Pour Denis Jacquet, « la confiance reste le moteur le plus fort de l’économie américaine »

Pour Denis Jacquet, « la confiance reste le moteur le plus fort de l’économie américaine »

Dix mois après le retour de Donald Trump au pouvoir et malgré les prédictions d’un effondrement, l’économie américaine continue de surprendre. Dans cet entretien, Denis Jacquet, entrepreneur français à succès installé aux États-Unis, nous livre sa propre lecture des mécanismes de résilience économique du pays, de la stratégie du président Trump sur les secteurs d’avenir, et nous parle de l’impact de la politique commerciale américaine ainsi que de ses mesures sur l’immigration qualifiée.

10 mois après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche

Lesfrancais.press : « Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir, de nombreux commentateurs annonçaient un effondrement économique aux États-Unis. Dix mois plus tard, ce scénario ne s’est pas produit. Selon vous, quels mécanismes expliquent que l’économie américaine continue de fonctionner malgré ces pronostics catastrophiques ? »

Denis Jacquet : « Cela peut paraître immatériel et un peu cliché, mais la confiance reste le moteur le plus fiable de l’économie. Quand les gens économiques et le peuple pensent que leur pays s’inscrit dans une dynamique d’avenir, ils cessent d’épargner et préfèrent respectivement investir ou consommer.
Bien entendu, il y a deux Amériques, comme dans tous les pays occidentaux désormais. Et il y a deux catégories : Ceux qui y croient encore et ceux qui n’y croient plus, ces derniers étant une majorité en Europe. Cela s’explique par le personnel politique catastrophique que nous subissons, notamment en France ces derniers mois.

« Qu’on l’aime ou non, il a compris qu’un électeur vote pour un président
qui met les intérêts de son peuple avant ceux du reste du monde »

Denis Jacquet, entrepreneur français à succès installé aux États-Unis

Pour revenir aux USA, nous avons l’Amérique des grandes villes qui fait vivre la totalité des États-Unis, qu’elle soit ou non opposée à Trump. D’ailleurs, lors de la dernière présidentielle, un nombre incroyable d’électeurs ont voté Trump parce qu’ils pensaient qu’économiquement, il avait plus de légitimité et de vision que Kamala Harris. L’une des raisons étant que la plupart des villes démocrates sont dans un état économique et social épouvantable — San Francisco, Los Angeles —, tandis que la plupart des villes ou États républicains fonctionnent plutôt bien —Texas, Floride.

Et il y a le reste de l’Amérique, comme celles des régions et petites villes en Europe, qui n’y croient plus du tout, et se révolte ou se révoltera, par le vote ou par la violence. La confiance c’est un pied dans l’avenir, son absence un retour au passé : dès que la confiance est là, la consommation et l’investissement restent au sommet. Prenons l’exemple de New York où le moindre kiwi ou avocat est au prix du caviar. Et pourtant chacun reste, persuadé que l’avenir est à portée de main. Et s’ils y croient, c’est parce qu’ils croient au message de Trump, America First. Qu’on l’aime ou non, il a compris qu’un électeur vote pour un président qui met les intérêts de son peuple avant ceux du reste du monde. Trump est perçu comme celui qui pense et agit pour les Américains. Égoïste ? Peut-être. Efficace, surtout. »

Le pragmatisme des Américains

Lesfrancais.press : « Au-delà de la confiance, quels autres facteurs soutiennent aujourd’hui l’économie américaine ? »

Denis Jacquet : « Un autre facteur essentiel quand on compare à une Europe en panne, sclérosée, en déclin, c’est l’investissement massif sur les secteurs stratégiques d’avenir. Pendant que l’Europe, discute ou régule, les USA — et la Chine — avancent. Une avance impossible à rattraper désormais.

Les Etats Unis investissement massivement dans l'intelligence artificielle
Les Etats Unis investissement massivement dans l'intelligence artificielle @adobe

L’intelligence artificielle ? Bonne nouvelle pour les États-Unis : c’est le pays qui y investit le plus et qui va dominer le monde avec la Chine.
Les terres rares, que la Chine, principale source au monde, utilise comme instrument de chantage contre l’occident ? Que fait Trump ? Il propose d’annexer le Groenland pour se servir en terres rares, et rééquilibrer son rapport de force avec la Chine, et servir ses industriels. Brutal ? Anormal ? Il fait tout haut ce que la Chine fait tout bas. Tout le monde s’est moqué de lui, mais sans terres rares, s’en est fini du monde digital. Certes, d’un point de vue environnemental et des relations internationales, c’est déplorable, mais d’un point de vue économique, l’avenir le remerciera.

« Les Américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, savent faire des additions »

Denis Jacquet, entrepreneur français à succès installé aux États-Unis

La crypto-monnaie et la blockchain ? Sujet crucial. Qui sera le leader mondial ? Le panorama est simple : l’Europe régule pour occuper ses députés à nos frais, la France interdit quasiment, et pendant ce temps, les États-Unis se présentent comme l’Eldorado des cryptos. Bien entendu, avec Trump, il y a toujours quelque chose de caché —mais très visible : sa famille s’enrichit copieusement avec les cryptos, mais le positionnement de l’administration sur le sujet devient un atout précieux pour enrichir le pays tout entier.

Au final, les Américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, savent faire des additions : ils regardent les chiffres, évaluent les décisions et savent prendre du recul. Ce n’est pas le taux de chômage qui les inquiète qui, de toute façon, est deux fois moins élevé qu’en France. Ce qui compte pour eux, c’est leur croyance en une économie qui leur apportera emploi et avenir, même si trop nombreux sont ceux qui vivent à crédit. Ils pensent encore majoritairement, eux, que le lendemain chantera plus qu’aujourd’hui.

Droits de douane : Trump seul contre tous ?

Lesfrancais.press : « Les droits de douane imposés par l’administration Trump sont très critiqués à l’international. Selon vous, quel est leur véritable impact sur l’économie américaine et sur les investissements faits sur le sol américain ? »

Denis Jacquet : « Ne penser qu’à soi, ce n’est pas très bien pour le reste du monde, pas politiquement correct, mais Trump n’est pas un politique, et pour ceux qui vous entourent et votent pour vous, ça fonctionne plutôt pas mal. Tout ce que Trump fait aujourd’hui aura un impact positif sur l’avenir des États-Unis. Quand il met des barrières tarifaires, ce n’est pas pour ériger un mur autour d’un pays d’où rien ne rentrerait ni ne sortirait, mais pour envoyer un message clair aux acteurs internationaux : si vous voulez investir quelque part dans le monde, c’est aux États-Unis que vous devez le faire. Sinon, vos droits de douane vous coûteront une fortune ! »
Résultat ? Aucun pays au monde n’a recueilli autant d’investissements industriels, étrangers ou nationaux, depuis que Trump s’est lancé dans cette bataille. Les États-Unis ont ainsi dérouté aux USA des décisions initialement prévues pour s’investir ailleurs. Mieux encore, certains acteurs américains, y compris Apple, qui ne voulaient pas se mettre Trump à dos, ont préféré réaliser leurs investissements sur le sol américain plutôt qu’en Asie. Lorsqu’une usine se construit aux États-Unis, ce n’est pas pour un an ou deux, mais pour dix, quinze ou vingt ans.

La réindustrialisation des Etats-Unis par Donald Trump
La réindustrialisation des Etats-Unis par Donald Trump, @Adobe

Ces décisions sont assez dures et très critiquées, comme celles de Margaret Thatcher ou de Gerhard Schröder à une autre époque sur d’autres thèmes. Mais dans une décennie, les commentateurs constateront que la réindustrialisation de l’Amérique, même partielle, est due à Trump, celui que tout le monde moque aujourd’hui. Il faut savoir défier l’opinion et le court terme, pour entrer dans l’histoire. »

Lesfrancais.press : « Les déficits commerciaux, les prix des produits importés et les marges excessives de certains fabricants ne risquent-ils pas de peser sur le consommateur américain ? »

Denis Jacquet : « Une théorie ancienne, remonte depuis peu à la surface, qui voudrait que les excédents d’un pays sur un autre devraient être corrigés, de gré ou de force. On devrait considérer que tout est question d’équilibre : quand on a trop exporté vers un pays ou un continent, il faudrait accepter de rétablir la balance et d’exporter moins. Mais expliquer cela à la Chine semble ambitieux ! La vraie question est de savoir pourquoi nous avons de tels chiffres du déficit de commerce extérieur. Surtout en France, car l’Allemagne ou l’Italie récemment, ont su y remédier.

Leur apparition et leur croissance est liée au fait que nous, occidentaux, sous prétexte de prix bas — mais en réalité une obsession du profit à tous prix — avons délocalisé nos emplois et notre avenir dans des pays à bas coûts. Aujourd’hui, nous en payons le prix. À mon sens, en France, Michel-Édouard Leclerc est l’un des grands responsables de cette politique : depuis vingt ans, il défend le prix bas sans expliquer qu’un produit moins cher en rayon, c’est un emploi de moins dans notre pays et un emploi de plus à l’étranger. S’il vend un t-shirt à un euro, c’est parce qu’il est fabriqué par un Chinois et non par un Français. Il a contribué à décimer l’industrie française en anéantissant, selon moi, un nombre ahurissant de PME-PMI françaises qui ne pouvaient plus lutter. Il a beau jeu de dire désormais qu’il maintient les prix bas pour aider les plus pauvres, mais c’est lui qui leur a volé leur emploi et contribué à leur indigence. Avec la complicité des politiques qui pouvaient vendre le mirage du pouvoir d’achat. Au moins, ses concurrents, de la grande distribution, ont eu le courage de le reconnaître. Pas lui.

On devrait revoir l’équilibre des échanges mondiaux. Trump le tente. A son profit. Beaucoup de commentateurs prédisaient une inflation insupportable aux États-Unis, une récession, l’effondrement de la bourse. Il ne manquait que le tremblement de terre ! En réalité, beaucoup de produits ne sont pas concernés par les tarifs. Par ailleurs, des rééquilibrages de marge entre distributeurs, grossistes et importateurs évitent que la taxe ne se répercute sur le consommateur. Peut-être que nous le paierons plus tard, avec un appauvrissement de la chaîne de valeur du fait de marges comprimées pour certains, mais pour l’instant, force est de constater que la méga-crise annoncée n’a pas eu lieu et que l’inflation continue à baisser ou se stabiliser. Il faut cesser d’écouter les économistes.

Enfin, il y a de la marge, « du gras » à récupérer sur certains produits : les fabricants s’étaient largement servis pendant le Covid en augmentant les prix sans raison et doivent désormais s’adapter, en restituant ainsi une partie des bénéfices réalisés à cette période.

Donald Trump un réveil pour l’Europe ?

Lesfrancais.press : « Quels risques potentiels voyez-vous pour l’économie américaine à moyen et long terme, notamment face aux crises internationales et aux choix politiques de Trump ? »

Denis Jacquet : « La meilleure façon d’avancer est de rester en mouvement. Les États-Unis sont une économie internationale. Ils ne vivent pas en autarcie, ils vendent chez eux, mais surtout au reste du monde. Tout le monde se tient par la barbichette, certains — la Chine — plus que d’autres. Que vous soyez Apple aux USA ou Vuitton en France, vous toussez dès que l’Asie s’enrhume. Donc même, les USA sont dépendants, et devraient se rapprocher de l’Europe. Mais ils ne lui font pas confiance.

« L’Europe est devenue une machine bureaucratique à briser le talent »

Denis Jacquet, entrepreneur français à succès installé aux États-Unis

L’administration Trump a une défiance, voire une forme de mépris pour l’Europe. Mais vu notre inaction et notre personnel politique, j’aurais tendance à lui donner raison. Et je dis vraiment malheureusement, parce que l’Europe est devenue une machine bureaucratique à briser le talent. Je pense que nous remercierons Trump, un jour, pour nous avoir réveillés, et nous rappeler que nous aurions les moyens d’être autonomes et ambitieux. Sur la défense par exemple. On devrait lui dire merci.

Trump ne respecte que les puissants. Tant que l’Europe reste handicapée, Trump ne fera que la moquer et la délaisser. En cela, il nous pousse à un sursaut nécessaire : indépendance, investissement dans l’IA, le quantique, l’espace, tout ce qui fait le futur, au lieu de simplement réguler et lutter en France contre quelques mois de travail en plus pour préserver nos retraites et notre modèle social.

« Il y aura des crises, mais je ne pense pas que ce soit à cause de la politique de Trump. Au contraire, elle réveille l’Europe, agresse la Chine »

Denis Jacquet, entrepreneur français à succès installé aux États-Unis

Les Européens devraient tenir compte du terrible constat fait par Mario Draghi, même si nous l’avions fait bien avant lui, avec mes amis entrepreneurs. Et en deux pages seulement. Les États-Unis ont besoin d’une Europe forte. Trump nous montre que nous sommes faibles, ne veut plus payer pour nous, et nous rappelle que sauf changement majeur, nous ne serons pas traités en égaux.

Alors oui, il y aura des crises, mais je ne pense pas que ce soit à cause de la politique de Trump. Au contraire, elle réveille l’Europe, agresse la Chine et pousse certains dirigeants à adopter des politiques similaires : réduction des dépenses publiques, rééquilibrage des modes de pensée dans le monde universitaire, la presse et dans la magistrature, qui, dans beaucoup de pays, luttent contre leur propre pays sur la base d’une idéologie très à gauche.

Le seul danger, à mon sens, concerne la bourse qui pourrait nous offrir une purge provisoire, comme elle les aime, notamment à cause des dégâts que nous prépare le « shadow banking ». Nous avons d’ailleurs assisté récemment à une faillite spectaculaire qui en est un révélateur. Il faut vite mettre le nez dans leur activité, sinon nous risquons, d’ici deux ou trois ans, de connaître une nouvelle crise de cette nouvelle forme de « subprimes » et nous refaire un joli feu d’artifice comme en 2008.

La politique des visas des États-Unis et ses conséquences

Lesfrancais.press : « Quelle lecture faites-vous de la nouvelle politique de ladministration Trump sur les visas H1B ? »

 Denis Jacquet : « Je pense que c’est une annonce dont Trump a le secret : il lance brutalement une mesure qui sera certainement adoucie ou supprimée, une fois le problème réglé. Les plus gros demandeurs de ces visas, sont l’Inde et la Chine. C’est là qu’il veut faire mal.  C’est un outil de plus pour imposer à l’Inde et à la Chine, de cesser d’acheter du pétrole sous le manteau à la Russie. Le but est d’affaiblir Moscou, qui s’en sort plutôt bien économiquement malgré la guerre contre l’Ukraine, et les pousser à signer la paix.

Denis Jacquet
Denis Jacquet, entrepreneur (Top Cream), auteur ( Pourquoi votre patron sera chinois, Eyrolles) et speaker

L’Inde et la Chine achètent du pétrole russe qu’elles revendent ailleurs dans le monde, y compris en France, après avoir changé de pavillon, malgré les blocus contre Moscou. Comme Trump est vexé et agacé que Poutine ne cède pas à son plan de paix, et qu’il ne puisse pas annoncer qu’il a mis fin à la guerre en Ukraine comme il l’avait prévu, il cherche à le faire plier. Tout se passait très bien entre les États-Unis et l’Inde, qui était un excellent partenaire, mais tout d’un coup, il les a sabrés pour les faire plier sur cette question.

Je crois donc que cette nouvelle réglementation est temporaire : une fois signée la paix en Ukraine, il l’annulera et, au passage, pourra revendiquer à nouveau le prix Nobel de la paix.

« Je n’aurais aucune hésitation à échanger Trump contre Macron ou nombre de dirigeants Européens, malgré le peu d’admiration pour l’homme »

Denis Jacquet, entrepreneur français à succès installé aux États-Unis

Tous les milliardaires qui l’entourent savent très bien que les talents les plus fins viennent souvent de Chine ou d’Inde. La plupart des dirigeants des plus grandes sociétés digitales des USA viennent d’ailleurs. Tout le monde sait qu’on a besoin d’eux. Ses conseillers le lui rappellent chaque jour, y compris Musk. Et comme le taux de chômage grimpe un peu en ce moment, c’est pour lui l’occasion de faire embaucher des talents américains plutôt qu’étrangers — ce qui peut, provisoirement, l’arranger.

Je parie que cette mesure est purement contextuelle. En conclusion, et je l’ai déjà déclaré dans les médias, je n’aurais aucune hésitation à échanger Trump contre Macron ou nombre de dirigeants Européens, malgré le peu d’admiration pour l’homme. Je préfère un détestable qui réussit et avance, que celui qui nous dirige vers l’enfer.

Auteur/Autrice

  • Rachel Brunet

    Rachel Brunet est une journaliste française installée à New York depuis 13 ans.

    Après un début de carrière dans la presse économique à Paris, elle a rejoint la presse francophone aux États-Unis.

    Elle défend une information rigoureuse et une analyse exigeante de l’actualité.

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