Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont le pays valeur refuge par excellence. Placer ses réserves, ses capitaux, ses gains aux États-Unis constitue un objectif pour de nombreux investisseurs, surtout en période d’incertitudes. Les États-Unis occupent cette position en raison de la puissance de leur économie, de leur armée et de leur monnaie. La stabilité institutionnelle — une Constitution en vigueur depuis 1787, sans coup d’État — constitue un gage de crédibilité, renforcé par une tradition de transparence. Cependant, les États-Unis deviennent à leur tour un foyer d’instabilité laissant planer une menace de nouvelle crise financière !
Les motifs d’inquiétude s’accumulent : augmentation de l’endettement public, revirements présidentiels en matière de droits de douane, remise en cause de programmes de recherche. Les institutions démocratiques font l’objet d’attaques répétées, notamment de la part de Donald Trump qui cible en particulier le pouvoir judiciaire. Celui-ci entend également influencer le cours du dollar. Dans ce contexte, les investisseurs internationaux commencent à se détourner du marché américain.
Le paysage financier mondial a profondément évolué, notamment aux États-Unis.
En 2008, les États-Unis ont été à l’origine de la plus grave crise financière depuis 1929, avec l’éclatement de la bulle des subprimes. Dix-sept ans plus tard, pourraient-ils à nouveau être responsables d’une crise financière de grande ampleur ? En moins de deux décennies, le paysage financier mondial a profondément évolué, notamment aux États-Unis. Un nouvel écosystème de gestionnaires d’actifs, de fonds spéculatifs, de sociétés de capital-investissement et d’acteurs de marché — parmi lesquels Apollo, BlackRock, Blackstone, Citadel, Jane Street, KKR ou Millennium — s’est imposé, tandis que les banques, les assureurs et les fonds traditionnels reculent. Ces nouveaux acteurs gèrent des milliers de milliards de dollars, souvent pour le compte de tiers. Apollo, Blackstone et KKR pilotent à eux trois plus de 2 600 milliards de dollars d’actifs, soit cinq fois plus qu’il y a dix ans.
Sur la même période, les grandes banques américaines ont vu leurs encours ne progresser que de 50 %, atteignant 14 000 milliards de dollars. Ces entités sont de nature fondamentalement différente et moins régulées que les banques et les assureurs. Elles les remplacent progressivement dans plusieurs domaines. Apollo, pionnier du capital-investissement, est devenu en 2022 le premier émetteur d’annuités d’assurance-vie aux États-Unis après sa fusion avec sa filiale d’assurance.
En dix ans, la valeur des titres américains détenus par des non-résidents a doublé.
Ces groupes financent à la fois les ménages et des entreprises de premier plan, comme Intel. À lui seul, Apollo a prêté 200 milliards de dollars en 2024, contre 120 milliards de croissance nette pour les banques traditionnelles. Dans le secteur du trading, des sociétés comme Jane Street rivalisent désormais avec les grandes institutions : en 2024, elle a dégagé autant de revenus de courtage que Morgan Stanley.
Les gestionnaires d’actifs orientent les capitaux vers des usages productifs, notamment dans les technologies de rupture. Le développement de l’intelligence artificielle est largement soutenu par le capital-risque et par des titres adossés à des infrastructures comme les centres de données. Cette efficacité a favorisé un afflux de capitaux étrangers. En dix ans, la valeur des titres américains détenus par des non-résidents a doublé, atteignant 30 000 milliards de dollars.
Ce mode de financement suscite l’intérêt de l’Europe et de l’Asie, où les systèmes bancaires traditionnels peinent à mobiliser des ressources comparables. L’Union européenne s’efforce de construire un marché de capitaux unifié pour soutenir l’investissement. Cette transformation comporte néanmoins des risques. Le premier tient à l’absence de précédents.
Les banques sont de plus en plus exposées aux acteurs non bancaires.
Les gestionnaires d’actifs n’ont jamais traversé de crise systémique. Il est difficile d’anticiper leurs comportements en cas de choc. Une panique ne peut être exclue. Si les souscripteurs d’annuités ou les apporteurs de capitaux redoutent des pertes, des retraits massifs pourraient engendrer un effet de contagion. Les banques sont en outre de plus en plus exposées aux acteurs non bancaires. Depuis 2020, les prêts bancaires à ces derniers ont doublé, atteignant 1 300 milliards de dollars. Les montants prêtés aux hedge funds sont passés de 1 400 à 2 400 milliards de dollars.
L’opacité constitue une autre menace. Contrairement aux actifs côtés, les actifs non cotés sont peu liquides et rarement évalués à leur juste valeur. Des déséquilibres peuvent demeurer invisibles jusqu’à leur réévaluation brutale, entraînant des pertes en chaîne chez les investisseurs finaux.
Les tensions institutionnelles, l’instabilité réglementaire et le ralentissement économique fragilisent l’ensemble du système. En cas de crise, se posera inévitablement la question du traitement des fonds gérés par les acteurs non bancaires, souvent au bénéfice d’investisseurs fortunés. Le sauvetage du secteur bancaire en 2008 a créé des crispations au sein des populations. Dans un contexte populiste, les gouvernements auront-ils les mêmes marges de manœuvre ? Néanmoins, face à une crise de nature systémique, ces derniers ont peu d’alternatives. La faillite de Lehman Brothers s’est révélée extrêmement coûteuse pour les États et les contribuables.
En 2008, les grandes puissances avaient réagi collectivement dans le cadre du G20. Avec le retour du pouvoir de Donald Trump, le multilatéralisme n’est plus de mise, ce qui est une source évidente d’incertitudes en cas de survenue d’une crise de grande ampleur.
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