurs. Clemenceau : se méfiant d’une intelligence qui pourrait accaparer le pouvoir, affirmait : « Je vote pour le plus bête ». Montesquieu, plus fin, expliquait : «L’esprit de modération doit être celui du législateur. Le bien politique, comme le bien moral se trouve toujours entre deux limites ». Confier au contraire l’avenir du pays aux plus avisés.
Indépendamment de leurs choix politiques individuels, bien au-dessus de la moyenne de leurs collègues, personnellement, les députés des Français de l’étranger ont fait honneur à leur mandat – et à leurs électeurs. Cela n’empêche pas de les contester, à condition de trouver mieux. Des crises, on sort par le haut par la recherche de l’excellence. Quand il n’y a pas d’excellence, on choisit le moindre mal. Dans un monde chaotique, c’est beaucoup.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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