Le déficit commercial américain est abyssal, plus de 700 milliards de dollars en 2024. Face à ce déficit, Donald Trump accuse les partenaires des États-Unis de pratiques commerciales déloyales. Pour les punir, il a décidé de recourir à l’arme des droits de douane. Ces derniers, dans les faits, touchent avant tout les consommateurs américains. Force est de constater, en outre, que vis-à-vis du Mexique et du Canada, la menace des droits de douane visait avant tout à lutter contre l’immigration illégale. Punir ces deux États, membres d’une union douanière avec les États-Unis, n’a que peu de sens. Les trois pays ont développé des relations économiques étroites ces vingt dernières années.
Le problème américain est avant tout celui de l’éclatement des chaînes de production et de la localisation des bénéfices. Les États-Unis possèdent les plus puissantes entreprises mondiales dans les secteurs de la haute technologie, de la santé et de la pétrochimie. Pour autant, le pays accumule déficit sur déficit. La question n’est donc pas uniquement celle du déficit commercial. Mais aussi celle des stratégies mises en place par les États pour attirer les investissements et capter les bénéfices des multinationales.
Sur le premier point, les gouvernements se livrent à une surenchère. Les États-Unis en tête, avec l’Inflation Reduction Act, conçu pour inciter les entreprises à produire sur le sol américain. Sur le second point, et pour éviter une course vers le moins-disant fiscal, 136 pays ont signé en 2021, sous l’égide de l’OCDE, un accord prévoyant un taux d’imposition minimum de 15 % sur les bénéfices des entreprises multinationales. Or, Donald Trump souhaite soustraire son pays à cet accord.
Un accord mondial sur un taux d’imposition minimum de 15 % sur les bénéfices des entreprises multinationales
Le cadre fiscal de l’OCDE n’est pas un traité formel dont les États-Unis pourraient simplement se retirer. Contrairement au retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé ou de l’Accord de Paris sur le climat. Cet accord repose sur une approche commune. Chaque gouvernement devant adopter des lois instaurant une taxe supplémentaire pour les entreprises payant un impôt inférieur à 15 %. Si certains pays appliquent une fiscalité plus basse, d’autres peuvent réclamer la différence. Les Républicains s’opposent à cet accord, estimant qu’il empiète sur les prérogatives du Congrès. À l’inverse, Joe Biden encourageait les États à adapter leur législation afin d’inciter le Congrès à faire de même.
Les impôts des citoyens et des entreprises de tout pays contrevenant pourraient être doublés sur le territoire américain.
Si les États-Unis refusaient de ratifier l’accord, les pays signataires pourraient appliquer une surtaxe sur les revenus des entreprises américaines. Donald Trump entend torpiller cet accord en promettant des représailles brutales. Pour son administration, tout pays imposant une taxe supplémentaire à une entreprise américaine serait coupable d’une atteinte extraterritoriale. Par des décrets exécutifs publiés le 20 janvier, jour de son investiture, Donald Trump a prévu que les impôts des citoyens et des entreprises de tout pays contrevenant pourraient être doublés sur le territoire américain. Cette loi, qui permet de doubler les impôts des étrangers, existe depuis neuf décennies, mais n’a jamais été appliquée.
La décision de Donald Trump risque de faire échouer l’accord de l’OCDE. Aux États-Unis, l’impôt sur les sociétés représente 7 % des recettes fiscales du gouvernement. Bien en-dessous de la moyenne de 12 % dans les autres pays de l’OCDE. Ce chiffre peut encore baisser si Donald Trump obtient gain de cause et réduisait à nouveau le taux d’imposition des sociétés, comme lors de son premier mandat. Le Président américain souhaite que les entreprises de son pays rapatrient plus fortement leurs bénéfices mondiaux. Afin d’atteindre son objectif, il pourrait instituer une incitation fiscale forte.
« Une option de représailles plus modérée »
En 2025, une quarantaine de pays, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Japon, ont déjà adopté des lois sur l’imposition complémentaire. Si ces pays appliquent ces taxes et si Donald Trump met ses menaces à exécution, leurs ressortissants et entreprises seraient soumis à un doublement de leurs impôts aux États-Unis.
Conscients de la violence d’une telle mesure, les Républicains de la Chambre des Représentants ont présenté un projet de loi proposant une option de représailles plus modérée. Les taux d’imposition sur les revenus américains des investisseurs et entreprises des pays ciblés augmenteraient de cinq points de pourcentage par an pendant quatre ans maximum. Contrairement aux droits de douane, qui touchent principalement les exportateurs de biens, ces taxes frapperaient des dirigeants d’entreprise. Mais aussi des banquiers, des avocats et même des artistes.
Un retour des taxes sur les services numériques ?
Si l’accord sur le taux d’imposition minimal des bénéfices venait à être remis en cause, certains États pourraient réactiver la taxe sur les services numériques. Donald Trump critique également cette taxe qu’il juge injuste et pourrait prendre des mesures de rétorsion contre les pays qui l’appliqueraient. Ironiquement, le régime fiscal américain n’est pas si éloigné des normes fixées par l’OCDE. La réforme fiscale de Donald Trump en 2017 a inspiré l’accord international, en introduisant une version américaine d’un impôt minimum mondial, fixé à 10,5 % des bénéfices mondiaux. Toutefois, l’approche américaine ne s’applique qu’aux bénéfices consolidés, alors que celle de l’OCDE impose une taxation pays par pays.
Vers un compromis ?
Des négociations entre les Etats membres de l’OCDE sont possibles mais Donald Trump privilégiera un rapport de force. L’accord de l’OCDE inclut une clause de « sphère de sécurité ». Cette dernière repousse l’application de l’impôt complémentaire jusqu’en 2027 pour les pays où l’impôt sur les sociétés atteint 20 %. À ce jour, cela inclut encore les États-Unis. Cette disposition pourrait être prolongée pour éviter un affrontement frontal. Dans le même temps, le taux minimal américain devrait passer de 10,5 % à un peu plus de 13 % en 2026, réduisant ainsi l’écart avec les autres pays.
Le problème des compromis fiscaux internationaux est qu’ils nécessitent une volonté de dialogue et de coopération. Or, Donald Trump adopte une posture de confrontation, rendant un consensus difficile. Le reste du monde n’aura aucun intérêt politique à montrer que l’intimidation a fonctionné.
Vers un nouveau front économique ?
Le déficit commercial des États-Unis, qui a atteint un niveau record en 2024, est au cœur des tensions économiques et fiscales de l’administration Trump. Si l’ex-président accuse les partenaires commerciaux de pratiques déloyales et entend utiliser les droits de douane comme arme de dissuasion, les causes réelles du déséquilibre sont plus profondes. Éclatement des chaînes de production, localisation optimisée des bénéfices des multinationales et différenciation des politiques fiscales entre États. Dans ce contexte, la tentative de Donald Trump de remettre en cause l’accord de l’OCDE sur l’imposition minimale des multinationales illustre une volonté de reterritorialiser les bénéfices au détriment d’un cadre multilatéral. Toutefois, la réponse du reste du monde, qui pourrait imposer des taxes supplémentaires aux entreprises américaines, risque d’ouvrir un nouveau front économique.
Si les États-Unis s’engagent dans une confrontation fiscale avec leurs principaux partenaires commerciaux, les conséquences pourraient être lourdes. Tant pour leurs entreprises que pour les relations économiques internationales. La posture de Donald Trump, basée sur la menace et le rapport de force, soulève ainsi des incertitudes majeures quant à l’avenir des échanges commerciaux et de la coopération fiscale mondiale.
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